Une minorité, même agissante et déterminée, peut-elle indéfiniment terroriser une majorité, fût-elle languissante et fatiguée ? Ce fut longtemps le cas dans le monde universitaire, quoique de modestes velléités de résistance aient fini par voir le jour. Aujourd’hui, quelques dizaines de professeurs paraissent se rebeller pour de bon, réunis en un Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires ; d’où une pétition mise en ligne et une couverture du Point faisant les gros titres de leur combat.
Inutile de rappeler que les théories indigénistes ne reposent sur rien de concret, que ce soit en matière historique, scientifique et statistique. Peu importe, l’argument d’autorité – l’antiracisme, en l’occurrence – a longtemps suffi à faire taire les récalcitrants : bourgeois tenaillés par la trouille du déclassement ou tout simplement hantés par la frousse de ne plus être dans le coup.
Pour mieux les réduire au silence, cet argument autrefois utilisé dans les milieux de gauche, quand cette question était immanquablement posée dès lors que s’envenimait le débat : « D’où parles-tu, camarade ? » Ce qui signifiait que l’origine sociale présumée de tel ou tel suffisait à délégitimer son propos. Pour pertinent qu’il ait pu être parfois, cet argument a désormais atteint ses limites dialectiques, tel qu’en témoigne (dixit Le Point) « cette enseignante empêchée de prendre ses fonctions de spécialiste de l’histoire de l’esclavage à La Réunion, au motif qu’elle n’y serait pas née et n’aurait donc aucun droit à écrire cette histoire ». Là, ce ne sont plus les « limites dialectiques » qu’on atteint mais celles de la folie clinique.
Car à en croire ces gens, il faudrait donc être noir pour parler des Noirs, mais ce qui n’empêcherait pas certains Noirs de parler (en mal, généralement) des Blancs. À ce compte, faut-il être gay pour évoquer l’homosexualité ? Être juif pour dire son mot sur Israël ? Catholique pour vanter ou flétrir le Vatican ? Ou, tant qu’à pousser la logique de l’absurde en ses ultimes retranchements, être raciste avéré pour discourir du racisme présumé ?
Interrogé par ce même hebdomadaire, Pierre-André Taguieff, historien à juste titre reconnu de toutes ces questions, lève un assez joli lièvre en rappelant que nous sommes quasiment passés, là, de la question politique à celle, autrement moins sujette à discussion, de la religion : « Il y a des croyants, des prêtres, une liturgie, des prières, des rites d’entrée. […] L’Église décoloniale dispose aussi de son propre catéchisme, de son propre panthéon avec ses grands prêtres, ses mystères. »
Et notre homme de poursuivre : « Les décoloniaux considèrent que, biologiquement, la race n’existe pas, mais que les identités raciales existent sur le plan social. Donc, la race n’existe pas, mais elle existe quand même. » Bref, « ceci n’est pas une pipe », comme auraient pu confirmer René Magritte ou Brigitte Lahaie. Alors, le décolonialisme ? Ce sont encore les décolonialistes qui en parlent le mieux. Houria Bouteldja, cofondatrice du Parti des indigènes de la République, par exemple : « L’émergence du mouvement décolonial est la plus grande réussite politique, en France, depuis la chute du mur de Berlin et l’apparition du mouvement écologiste. »
On notera qu’une fois de plus, tout cela nous vient de notre américanisme béat. Tant que Johnny Hallyday se prenait pour Elvis Presley, il n’y avait pas mort d’homme. Mais depuis que VGE s’est pris pour JFK, que DSK se voyait Président gaulois après passage au FMI et que notre ancestrale Sorbonne se considère comme filiale de Berkeley ou de Yale, il serait peut-être un peu temps de reconsidérer nos positions.
Que la presse bien-pensante s’y mette enfin, avec un peu de retard à l’allumage, n’est finalement pas une mauvaise nouvelle. Et c’en serait encore une autre, bonne celle-là, d’oser aussi penser par nous-mêmes. C’est-à-dire en Français.
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