LIBERTÉ DE LA PRESSE

Des dérives policières alarmantes

Les révélations se multiplient, forçant le gouvernement à créer une commission d’enquête en bonne et due forme

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On attend de voir le mandat

Après avoir appris la mise sur pied d’une commission d’enquête sur la liberté de la presse, la salle des nouvelles de Radio-Canada a été frappée de consternation. La Sûreté du Québec a réussi à mettre la main sur des liasses de relevés téléphoniques, s’échelonnant de 2008 à 2013, des journalistes d’enquête Alain Gravel, Marie-Maude Denis et Isabelle Richer.

À l’automne 2013, la SQ a notamment pu noter les numéros de téléphone de plusieurs des sources des reportages-chocs sur la collusion et la corruption gangrenant l’industrie de la construction, les « fausses factures » de l’ancien d.g. de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, le « Touch » de l’entrepreneur Tony Accurso, diffusés à Enquête.

L’ex-animateur de l’émission télévisée, Alain Gravel, a été avisé jeudi après-midi que les métadonnées des appels, entrants et sortants, qu’il a effectués entre le 1er novembre 2008 et le 1er octobre 2013 étaient entre les mains de la SQ. « Je n’en revenais pas. Je n’en revenais pas », a lancé M. Gravel, n’arrivant pas à croire qu’un juge de paix ait donné sa bénédiction à une telle opération. « D’ailleurs, novembre 2008, c’est exactement [le moment où] on a commencé à travailler sur le dossier de la construction. On a travaillé de façon extrêmement intense pour sortir ce qu’on a sorti », a-t-il souligné dans un entretien téléphonique avec Le Devoir.

Trois autres journalistes, dont l’ancien spécialiste de la mafia italienne et du crime organisé à La Presse, André Cédilot, ont aussi pris la mesure jeudi de la surveillance exercée sur eux — pendant des mois, voire des années — par la SQ.

Le corps de police national cherchait apparemment à trouver la source de fuites d’informations sur la « surveillance électronique » dont le président de la FTQ, Michel Arsenault, avait fait l’objet. Le chef syndical s’était notamment plaint de voir des journalistes relater des « informations émanant de manière certaine de la surveillance » faite par des agents de la SQ à partir de 2008, et ce, dans une lettre adressée au ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron, le 10 septembre 2013. M. Bergeron a questionné le jour même le directeur général de la SQ, Mario Laprise, sur le « coulage d’information confidentielle ». Déterminé à trouver la source de ces fuites, l’état-major de la SQ a alors demandé et obtenu les relevés des appels téléphoniques de six reporters.

Le ministère effectuera une enquête administrative sur ce « cas spécifique », a rappelé l’actuel ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, jeudi.

Qui plus est, le gouvernement du Québec instituera une commission d’enquête sur la liberté de la presse, y compris la protection des sources journalistiques, et l’indépendance des pouvoirs politiques, policiers et médiatiques. « Il faudra bien sûr […] s’assurer que les deux objectifs principaux, [premièrement] la liberté de la presse, ce qui inclut la protection des sources journalistiques, et, deuxièmement, l’indépendance des pouvoirs […], se retrouvent dans le mandat qui va être donné. Je pense qu’il y a plusieurs questions légitimes qui se posent sur ces deux enjeux. Le rôle de la commission sera d’y répondre », a déclaré le premier ministre, Philippe Couillard, à l’Assemblée nationale.

À peine quelques heures plus tard, les chefs de 13 salles de nouvelles du Québec avaient désigné l’avocat Christian Leblanc pour représenter les médias.

Les membres de la commission d’enquête — un juge à la retraite et des représentants de la police et de la presse — bénéficieront des pouvoirs prévus à la Loi sur les commissions d’enquête. Ces « experts » pourront par exemple requérir la comparution de « toute personne dont le témoignage peut se rapporter au sujet de l’enquête ».

« Faits nouveaux »


M. Coiteux a justifié la décision du gouvernement de poser ce « geste supplémentaire » — prise trois jours après l’éclatement de l’affaire Lagacé — par la diffusion de « faits nouveaux », dont l’entretien téléphonique du 10 septembre 2013 entre M. Bergeron et M. Laprise.

Le député Stéphane Bergeron a annoncé, jeudi matin, qu’il renonçait à ses responsabilités de porte-parole de l’opposition officielle en matière de sécurité publique. « J’ai bien conscience depuis [mercredi] d’être devenu, bien malgré moi, une distraction qui empêche qu’on prête toute l’attention requise [aux] propositions solides [du PQ dans ce dossier] », a affirmé l’élu péquiste, ajoutant du même souffle être « mortifi[é] » à l’idée que certaines personnes puissent penser qu’il avait « quoi que ce soit à voir avec le fait qu’on a épluché les registres d’appels des journalistes ».

Par ailleurs, la Coalition avenir Québec a réitéré, jeudi, sa demande de désigner le prochain directeur général de la SQ sur motion présentée par le premier ministre et adoptée par au moins les deux tiers des membres de l’Assemblée nationale. « Ce qui inquiète la population, c’est la proximité du politique et du policier », a fait valoir le chef caquiste, François Legault, durant la période des questions.

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