Construction - Affronter la peur

Cette infiltration ne peut plus être ignorée

JJC glacé par la peur ou par la faute?


Comment le gouvernement Charest peut-il croire que ses timides efforts pour lutter contre la corruption-collusion-criminalisation qui a cours dans le secteur de la construction soient suffisants pour lutter contre la mafia? Il devra bien finir un jour par passer à la vitesse supérieure.
La présence de la pieuvre, jusque-là murmurée, éclate au grand jour cette semaine: bien documentée dans l'ouvrage Mafia Inc. de nos collègues de La Presse André Cédilot et André Noël; affirmée sans ambages par un sergent de la Gendarmerie royale du Canada dans le cadre d'un procès tenu à Rome sur le clan Rizzuto, qui percevait une ristourne sur l'octroi de contrats de construction au Québec et en déterminait l'attribution.
Devant ces révélations percutantes, il devient de plus en plus gênant pour le gouvernement de refuser de voir qu'un système est en place. La mafia n'est-elle pas, après tout, «une organisation criminelle [...] qui repose sur une stratégie d'infiltration de la société civile et des institutions», comme le résume fort bien Wikipédia? Cette infiltration ne peut plus être ignorée.
Le premier ministre Jean Charest, il l'a redit pour une énième fois hier, a plutôt choisi la voie des enquêtes policières afin «d'amener ces gens-là devant les tribunaux». C'est l'approche au cas par cas, qui a ses vertus quand des gestes précis sont ciblés. Mais ce qui est en cause ici est bien plus insidieux: c'est une manière de faire des affaires qui passe par l'échange de services, et qui fait main-basse sur la gestion même de la collectivité. Et qui, de surcroît, amène un climat de peur pour ceux qui en sont victimes, craignant que l'organisation frappe, au sens premier du terme, si jamais ils venaient à parler.
La mafia, ce n'est pas du cinéma, ni la gang de bandits du coin. Elle est puissante: ceux qui y ont affaire ont intérêt à se taire. Se confesser aux enquêteurs, comme on les appelle publiquement à le faire, n'est pas pour eux une option à envisager.
Pour les politiciens, c'est là un sujet tabou. Quand le gouvernement donne la marche à suivre aux citoyens qui veulent dénoncer des illégalités, il n'évoque jamais ce scénario de la peur. Et le politicien qui y fera allusion pour lui-même ou son entourage, comme le maire de Montréal Gérald Tremblay l'avait fait au Devoir durant la campagne électorale l'an dernier, est accueilli avec tant de scepticisme qu'il s'empresse de retraiter.
Paradoxalement, c'est ce mur du silence qui milite justement pour la tenue d'une vaste enquête publique. Si ceux qui savent pouvaient s'exprimer publiquement, protégés par leur nombre et par la transparence, il y aurait là une vraie guerre contre la peur. Un système ne peut être ébranlé que s'il est totalement mis au jour, avec l'appui du public, plutôt que présenté procès par procès, en tout petits morceaux.
Les enquêtes policières sont indispensables, mais elles sont longues aussi. Pendant qu'elles ont cours, le gouvernement est pris à inventer des solutions pour stopper des magouilles qu'il ne comprend pas bien lui-même, faute de regard global sur la situation sur le terrain. Résultat: du bricolage, comme le démontrait encore hier Le Devoir. Ainsi de la loi 76: mise en place pour contrer les risques de collusion et d'intimidation dans les contrats municipaux, elle a des brèches telles qu'elle en est inefficace.
Les affaires vont donc tout aussi rondement qu'avant la loi; la période de questions à l'Assemblée nationale, elle, tourne en rond; et nous, on nous fait tourner en bourrique.
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jboileau@ledevoir.com


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