Cybersanté: des infos pour l'Oncle Sam

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Santé - dossier électronique


Le Dr André Simard, directeur des projets au Dossier de la santé électronique du Québec, dans la salle des nouveaux ordinateurs, à Montréal, où seront conservés une partie importante des dossiers électroniques des patients.

Photo André Pichette, La Presse
André Noël - Le dossier de santé électronique sera lancé dans quelques semaines à Québec, d'abord à titre expérimental. Le ministère de la Santé espère l'étendre dans toute la province dès 2009.

«Le Québec fera figure de pionnier», souligne Alain Larochelle, vice-président d'Émergis-Telus, une des firmes qui informatisent le réseau. «Il est grand temps que le dossier électronique aille de l'avant», dit le ministre Philippe Couillard. Des questions demeurent. Pourquoi ne pas chercher le consentement explicite des patients avant de faire circuler leurs données confidentielles sur le web? N'y a-t-il pas des risques que des personnes non autorisées les obtiennent?
En vertu du USA Patriot Act, le FBI américain pourrait accéder aux renseignements personnels des Canadiens contenus dans les dossiers de santé électronique, dès que ceux-ci seront détenus par des entreprises ayant des liens avec les États-Unis, prévient un document d'Inforoute Santé du Canada, organisme créé par le gouvernement canadien.
«L'article 215 de cette loi permet au FBI (la police fédérale américaine) d'obtenir l'accès à des renseignements personnels à l'aide d'un mandat secret dans le cadre d'enquêtes sur le terrorisme international», souligne un livre blanc publié l'année dernière par cet organisme qui réunit tous les ministres de la Santé du pays.
«Cela donne aux autorités américaines chargées de l'application de la loi le pouvoir d'accéder aux renseignements personnels d'un Canadien dans des dossiers détenus par une entreprise ayant des liens avec les États-Unis, notamment une société canadienne faisant affaires aux États-Unis», ajoute Inforoute Santé du Canada, qui cherche à faciliter la transmission des Dossiers de santé électronique (DSE).
La plupart des entreprises qui implantent le DSE au Québec appartiennent en tout ou en partie à des sociétés américaines, ou font affaire aux États-Unis. C'est le cas de Bell Canada, qui a été achetée par un consortium comprenant des banques d'investissement américaines. Sa filiale Xwave Solutions a le contrat le plus important du DSE du Québec.
Le Dr André Simard, directeur des projets au DSE-Québec, assure que seuls les professionnels de la santé québécois autorisés pourront avoir accès aux dossiers médicaux informatisés des Québécois. «Ces dossiers ne sortiront pas du Québec, a-t-il dit au cours d'un entretien. Les Américains ne pourront pas les consulter.»
Inforoute Santé du Canada se montre moins catégorique. Financé par le gouvernement fédéral, cet organisme assume la moitié des coûts des DSE des provinces. Sa contribution au Dossier de santé du Québec, qui coûtera 562 millions, s'élèvera à 303 millions, les 259 millions restants étant payés par le gouvernement du Québec. En contrepartie, le gouvernement fédéral a son mot à dire dans l'instauration des normes.
Le gouvernement canadien souhaite que les DSE soient ainsi bâtis que les informations puissent circuler d'une province à l'autre, et même à l'étranger. «Un des présumés avantages de l'infostructure de DSE est qu'on pourra facilement obtenir les renseignements personnels sur la santé d'un patient en déplacement», fait valoir le livre blanc d'Inforoute Santé du Canada.
Une norme a été conçue à cet effet sous le nom de «Informatique de la santé - Lignes directrices sur la protection des données pour faciliter les flux transfrontières d'information sur la santé». Elle renferme les principes qui devraient être respectés lorsque des renseignements personnels sur la santé traversent les frontières internationales.
«Les flux de données transfrontières vers les États-Unis soulèvent des questions supplémentaires, ajoute le document. Le USA Patriot Act (adopté après les attentats du 11 septembre 2001) continue d'être une source de préoccupation de la part des dépositaires de renseignements personnels sur la santé.»
On a pu mesurer l'impact des lois de sécurité de nos voisins dans un tout autre domaine, lorsque la société texane Bell Helicopter a dû transmettre la liste de ses employés de son usine de Mirabel, au nord de Montréal, aux autorités américaines. Des employés disent avoir ensuite été congédiés parce qu'ils avaient une nationalité jugée suspecte pour une usine qui fournit du matériel à l'armée américaine.
Préoccupé par l'arsenal juridique américain, Inforoute Santé du Canada invite les gouvernements provinciaux à «accorder une attention particulière à la négociation de contrats avec les fournisseurs de services d'un DSE». Il est difficile de savoir si le ministère de la Santé du Québec a accordé cette attention lorsqu'il a conclu le contrat avec Bell Xwave: le Dr Simard ignorait la mise en garde concernant le USA Patriot Act quand La Presse l'a rencontré. Le contrat n'est pas accessible.
Bell Canada Enterprise (BCE) était une entreprise presque entièrement canadienne lors de la conclusion de ce contrat, l'année dernière. Bientôt, ce ne sera plus le cas. Le 9 avril dernier, le ministre fédéral de l'Industrie a autorisé la vente de BCE à un consortium formé du fonds de retraite des enseignants de l'Ontario et de trois banques d'investissement américaines: Providence Equity Partners, Madison Dearborn Partners et Merrill Lynch Global Private Equity.
Ces trois grandes firmes ont des investissements importants dans des sociétés américaines spécialisées en santé. Merrill Lynch contrôle en partie la société Hospital Corporation of America, le plus grand fournisseur de soins de santé privés au monde. Madison Dearborn a de gros investissements dans Cerner Corporation, une multinationale active dans les technologies de l'information en santé. Providence Equity a des intérêts dans Decision Resources, elle aussi spécialisée dans l'information de la santé.
Les spécialistes en informatique soulignent qu'il est difficile d'empêcher complètement les fuites. Aucun système informatique n'est à l'abri des curieux ou des voleurs d'identité. Au début d'avril, la firme californienne Symantec révélait qu'il y a tellement de vols que les malfaiteurs réduisent les prix. Un numéro de carte de crédit volé peut ainsi être obtenu pour seulement 40 cents, tandis que l'accès frauduleux à un compte bancaire valait 10$ en 2007. Le 12 février dernier, Bell Canada a indiqué qu'un Montréalais avait volé des données relatives à 3,4 millions de ses clients au Québec et en Ontario, dont 170 000 numéros de téléphone confidentiels.
Faits et chiffres
Le Dossier de santé du Québec (DSQ) vise à procurer un dossier informatique à 7,5 millions d'usagers. Il sera accessible à 95 000 professionnels de la santé.
Le DSQ contiendra plusieurs informations: les médicaments pris par les patients, les résultats d'examens de laboratoire et d'imagerie diagnostique, les données immunologiques (les vaccins) et d'urgence, les allergies et les intolérances, les coordonnées des patients et de ses contacts professionnels.
Des logiciels extrairont des données enregistrées dans les hôpitaux, les cliniques, les pharmacies, etc. Le DSQ sera mis à jour à chaque consultation.
Coût du programme

562 millions
Dont 303 millions provenant du gouvernement fédéral par le truchement d'Inforoute Santé du Canada. Le Vérificateur général du Québec estime que son entretien coûtera 85 millions par année.


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