Des années avant de s’en sortir

Le SPVM pourrait traîner des séquelles de la crise actuelle pendant 10 ans, selon un ancien chef de police

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Voilà où mène la corruption





Embourbé dans «un merdier épouvantable», le SPVM pourrait devoir mettre les dix prochaines années à s’extirper de cette crise sans précédent.


C’est le verdict-choc rendu par Jean-Pierre Gariépy, qui a dirigé le Service de police de Laval de 1997 à 2013 et présidé l’Association des chefs de police du Québec.


Joint en Floride par Le Journal jeudi, le retraité suit à distance chaque nouvel épisode de ce désolant feuilleton.


«Je n’ai jamais vu une crise semblable, d’une telle intensité. J’étais à la Sûreté du Québec quand l’affaire Matticks, qui a donné lieu à la commission Poitras, a éclaté. Et à mon avis, la température est beaucoup plus élevée au SPVM», a dit l’un des rares Québécois à avoir travaillé pendant plus de 40 ans dans le milieu policier.











Jean-Pierre Gariépy<br><br><i>Chef de police retraité</i>




Photo Agence QMI, Martin Alarie


Jean-Pierre Gariépy

Chef de police retraité





Des séquelles


La tempête s’est levée le soir du 21 février, quand l’émission J.E. et notre Bureau d’enquête ont rapporté les témoignages d’ex-officiers et enquêteurs qui ont accusé leurs collègues des affaires internes d’avoir fabriqué des preuves pour se débarrasser d’eux ou les faire taire.


Ces révélations ont fait boule de neige. Depuis, il ne s’est pratiquement pas passé une journée sans que la situation s’envenime.


Le chef du SPVM, Philippe Pichet, avait rapidement demandé à la Sûreté du Québec d’enquêter sur ces cas.


Mais la SQ s’est vite fait signaler plusieurs allégations supplémentaires — et criminelles — visant des membres du SPVM et remontant jusqu’à son état-major. Notamment des policiers payés par la mafia et des cadres qui auraient interféré dans le système judiciaire pour faire tomber des accusations.


«C’est très grave parce que ça va laisser des séquelles, selon Jean-Pierre Gariépy. La pire, c’est la confiance des citoyens envers leurs policiers. La police de Montréal est une institution. Quand elle tousse, les autres corps de police risquent d’attraper le virus.»


« C’est assez ! »


Le SPVM doit repenser ses façons de faire, selon lui. Mais il n’est pas certain que le directeur Pichet restera en selle pour négocier ce «virage nécessaire».


«Il ne l’a vraiment pas facile. Et il ne peut dire qu’il a le contrôle de son organisation présentement, même si ce n’est pas lui qui est visé par ces enquêtes. À la fin, ça risque de coûter la tête de la direction en place», nous a-t-il dit, 24 heures avant la suspension d’un adjoint de M. Pichet.


Des observateurs croient que le ministre Martin Coiteux devrait nommer un gestionnaire civil pour diriger le SPVM, en attendant d’arriver au bout de ce chemin de croix.


M. Gariépy a vu pareille situation à la SQ, dirigée par des civils entre 1996 et 2003.


«C’est une façon par laquelle le gouvernement peut donner une solide claque sur les doigts d’un service de police et de lui dire: c’est assez!»


Ce qu’ils ont dit


«J’ai posé la question au policier, s’il avait écrit un faux rapport. Il a dit oui, sur pression de ses boss. Pour me sortir.»


- L’ex-enquêteur Pietro Poletti, l’un des quatre anciens policiers du SPVM qui ont accusé les affaires internes de fabrication de preuves


«Depuis le début, je demande qu’on fasse la lumière là-dessus. Je vais collaborer, on va être un livre ouvert. Il faut être transparents, on n’a rien à cacher.»


- Le directeur du SPVM Philippe Pichet


«S’il faut faire le ménage, qu’on le fasse.»


- Le maire Denis Coderre


«Prenez note de l’ampleur des mesures que j’annonce aujourd’hui, ça vous donne une idée des préoccupations que je peux avoir. On va aller au fond des choses avec des enquêtes qui pourraient mener à des accusations criminelles.»


- Le ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux


«On n’écarte pas cette possibilité. Mais la première étape, c’est de faire une enquête approfondie, fouillée, indépendante.»


- Le premier ministre Philippe Couillard, interrogé sur la possibilité de mettre le SPVM en tutelle


«Aujourd’hui, on a un œil au beurre noir. Tout le monde écope pour un groupuscule d’individus qui ne suivaient pas les règles. Faut absolument que ça change.»


- Le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, Yves Francoeur


«Les policiers ont peur du coulage dans le dossier. C’est pour ça que les affaires internes sont impliquées. Ça ne m’inquiète pas, c’est pour ça qu’on les paie.»


- Un influent mafioso enregistré à son insu par la police en train de dire qu’il a des policiers du SPVM à sa solde


Deux semaines de crise sans interruption...


21 février


L’émission J.E. et notre Bureau d’enquête rapportent les témoignages de deux anciens hauts gradés, Jimmy Cacchione et Giovanni Di Feo, ainsi que celui de l’ex-enquêteur Roger Larivière, qui affirment que la Division des affaires internes du SPVM a fabriqué des preuves contre eux pour les faire taire. Le soir même, le chef Philippe Pichet, se disant préoccupé par ces «faits troublants», demande à la Sûreté du Québec d’enquêter.


22 février


Un quatrième ex-policier du SPVM, Pietro Poletti, déclare à notre Bureau d’enquête qu’il a été victime des mêmes tactiques des affaires internes.


23 février


Le Journal révèle que la SQ entend également enquêter sur des allégations voulant que des policiers du SPVM aient touché des pots-de-vin du crime organisé.


24 février


Selon un sondage Léger-Le Journal-TVA, 81 % des Montréalais pensent que le gouvernement devrait déclencher une enquête indépendante sur le SPVM. Le jour même, le ministre Martin Coiteux annonce que «plusieurs autres cas» problématiques ont été signalés à la SQ, l’incitant à élargir la portée de l’enquête en cours et à demander l’assistance de plusieurs autres corps policiers, ainsi qu’à la directrice du Bureau des enquêtes indépendantes, Madeleine Giauque. Il demande aussi au chef Pichet de lui produire un plan d’action visant à remédier à la situation.


25 février


Le directeur Pichet convoque l’ensemble de ses cadres à une rencontre et réitère publiquement sa collaboration à l’enquête.


28 février


Par «souci de transparence», le chef Pichet demande le transfert à la SQ de toutes les enquêtes criminelles déjà en cours aux affaires internes du SPVM, ainsi que celles à venir, jusqu’à nouvel ordre. Interrogé à Québec, le ministre Coiteux refuse publiquement de donner un vote de confiance à M. Pichet.


2 mars


Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, déclare à l’animateur Paul Arcand que le chef Pichet sait depuis plusieurs mois que de graves allégations criminelles pèseraient sur certains membres de son état-major, notamment pour corruption, trafic d’influence et fréquentations douteuses liées à la mafia. Il déplore que ces cas aient été étouffés par les affaires internes qui auraient monté de «fausses allégations» pour s’attaquer aux policiers qui ont dénoncé ces cadres.


3 mars


Le Journal rapporte qu’une conversation entre un influent mafioso et son avocat, enregistrée par des policiers en 2015, suggère que des policiers du SPVM seraient payés par le crime organisé italien. Le ministre Coiteux demande à la population de faire preuve de patience et annonce la nomination du commissaire Michel Bouchard pour piloter une enquête administrative sur les pratiques au SPVM. En début d’après-midi, le chef du SPVM suspend son directeur adjoint Bernard Lamothe jusqu’à nouvel ordre, en raison de nouvelles allégations potentiellement criminelles faisant l’objet d’une enquête par la SQ.


Beaucoup d’enquêtes, peu de résultats


Quatre policiers sur cinq visés par une enquête criminelle des affaires internes du SPVM ne sont jamais accusés. Et plus de la moitié de ceux qui doivent comparaître devant un juge seront finalement acquittés.


Ces données pour le moins surprenantes sur la performance de la controversée Division des affaires internes, et dont Le Journal a pris connaissance, sont compilées dans le rapport annuel de 2016 du SPVM.


On y apprend notamment qu’entre les années 2012 à 2015, inclusivement, les affaires internes ont ouvert des dossiers d’enquêtes pour des allégations criminelles impliquant 168 policiers du SPVM.


Seulement 32 d’entre eux — soit 19 % — avaient dû faire face à des accusations au palais de justice.


Au moment où le rapport a été produit, soit au printemps 2016, onze de ces 32 policiers avaient été déclarés coupables, tandis que 12 autres ont reçu des verdicts d’acquittement.


La bonne foi


C’est donc dire que les affaires internes ne «jouent» même pas pour une moyenne de ,500 devant les tribunaux.


Parallèlement à ces dossiers criminels, les affaires internes ont aussi ouvert des enquêtes disciplinaires concernant 299 de leurs quelque 4600 policiers durant cette période. Les sanctions imposées au terme de ce processus de discipline totalisaient 183 journées de suspension.


Dans son rapport annuel de 2009, le SPVM expliquait par écrit qu’il gérait la discipline «dans l’esprit d’un bon père de famille». Et que sa «philosophie d’intervention» en la matière «met l’accent sur la bonne foi» des policiers.


«Le leadership provincial du SPVM en matière de traitement des affaires internes permet de maintenir une équité dans le traitement de la Loi sur la police et, surtout, de mettre en place des mécanismes pour éviter à ses ressources humaines de se placer dans des situations risquées», peut-on lire dans ce rapport.


Il y a fort à parier que le SPVM ne se doutait pas que huit ans plus tard, tout le Québec, le gouvernement et cinq autres corps de police s’intéresseraient autant aux pratiques de ses «ressources humaines» à l’intérieur même de sa Division des affaires internes.


Bilan modeste


► 168 policiers sous enquête criminelle des affaires internes du SPVM


► 32 accusés



  • coupables 11

  • acquittés 12


(* 9 policiers n’avaient pas été jugés au moment où le rapport annuel 2016 du SPVM a été rendu public.)


Source: données compilées entre 2012 et 2015, rapport annuel 2016 du SPVM




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