Des élections au nom de l'économie

Chronique d'André Savard


Il semble donc que Jean Charest estime que des élections le 8 décembre s’imposent tant pour le Québec que pour son plan de carrière. Tous prévoyaient que les sondages favorables seraient un incitatif majeur pour le gouvernement. Aussi la Conférence des Présidents du Parti Québécois et le Congrès de l’ADQ revêtirent un accent particulier de rappel des troupes.
Les raisons qui motivent ces élections sont les mêmes que d’habitude. On a dit que l’économie était le thème central et que la situation, désormais marquée par l’urgence, demandait un gouvernement plus fort. Mais on ajoute que l’économie doit trouver dans ses principes de fonctionnement ses solutions. Le gouvernement plus fort est surtout vu comme un supplément de députés pour Jean Charest. Quant à l’Etat québécois, il est vu comme un assistant des marchés et de l’Etat canadien.
Presque toutes les élections au Québec se font au nom de l’économie. Comme préalable, il est d’usage de réclamer l’enterrement de la question nationale du Québec. Le rôle du gouvernement québécois est d’aider à traverser la crise. Il veut des coudées plus franches pour ce faire mais rien qui n’excède le cadre provincial actuel.
L’économie est devenue un mot fourre-tout qui noue les mêmes significations vagues. On affirme que la réussite en économie n’est possible que dans le dépassement des vieux griefs. Il suffira de souligner que la question du Québec est un grief potentiel pour décréter qu’elle n’est pas actuelle.
Comme l’heure n’est pas au grief, et qu’il y a urgence en économie, on dit toujours se pencher sur le « Québec économique » afin de dégager un sens en fonction de celui-ci. Jean Charest, ou tout autre chef du parti Libéral, dit toujours que le Québec économique est le “vrai problème”. On peut déduire qu’il n’existe pas d’autre problématique réelle. Si, en outre, il y a une vraie crise financière, quelle aubaine ! Le discours de toujours résonne avec d’autant plus de véracité.
C’est avec un sourire en coin qu’on se fait donc annoncer une campagne électorale à l’enseigne de l’économie. L’économie... Que l’économie existe et qu’une crise financière se pointe à l’horizon, c’est une réalité. Cependant, il suffit de prononcer le mot “économie” pour avoir l’air de parler de réalité plus réelle que les autres. Aussi parle-t-on toujours de “l’économie” comme d’une maîtresse jalouse qui ne tolère pas de passer en second. Toute autre priorité paraît négative et il suffit de se convaincre d’une contradiction potentielle avec “l’économie” pour annuler n’importe quel projet ou de ravaler son rang d’importance.
Tous ceux qui ont vu neiger n’ont qu’à fouiller leur mémoire. L’économie va toujours mal. Si elle va bien, des secteurs pâtissent qu’elle se porte trop bien. Si elle n’est pas en pleine crise, elle doit se préparer pour la prochaine crise. Si les salaires sont trop hauts, il y a risque de voir les prix monter en flèche. Si les salaires sont trop bas, il y a décroissance. La seule façon alors de financer la croissance est d’ouvrir la porte au crédit mais à force de financer la croissance sur le crédit sans distribuer la richesse, les gens se trouvent incapables de rembourser.
Si les gens se retrouvent avec trop d’argent à dépenser, à l’inverse, il risque d’avoir trop de monnaie sur le marché et donc, risque d’entraîner une baisse de la devise. Si la devise est trop haute, c’est mauvais pour l’exportation. Si la devise est trop basse, c’est bon pour le secteur manufacturier qui exporte mais mauvais pour l’importation des matières de fabrication, lesquelles coûtent plus cher. S’il y a parité avec la monnaie américaine, le consommateur risque plus d’acheter aux Etats-Unis. En économie, il y a toujours un angle défavorable. Il est donc certain que les sondages démontrent toujours que la population veut que l’on accorde une priorité à l’économie.
À chaque fois que le Québec est à l’ordre du jour, rien n’est plus facile que de commander un sondage attestant que la population juge au contraire que l’économie est la priorité. L’économie paraît désigner le seul domaine qui s’offre à tout le monde sous des espèces concrètes. Tout le monde a besoin de concret dans sa vie. Demandez aux gens : préférez-vous l’économie versus telle autre chose ? Ils répondront invariablement : l’économie.
Pour le fédéralistes, c’est du gâteau. D’abord parce qu’on en vient toujours aux mêmes conclusions. Pour résoudre les questions économiques, il faut que les paliers gouvernementaux travaillent ensemble. Pour travailler ensemble, il ne faut pas contrarier. Pour ne pas contrarier, il faut que les gouvernements aident tout le monde à travailler ensemble dans la joie et l’harmonie.
Pour travailler ensemble dans la joie et l’harmonie, il faut reconnaître au Fédéral tout son domaine de validité. Après tout, la finance mondiale se joue de pays à pays. L’analyse des questions économiques, et ses motivations, sont tissées sur la même trame que les discours unitaristes canadiens.
L’insécurité économique se présente donc comme un contexte favorable aux fédéralistes. Les fédéralistes aiment passablement l’insécurité économique, un grand allié. Si le Québec n’est pas le seul à en souffrir, on dit que son type d’expérience n’est pas spécifique et qu’il se réglera mieux à plusieurs. Et si le problème du Québec est particulier, on en tire la leçon qu’on ne gagne jamais à trop se particulariser.
L’Action Démocratique se proclame autonomiste. Son programme propose que le Fédéral et les autres signataires de la Constitution acceptent de doter le Québec de nouveaux leviers en économie. Mais comme son congrès se déroule en pleine crise économique, les acteurs adéquistes se hâtaient de rappeler à la télévision que le temps n’était pas propice pour en parler...
Comme on parle de travailler ensemble, on suggère de façon plus ou mois voilée que le Québec, vu l’urgence, est plus efficace comme simple pouvoir de médiation. Ce n’est pas le temps de dépasser le statut provincial, ce qui serait un privilège étrange et donc conflictuel.
En fait, ces élections “axées sur l’économie” comme on l’écrira si bien, viseront à donner un nouveau gouvernement à un demi Etat coincé sur un aiguillage, un gouvernement qui devra utiliser des méthodes rendues actives par la nation canadienne et son gouvernement national. Mais on dira que c’est très bien du point de vue économique pour l’Etat québécois car il peut contribuer ainsi à la définition des prémisses et des définitions économiques de l’Etat canadien. Et comme les décisions du gouvernement fédéral ont un impact sur le Québec, Jean Charest, Bachand, et la ministre Jérôme-Forget soutiendront qu’il en est très bien ainsi.
Bonne campagne électorale.
André Savard


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