Un taux de fécondité dépassant le taux canadien. Une espérance de vie sans cesse meilleure. Une part croissante d’immigrants. La dernière livrée de statistiques sur la démographie québécoise donne l’impression d’un modèle n’étant plus menacé de déclin. Réalité ou illusion ?
Quand les dernières données sociodémographiques de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) ont été publiées cette semaine, Richard Marcoux a vécu un intense moment de plaisir. Le plaisir du sociodémographe. « Scruter tous ces chiffres et essayer de voir ce qu’ils révèlent, c’est vrai, c’est un bonheur pour moi. »
Professeur à l’Université Laval, directeur de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone, le démographe dirigeant aussi les Cahiers québécois de démographie a particulièrement apprécié dans ce bulletin livré mardi l’unicité de la démarche comparant la démographie québécoise à celle des autres provinces.
En s’attardant aux trois vecteurs principaux de la démographie - le taux de fécondité, l’espérance de vie et la migration internationale - les chercheurs de l’ISQ ont démontré que la position du Québec dans l’ensemble canadien s’améliorait. Avec un nombre moyen d’enfants par femme plus élevé au Québec que dans l’ensemble du Canada (du jamais vu depuis 1960), une espérance de vie ayant rattrapé celle de la moyenne canadienne et des gains notables du Québec dans sa part des mouvements migratoires, la conclusion de l’ISQ est tournée vers le futur : ces derniers chiffres permettraient de rompre avec les tendances démographiques observées jusqu’alors, lesquelles « laissaient entrevoir une croissance québécoise moitié moindre que celle du reste du Canada d’ici 2036 ».
À propos du taux de fécondité (1,69 enfant par femme au Québec en 2011 par rapport à 1,61 pour l’ensemble canadien), Richard Marcoux observe ceci : « On voit à quel point la fécondité est sensible aux fluctuations économiques. Partout au Canada, la crise économique de 2008 a fait chuter les courbes, un phénomène qu’on observe aussi aux États-Unis et en Europe. Mais le Québec a connu une baisse moins importante et par la suite un retour à la hausse plus grand, ce qui le place en meilleure posture que les autres. » Pourquoi ? « C’est évidemment lié aux investissements des dernières années, d’abord dans les services de garde à prix modique, puis dans les congés parentaux. On peut le dire : nos programmes sociaux ont permis de dégager une tendance distincte. »
Au point où le démographe constate que ces nouveaux indicateurs nous rapprochent tranquillement d’indices de fécondité semblables à ceux des pays de l’Europe du Nord, tels la Finlande ou le Danemark, souvent cités en exemples.
« Mais à 1,69 enfant par femme, nous sommes encore loin du seuil de remplacement des générations, et surtout des aspirations des Québécois lorsqu’ils sont questionnés sur le nombre d’enfants qu’ils souhaitent avoir. Bref, on a encore des efforts importants à faire », note M. Marcoux.
Naissances stables
Si un meilleur indice de fécondité est sans doute intimement lié à un effet de nos politiques familiales, cela ne crée pas nécessairement un trafic plus imposant dans les pouponnières, note Luc Godbout, professeur et directeur du Département de fiscalité à l’Université de Sherbrooke. « Depuis 2009, le taux de fécondité est meilleur, mais on est toujours grosso modo à 88 000 naissances par année, explique-t-il. Les gens l’ont sans doute moins réalisé, mais les femmes en âge de procréer ont diminué. Ce bassin-là de la population est en chute constante depuis le début des années 90, alors le nombre relatif de naissances reste le même. »
Luc Godbout tourne son regard d’économiste vers le fait que l’année 2013 marque un tournant d’importance dans l’avenir du Québec. « 2013, c’est l’année où la cohorte des 15-64 ans, hommes et femmes, commence son déclin. Ça veut dire que notre bassin de travail est en contraction à partir de maintenant. »
Cette population en âge de travailler revêt une importance capitale pour une société soucieuse d’une bonne santé économique. « Quand on est dans une société jeune avec une pyramide des âges équilibrée, on a des travailleurs qui vont permettre de générer des recettes fiscales pour l’État », explique le professeur Godbout. Puisque la croissance naturelle ne suffira pas à infléchir la tendance démographique, « beaucoup de notre avenir économique se jouera dans la migration internationale. »
Le défi de l’immigration
Tout naturellement, les yeux du démographe Richard Marcoux se tournent aussi vers les données touchant les mouvements migratoires. La comparaison avec l’Ontario lui paraît riche d’enseignements. « En 1951, avec un indice de fécondité relativement semblable, le Québec et l’Ontario avaient des populations similaires (quatre millions d’habitants pour le Québec, 4,5 millions pour l’Ontario). En 2012, on remarque quoi ? Le Québec est à huit millions et l’Ontario, à 13 millions. Celui-ci a triplé sa population pendant que le Québec la doublait, et simplement avec un apport important de l’immigration. »
L’Ontario a souvent accaparé 50 % de la migration totale canadienne mais, depuis le début des années 2000, sa part est en déclin constant (60 % en 2001 et moins de 40 % en 2012). Le Québec, lui, tire mieux son épingle du jeu (19 % environ jusqu’à 2010, puis 21,4 % en 2012). « Pour moi, quand on parle du Québec au sein du Canada et de sa capacité à conserver son poids dans la fédération, l’enjeu se jouera dans sa capacité à accueillir des immigrants internationaux », affirme Richard Marcoux, qui se dit partisan du maintien ou même de l’augmentation des seuils d’immigration au Québec « dans la mesure où l’on met en place des mesures soutenant leur intégration au travail et des programmes de francisation ». « Je crois que le temps est venu d’investir autant d’énergie et d’argent dans des programmes d’intégration des immigrants qu’on en a investi pour nos politiques familiales. »
Croître, pourquoi?
Mais la population doit-elle à tout prix augmenter ? Pour l’ancien commissaire au développement durable Harvey L. Mead, les tons jovialistes empruntés au moment de dévoiler les dernières livrées statistiques ne sont pas de mise. Dans un texte de Libre opinion publié cette semaine dans Le Devoir, il affirme : « Y a-t-il une limite souhaitable à notre population ? […] Désirons-nous, devrions-nous cibler une population québécoise de 10 millions ? de 16 millions ? de combien ? »
L’atteinte aux écosystèmes, la frénésie consommatrice, l’équilibre parfois fragile entre les populations et les moyens de subsistance, ce qu’on appelle aujourd’hui le développement durable, sont au coeur d’un débat philosophique d’une importance extrême, concède Richard Marcoux. « La croissance démographique en soi n’est pas un danger. C’en est un, bien sûr, si l’on ne se préoccupe pas des enjeux sociaux et environnementaux qui vont de pair avec l’augmentation d’une population. Mais avons-nous besoin d’une croissance démographique ? Comme société francophone en Amérique du Nord, qui est passée d’une importance de 27 % à 19 % dans l’ensemble canadien, je le dis sans hésitation : oui. »
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