En donnant cette semaine son accord à la construction de deux nouveaux oléoducs destinés à l’exportation du pétrole des sables bitumineux, le gouvernement Trudeau a répondu à une demande pressante d’une industrie qui compte bien faire augmenter sa production au cours des prochaines années. Ce parti pris en faveur des pétrolières soulève toutefois la question de la cohérence de la stratégie canadienne de lutte contre les changements climatiques.
Le premier ministre, Justin Trudeau, a pris lui-même le micro mardi, en fin de journée, pour annoncer que son gouvernement approuvait la construction de l’oléoduc Trans Mountain et l’expansion de la Ligne 3, deux projets majeurs conçus pour faciliter l’exportation d’une production pétrolière en croissance en Alberta. De quoi ajouter un million de barils par jour aux exportations canadiennes.
« Aujourd’hui, les oléoducs du Canada sont utilisés à pleine capacité. Cela veut dire que, si la production augmente de façon significative, nous serons forcés de trouver d’autres moyens d’acheminer le pétrole qui sont moins sûrs que les oléoducs », a fait valoir M. Trudeau, citant l’exemple du transport ferroviaire pour justifier le feu vert du fédéral. Le chef libéral a ainsi repris à son compte un argument cher à l’industrie des oléoducs, qui ne cesse de l’utiliser depuis la tragédie survenue à Lac-Mégantic, en 2013.
Pour les entreprises du secteur des énergies fossiles, il s’agit d’ailleurs d’une excellente nouvelle. Après tout, malgré le préjugé très favorable de l’ancien gouvernement conservateur, aucun oléoduc majeur n’a été construit au Canada au cours des 10 dernières années. Et, même si le gouvernement Trudeau a fermé, mardi, la porte à un projet autorisé par le gouvernement Harper, Northern Gateway, il a tout de même donné son aval à Trans Mountain, évalué et recommandé par l’Office national de l’énergie en vertu de règles fixées essentiellement par les conservateurs.
Qui plus est, les libéraux ont mobilisé pas moins de cinq ministres pour l’annonce faite mardi, en plus de ceux qui ont maintenant la tâche de « vendre » le projet, notamment en Colombie-Britannique. Une mission de promotion qui sera appuyée, la semaine prochaine, par la première ministre albertaine, Rachel Notley, qui doit justement se rendre sur la côte ouest pour ajouter sa voix à celle des promoteurs de l’oléoduc Trans Mountain, de Kinder Morgan. Un projet rejeté par plusieurs dans la province voisine de l’épicentre de l’exploitation de l’or noir au Canada.
Pour l’Alberta
Il faut dire que cette « voie ensoleillée » pour l’industrie pétrolière est avant tout une bonne nouvelle pour l’Alberta. « Nous avons une chance de sortir de notre enclave, s’est d’ailleurs réjouie Mme Notley, cette semaine. Nous avons une chance de vendre vers la Chine et vers d’autres marchés, et ce, à de meilleurs prix. » Des arguments de mise en marché qui font déjà partie du discours des partisans d’Énergie Est. Au nom de la prospérité de l’industrie et, par ricochet, de l’économie du pays, les provinces doivent accepter de devenir des plaques tournantes pour l’exportation pétrolière.
La politicienne albertaine a toutefois affirmé que les nouvelles infrastructures de transport n’entraîneraient pas une hausse de la production des sables bitumineux. En effet, puisque la hausse était déjà prévue et qu’elle nécessite la construction d’oléoducs, en raison de la saturation du réseau ferroviaire. Les différentes données disponibles font état d’une hausse de 40 % pour les sables bitumineux d’ici 2025, soit une production qui sera alors de 3,4 millions de barils par jour, contre 2,4 millions aujourd’hui. Et la croissance devrait se poursuivre par la suite, selon l’Association canadienne des producteurs pétroliers.
Cette croissance est compatible avec la protection du climat, selon M. Notley, en raison du « leadership » albertain en matière de lutte contre les changements climatiques. La province a ainsi imposé un plafond d’émissions annuelles de 100 millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES) à l’industrie des sables bitumineux, qui se situe présentement à 70 millions de tonnes. Mais, avec une croissance prévue de 50 % dans le secteur d’ici 2030, à quoi faut-il s’attendre ?
Les deux projets d’expansion approuvés cette semaine vont, quant à eux, de pair avec des émissions totales situées entre 24 et 28 millions de tonnes, et ce, uniquement pour les GES imputables à la production pétrolière. De quoi annuler l’effet de la fermeture accélérée des centrales au charbon et d’une taxe sur le carbone qui serait de 50 $ en 2030. Mais, selon Oil Change International, si on inclut les émissions liées à l’utilisation de ce pétrole, les GES totaux annuels atteindraient près de 200 millions de tonnes. Bref, on s’éloignerait encore plus d’une éventuelle réduction des GES.
Incohérence
La guerre des chiffres risque de se poursuivre entre partisans et opposants de ces projets, mais une chose demeure : Justin Trudeau s’est engagé à prendre les mesures nécessaires pour que le Canada réduise ses GES de 30 % d’ici 2030, par rapport à 2005. Cela signifierait de les ramener à 524 millions de tonnes, par rapport aux 732 millions de tonnes actuelles. Autant dire qu’il s’agit d’un projet ambitieux, surtout pour un pays où la croissance des GES est constante et alimentée en grande majorité par le secteur des énergies fossiles.
Même si M. Trudeau estime que l’autorisation de nouveaux oléoducs s’inscrit parfaitement dans le plan climatique du Canada, la spécialiste des changements climatiques, Catherine Potvin, juge qu’il n’existe « aucune cohérence » entre les annonces de cette semaine et la réalité climatique.
En s’appuyant sur les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), elle croit que le Canada fait fausse route en s’engageant ainsi à long terme avec l’industrie pétrolière. Après tout, souligne la scientifique, les oléoducs qui seront mis en exploitation dès 2019 sont conçus pour être utilisés pendant plusieurs décennies, alors même qu’il faudrait plutôt mettre en place un plan à long terme de réduction de la production pétrolière au pays.
Michel A. Bouchard, du McGill-UNEP Center for Environmental Assessment, estime pour sa part que le Canada n’atteindra tout simplement pas ses cibles de réduction de GES pour 2030. « On ne voit pas de vision stratégique de la part du gouvernement. Il n’y a, pour le moment, aucun calcul rigoureux pour nous convaincre. » Selon lui, il faudra surveiller ce qui ressortira de la rencontre, prévue le vendredi 9 décembre, entre Justin Trudeau et les premiers ministres des provinces pour savoir si le Canada a véritablement un « plan » crédible de lutte contre les changements climatiques.
Doutes
Reste aussi à voir si les oléoducs autorisés cette semaine seront bel et bien construits. Même la leader conservatrice, Rona Ambrose, a émis des réserves cette semaine, après le feu vert du gouvernement Trudeau. Selon elle, l’opposition risque d’être forte. Même son de cloche du côté du directeur principal d’Équiterre, Steven Guilbeault, qui croit que l’oléoduc Trans Mountain « ne sera jamais construit ».
Des Premières Nations pourraient notamment lancer des procédures, comme cela s’est vu pour d’autres projets ailleurs au pays. Des groupes écologistes et citoyens de la côte ouest promettent eux aussi de contester l’autorisation d’Ottawa, accordée malgré une forte opposition, notamment de la Ville de Vancouver et de la Ville de Burnaby. C’est là que les 890 000 barils de pétrole par jour seraient chargés à bord de pétroliers, à raison de 34 navires par mois.
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OLÉODUCS
Démission climatique au nom du pétrole?
L’approbation de deux nouveaux oléoducs complique les choses pour le plan de lutte contre les bouleversements du climat
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