Revue de presse

D'un front à l'autre

Vimy

Le contraste était saisissant en début de semaine. Les médias canadiens-anglais, contrairement à ceux du Québec, n'en avaient que pour le 90e anniversaire de la bataille de Vimy. La raison en est simple, explique Michael Valpy dans le Globe and Mail. Vimy est un véritable mythe au Canada anglais. Il ne s'agissait pourtant que d'une bataille d'importance secondaire, menée sur une obscure colline française. Il n'y avait que des combattants canadiens sur cette crête, c'est vrai, mais dans les livres d'histoire militaire, elle se résume à une victoire tactique après une horrible bataille, celle d'Arras, que les Britanniques et leurs alliés ont perdue. Mais voilà, elle «a été transformée en un moment déterminant de la transformation du Canada en nation».

Selon Valpy, «la propagande canadienne -- il n'y a pas d'autre mot -- a occulté la participation des officiers, des tacticiens, des artilleurs et même de l'infanterie britanniques». Les grands journaux britanniques et américains de l'époque n'avaient-ils pas attribué la victoire aux Canadiens? De l'avis du journaliste, plusieurs facteurs ont permis de faire de la bataille de Vimy un mythe fondateur. Il s'agissait de la première victoire alliée dans une guerre qui durait depuis déjà trop longtemps. Pour la première fois, toutes les unités canadiennes étaient réunies et ont réussi là où les Français et les Britanniques avaient échoué. Ce fait d'armes, avec son mélange d'espoir et de deuil, survenait alors que bourgeonnaient un nationalisme proprement canadien-anglais et un désir d'affranchissement du lien colonial. La bataille de Vimy est devenue le symbole unificateur de ces élans. Le monument commémoratif, différent de tous ceux érigés par les autres pays, a conféré un visage tangible à cette volonté d'affirmation.
Mais les célébrations de lundi ont été assombries par la mort de six soldats canadiens en Afghanistan. Plusieurs commentateurs n'ont pas manqué de faire le lien entre les deux événements. La plupart d'entre eux invitaient à la réflexion sur cette nouvelle mission. Les Canadiens voient déjà une grande différence entre ces deux campagnes militaires. Selon un sondage réalisé pour l'Institut Dominion, la majorité des Canadiens croient que dans 90 ans, la mission afghane ne sera qu'une note dans les livres d'histoire, rapporte le Calgary Herald. Et ce ne sont pas les Québécois qui sont les plus nombreux à penser ainsi mais les Canadiens des Prairies.
Le doute
Linda McQuaig n'a pas manqué de noter la rapidité avec laquelle Stephen Harper et les militaires ont fait le lien entre Vimy et l'Afghanistan. L'enjeu, ici, n'est pas le courage dont ces hommes ont fait preuve mais «l'utilisation de leur souvenir par le gouvernement Harper pour glorifier la guerre, pour renforcer la notion selon laquelle la guerre permet d'ériger des nations ["the great nation-builder"]». La guerre, dit-elle, est le plus grand échec de l'être humain, mais on la transforme en grandeur. Elle préférerait voir la nation canadienne se bâtir autour de programmes et d'institutions au service des citoyens, le genre de programmes qui, dit-elle, déplaît aux conservateurs. «Il semble que sous Harper, nous bâtirons notre nation avec des housses mortuaires ["body bags"]», conclut-elle durement.
Selon Chantal Hébert, du Toronto Star, la mort de ces soldats devrait inciter le premier ministre Harper à éviter à tout prix des élections printanières. L'incertitude qui entoure le sort de la mission afghane après 2009 peut devenir l'enjeu susceptible de raviver le malaise que suscite chez plusieurs l'idée d'un gouvernement Harper majoritaire. Malgré ses prétentions, Harper reste le plus ambigu au sujet de l'avenir de la mission. Les autres partis ont tous établi qu'ils ne la prolongeraient pas. Le gouvernement n'a pas davantage indiqué comment il y mettrait fin. Si les élections devaient se transformer en référendum sur la guerre en Afghanistan, les bloquistes en tireraient profit alors que la position des libéraux et des néo-démocrates serait renforcée. Encore plus grave, ce serait un message aux talibans pour qu'ils accentuent leurs pressions.
Mais débat il doit y avoir, insiste Susan Riley, du Ottawa Citizen, à la veille de la reprise des travaux parlementaires lundi. S'il faut se fier au passé, il faut s'attendre, dit-elle, à ce que le premier ministre accuse de traîtrise et de non-patriotisme quiconque l'interrogera sur la justesse de la stratégie adoptée. Pourtant, les questions abondent. À son avis cependant, ces décès ne suffiront pas à provoquer une forte opposition à la guerre. L'heure de vérité sonnera quand viendra le temps de décider de prolonger ou non cette mission.
De la guerre au glamour
Une seule nouvelle a rivalisé en popularité avec Vimy et les morts en Afghanistan: l'annonce par Belinda Stronach de son retrait de la vie politique. Textes, analyses, éditoriaux: on a abondamment commenté. Pas toujours gentiment, d'ailleurs. Au point où plusieurs quotidiens sont passés complètement à côté de l'annonce faite le même jour par le gouvernement conservateur selon laquelle un ancien ministre péquiste enquêtera sur les contrats de sondages d'opinion attribués par Ottawa entre 1990 et 2003, y compris ceux accordés pendant la campagne référendaire de 1995.
Ce n'est qu'hier que les premiers commentaires se sont fait entendre. Selon le Globe and Mail, le ministre des Travaux publics, Michael Fortier, joue avec le feu en confiant cette tâche à un ancien membre du même gouvernement qui avait déclenché le processus référendaire. Le Globe avoue son incrédulité. Il en conclut que les conservateurs agissent de la sorte «seulement pour essayer de salir les libéraux». Le Toronto Star doute tout autant de l'utilité de cet examen que du choix de Daniel Paillé. Et y a-t-il problème à creuser?, demande le Star. «Voilà un choix imprudent pour une enquête douteuse. C'est une source d'embarras à l'échelle du pays», conclut le quotidien.
mcornellier@ledevoir.com


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