Défense de la question nationale

Vigile


Si on se fie aux commentateurs, le bilan de la dernière élection fédérale serait clair : la question nationale serait remplacée par le débat entre la gauche/droite qui renouvellerait profondément les termes du débat politique. C’est d’ailleurs l’interprétation qu’on en fait au Canada anglais, où on s’excite à l’idée d’un souverainisme enfin vaincu. Même les plus conservateurs applaudissent le tsunami du NPD qu’ils s’imaginent avoir dévasté le séparatisme.
Vrai, le Canada vient de s’émanciper du cycle de Meech. La lutte à finir, qui s’était transformée en « drôle de guerre » entre les souverainistes et les trudeauistes, prend fin par l’effondrement commun des belligérants. Le Bloc et le PLC disparaissent de la carte électorale. Nous changeons d’époque. La question nationale ne sera plus fondatrice de l’espace politique canadien. D’autant plus que le Parti conservateur comme le NPD n’ont pas de liens historiquement privilégiés avec le Québec.
Le train de la normalisation idéologique est en marche. Ce nouveau clivage gauche/droite, plusieurs veulent l’importer à Québec, surtout ceux qui n’en finissent plus de faire des incantations aux « vraies affaires ». C’est le cas de la nouvelle droite qui entend centrer exclusivement le débat public sur la critique du modèle québécois. C’est le cas aussi de l’ADQ qui a sacrifié son héritage nationaliste sous la direction de Gérard Deltell et qui concurrence maintenant le PLQ dans la défense du fédéralisme. C’est enfin le cas de Québec solidaire, dont l’indépendantisme est strictement instrumental.
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Soyons clairs : le débat gauche/droite a évidemment sa place au Québec. Le modèle québécois implose, la dette caracole, les services de santé sont débordés, l’éducation vire au désastre. Il nous faut les investir sérieusement dans l’espace public pour éviter que notre société ne régresse, ne s’affaisse. De même, la définition de la question nationale héritée de la Révolution tranquille est désuète et semble encore prisonnière du schème référendaire. Mais cette définition n’est pas la seule possible.
La relation Canada-Québec demeure dysfonctionnelle - on peut même en voir un symptôme dans l’appui au NPD. Les déterminants objectifs de la question nationale ne disparaîtront pas d’un coup. Les années à venir le confirmeront. Par exemple, si les conservateurs ne sont pas pressés d’intervenir dans les champs de compétence du Québec, un gouvernement issu d’une fusion entre le NPD et le PLC ferait certainement autrement. De même, la Cour suprême continuera d’exercer son hégémonie sur les questions identitaires. Si le Parti Québécois gagne les prochaines élections et applique son programme sur les questions de langue et de laïcité, le Québec entrera en contradiction avec l’ordre canadien issu de 1982. Ceux qui veulent en finir avec la question nationale seront devant un conflit de loyautés. Sauront-ils se ranger sous la bannière du Québec d’abord ?
On me permettra une banalité. Le poids politique du Québec dans le Canada régresse. Le Parti conservateur est d’ailleurs parvenu à constituer une majorité parlementaire sans lui. Et d’ici les prochaines élections fédérales, une trentaine de sièges s’ajouteront au Canada anglais. À moins de consentir à leur minorisation définitive, les Québécois ne peuvent faire comme si leur appartenance au Canada ne posait fondamentalement aucun problème. Le mouvement nationaliste a ici une responsabilité majeure, celle de reconstruire une analyse actualisant les fondamentaux de la question nationale dans une nouvelle époque.
Les Québécois devraient se garder d’une adhésion béate au Canada et continuer de considérer l’indépendance comme une option légitime pour éventuellement sortir d’un régime qui joue contre eux. Le débat gauche/droite doit émerger mais il doit s’acclimater à la question nationale sans s’exaspérer de son importance, sans chercher à la censurer. À moins que ce débat gauche/droite ne représente qu’une fuite en avant pour s’affranchir de la condition québécoise, comme si elle était devenue trop exigeante à assumer. Si tel était le cas, il y aurait de bonnes raisons d’être pessimiste sur l’avenir d’un peuple démissionnant de sa condition historique et cautionné par des idéologues ayant perdu le sens de la réalité.
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Mathieu Bock-Côté, Échos Montréal, vol.18, no5, mai 2011, p.5


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