Après avoir bloqué il y a sept ans le projet visant à créer une commission pancanadienne des valeurs mobilières, contre lequel s’élèvent depuis longtemps le Québec et l’Alberta, la Cour suprême du Canada lui donne maintenant le feu vert en signalant que les différentes juridictions ont un « droit incontestable et tout aussi souverain » d’y adhérer ou de le refuser. Le gouvernement Legault « comprend » la décision mais demeure catégorique dans son refus de prendre part au régime proposé.
Huit mois après que les juges du plus haut tribunal eurent de nouveau entendu les arguments en audience, ils ont estimé vendredi que le projet d’Ottawa, remodelé comme étant « coopératif » après la défaite de 2011, ne va pas à l’encontre de la Constitution canadienne et qu’il ne va pas au-delà des compétences fédérales en matière de trafic et de commerce.
« Nous tenons à souligner que notre avis consultatif ne porte que sur la constitutionnalité du régime coopératif, ont écrit les neuf juges dans une décision unanime. Il appartient aux provinces de décider s’il est dans leur intérêt d’y participer. Le présent avis consultatif ne prend pas en considération bon nombre des difficultés politiques et pratiques liées à ce régime coopératif, et particulièrement celles qui peuvent se présenter si une juridiction participante décide de se retirer à une date ultérieure. »
En 2011, la Cour suprême avait affirmé que le projet d’Ottawa, un rêve qui remonte aux années 1930, mais qui s’est concrétisé entre les mains de l’ancien ministre Jim Flaherty, allait à l’encontre de la Constitution en raison des compétences déjà reconnues aux provinces en cette matière.
En fermant la porte, les juges avaient cependant ouvert une fenêtre : un régime « coopératif » et volontaire serait envisageable. Une idée qu’Ottawa avait vite fait de récupérer pour relancer son projet. De fil en aiguille, un nouveau plan a été conçu puis ajusté à la lumière des commentaires reçus lors des consultations. Il a également été marqué par des retards dans la publication des règlements puis, compte tenu des débats juridiques, dans sa mise en oeuvre prévue initialement pour 2015.
La Cour suprême est intervenue, car Ottawa a porté en appel un avis publié en 2017 par la Cour d’appel du Québec, laquelle s’est prononcée sur le sujet en réponse à une demande du gouvernement Couillard. Le ministre des Finances de l’époque, Carlos Leitão, avait affirmé que la loi fédérale finirait par s’appliquer « au Québec, même si nous ne participons pas au régime coopératif » et qu’il est « important que la Cour suprême ferme une nouvelle fois cette porte, et ce, de manière définitive ».
Québec réitère son refus
« Nous comprenons la décision rendue par la Cour suprême du Canada, mais nous entendons garder notre autonomie et notre expertise au Québec. Le secteur de la finance est hautement stratégique, et nous garderons toute notre autonomie », a affirmé le ministre des Finances, Éric Girard. « Le Québec demeurera maître de la réglementation en valeurs mobilières du marché québécois. L’Autorité des marchés financiers [AMF] demeurera le régulateur intégré responsable de la supervision de l’ensemble des intervenants du secteur financier québécois. »
Selon un attaché de presse du ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, Ottawa va analyser la décision et veut « entretenir un dialogue constructif » avec les divers gouvernements. « Le régime coopératif se limitant à une participation volontaire, et nous continuerons de respecter les pouvoirs des organismes de réglementation existants des provinces et territoires où le régime coopératif ne s’appliquera pas », a indiqué Pierre-Olivier Herbert dans une déclaration par courriel.
Le projet fédéral a l’appui de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick, de l’Ontario, de l’Île-du-Prince-Édouard, de la Saskatchewan et du Yukon. Un des arguments avancés consiste à dire que la réglementation serait plus efficace sous le parapluie d’une seule autorité pancanadienne au lieu d’une mosaïque de régulateurs qui se coordonnent par le biais des Autorités canadiennes en valeurs mobilières.
Le siège social de l’Autorité de réglementation des marchés des capitaux (ARMC) serait situé à Toronto, alors que des bureaux régionaux seraient institués dans les provinces participantes. De plus, les membres du conseil seraient nommés par les divers conseils des ministres.
Le Québec et l’Alberta font valoir que les provinces devraient continuer à pouvoir réglementer le commerce des valeurs mobilières en raison des particularités régionales qui distinguent les différentes parties du pays. Les deux représentent environ 40 % de la capitalisation boursière canadienne. Entre autres, le milieu des affaires du Québec craint une perte d’expertise dans le domaine de l’encadrement et des affaires juridiques.