Controverse à Jérusalem-Est: les manuels scolaires de la discorde

Géopolitique - Conflit israélo-palestinien



Janie Gosselin La Presse (Jérusalem) La guerre des mots entre Israéliens et Palestiniens ne date pas d'hier. Mais pour les parents des élèves de Jérusalem-Est, la bataille est allée trop loin. Dans les espaces vides laissés dans une version éditée des livres scolaires, ils voient une volonté d'effacer leur version des faits. Mais les Israéliens estiment plutôt que les passages retranchés incitaient à la violence. Portrait d'une controverse.
Au premier regard, les deux livres semblent identiques. Même couverture, même titre en arabe, même illustration. Mais en les comparant, le lecteur a l'impression de jouer au jeu des sept erreurs. Ici, un drapeau palestinien a disparu de sa hampe.
Là, un espace blanc a remplacé un mot, une phrase ou un paragraphe à l'intérieur d'un texte. À d'autres endroits, seuls le titre de la leçon et le numéro de la page sont toujours visibles.
Les manuels, produits par l'Autorité palestinienne, ont été réédités cette année par la municipalité de Jérusalem et le ministère de l'Éducation israélien. Des passages jugés problématiques ont été effacés - notamment sur l'utilisation du mot «jihad», sur le «droit du retour» ou sur les «martyrs». Ces nouvelles versions sont utilisées dans les écoles publiques administrées par Israël et dans les écoles privées subventionnées en partie par l'État hébreu, soit plus de la moitié des établissements.
Au cours des dernières années, les responsables israéliens ont apporté des changements aux livres en apposant des autocollants et en caviardant des mots à l'encre noire. Mais les nouvelles modifications sont plus importantes et ont provoqué la colère des parents. Ces derniers ont entrepris de remplacer les livres par leur version originale, avec l'aide de l'Autorité palestinienne, qui leur a donné des copies originales.

«Israël a enlevé beaucoup de notre histoire et de notre identité, estime le président de l'Association des parents, Abdel Karim Lafi. Ils ont enlevé des mots dans des poèmes. C'est très stupide. Ça enlève tout le sens au texte, ça le rend incompréhensible.»

Les enfants utilisent donc la version intégrale à la maison et dans certaines écoles. Des professeurs hésitent toutefois à laisser de côté la version éditée, craignant pour leur emploi dans les écoles israéliennes, selon des responsables du milieu scolaire. Les changements rendent la situation «chaotique d'un point de vue pédagogique», dit Sawsan Safadi, responsable des relations publiques pour un organisme qui sert notamment de pont entre la communauté de Jérusalem-Est et le ministère de l'Éducation de l'Autorité palestinienne.
De son côté, Israël estime les changements nécessaires. L'expert du contre-terrorisme Moshe Marzuk a été engagé par la municipalité de Jérusalem pour réviser les livres et apporter les changements. «Les livres étaient remplis d'incitation à la violence et décrivaient des choses que personne ne peut permettre pour des enfants de 6 à 18 ans, dit-il. Nous n'avons rien changé, seulement effacé les passages qui utilisaient la violence. La majorité du contenu est restée intacte.»
Il déplore également l'absence de référence à Israël dans le livre. «Je ne vois nulle part une phrase qui dit que les Juifs ont ou ont eu des droits ici», ajoute-t-il, ajoutant qu'il ne fait que tenter de rendre les livres «moins violents».
Il avoue cependant que les changements peuvent attiser la curiosité des enfants, qui cherchent à savoir quel passage a été supprimé, et rendre la lecture difficile. Mais il renvoie la balle à l'Autorité palestinienne, responsable du programme depuis le début des années 2000.
Du côté palestinien, les parents et responsables craignent qu'il ne s'agisse que de la pointe de l'iceberg. «Je crois que ce n'est qu'un indice pour voir comment nous réagirons et que ça mènera à d'autres changements, dit Sawsan Safadi. C'est un conflit de perceptions, sur la façon dont chacun regarde les mêmes problématiques. Quand nous regardons les parties effacées, nous voyons que ça touche notre identité nationale et notre héritage.»


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