Des conséquences multiples

Cour suprême: le bilinguisme des juges


Les juges de la Cour suprême du Canada devraient tous être bilingues. La Cour suprême statue en dernier ressort sur des dossiers qui lui sont présentés autant en français qu'en anglais et qui impliquent aussi bien des règles de droit civil que de Common law. C'est la moindre des choses que d'exiger que les juges puissent comprendre tous les détails des arguments qu'on leur présente. Malgré cela, le gouvernement fédéral refuse de confirmer qu'il nommera un juge bilingue pour pourvoir le poste laissé vacant par la retraite du juge Bastarache.


Pour un avocat qui plaide en français devant la Cour suprême, rien n'est plus important que d'être compris dans sa langue. Les plaidoiries devant la Cour se fondent sur des arguments complexes. La traduction simultanée ne peut pas toujours en rendre toute la subtilité. De plus, les mémoires écrits, présentés par les parties avant l'audience, sont d'une importance capitale. Un juge incapable de lire le français devra se fier à un résumé qu'on lui fait, car les mémoires ne sont pas traduits. Même chose pour le jugement de première instance et de la Cour d'appel. Le plaideur francophone est systématiquement désavantagé. Ne retournons pas à l'époque où les avocats québécois devaient s'exprimer en anglais devant la Cour suprême s'ils voulaient être pris au sérieux
De plus, les lois fédérales sont adoptées dans les deux langues officielles et les deux versions ont la même valeur. Les règles d'interprétation conduisent parfois à accorder la priorité au texte français sur le texte anglais, comme dans l'arrêt Daoust (2004). Comment un juge peut-il avoir le dernier mot sur le sens à donner à une loi fédérale s'il ne peut en comprendre le texte français?
Un juge unilingue ne sera pas non plus en mesure de lire la jurisprudence des tribunaux québécois ainsi que les livres et les articles publiés en français par des professeurs de droit. Pourquoi se priver de sources hautement pertinentes, non seulement en droit civil, mais aussi dans des domaines qui touchent l'ensemble du Canada, comme le droit constitutionnel, le droit administratif, le divorce, le droit pénal? Une étude récente portant sur les années 1985 à 2004 a démontré que la Cour suprême se référait bien davantage à des articles de périodiques rédigés en anglais qu'à des articles en français. La présence de juges unilingues anglais à la Cour suprême marginalise les universitaires francophones, qui se voient ainsi placés devant le dilemme de publier en anglais ou de voir leurs travaux ignorés.
La rédaction des jugements est également affectée par la présence de juges unilingues. Ceux-ci ne pourront pas lire les projets de jugements rédigés en français et devront attendre la traduction avant de pouvoir y souscrire ou de proposer des modifications. Les délais sont ainsi rallongés. Résultat: des 114 jugements rendus par la Cour en 2006 et 2007, huit étaient entièrement rédigés en français et 13 l'étaient partiellement, ce qui représente à peine plus de 10% de la production de la Cour. Dans les affaires en provenance du Québec, la version originale du jugement est souvent rédigée en anglais, même parfois par des juges francophones Lorsque le dossier ne provient pas du Québec, les juges, qu'ils soient anglophones ou francophones, écrivent presque toujours en anglais.
Ainsi, à chaque étape du processus, la présence de juges unilingues à la Cour suprême désavantage les juristes francophones et leurs clients, du Québec et d'ailleurs, et lance le message que les choses importantes se passent en anglais. Elle rend le système juridique canadien imperméable à la contribution importante que les juristes francophones peuvent légitimement y apporter. Cela est inacceptable pour une institution nationale qui possède un rôle aussi important.
Que l'on veuille nommer à la Cour suprême le juriste le plus compétent, soit! Mais il faut bien convenir que la capacité de lire et de comprendre le français fait partie des compétences nécessaires à l'emploi.
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Sébastien Grammond
L'auteur est professeur de droit à l'Université d'Ottawa. Il a été recherchiste à la Cour suprême et y a ensuite plaidé (en français).

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Sébastien Grammond is the dean of Civil Law at the University of Ottawa

Professeur de droit à l'Université d'Ottawa. Il a été recherchiste à la Cour suprême et y a ensuite plaidé (en français).





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