Commission Charbonneau - Au tour du PQ d’être éclaboussé

Le PQ aussi ?

La culture de pots-de-vin et de proximité entre la classe politique et les firmes de génie-conseil a rattrapé le Parti québécois (PQ) et son ancien ministre des Transports, Guy Chevrette, mercredi à la commission Charbonneau.
L’organisateur Gilles Cloutier a impliqué M. Chevrette et un de ses amis, Gilles Beaulieu, dans « une magouille » pour que le prolongement de la route 125, dans les Laurentides, soit confié à la firme Roche. En 2001, M. Beaulieu a exigé un pot-de-vin de 100 000 $ simplement pour lui ouvrir les portes du bureau de Guy Chevrette, qui occupait alors les fonctions de ministre des Transports. Sur approbation de son patron, Marc-Yvan Côté, M. Cloutier a procédé au premier versement de 25 000 $; il ignore qui s’est occupé des 75 000 $ restants.
Il n’a jamais parlé d’argent en présence de M. Chevrette. « J’ai fait de la collusion et de la corruption, je me suis servi du ministre », a-t-il dit en fin de journée, visiblement épuisé par sa journée à la barre.
À l’origine, le contrat de la 125 devait être supervisé par la municipalité de Saint-Donat, et il était d’ores et déjà acquis qu’il tomberait entre les mains de Génivar. C’est pour faire casser cette « magouille » que M. Cloutier a investi 100 000 $ dans une rencontre avec le ministre Chevrette. Celui-ci est intervenu pour que la gestion du projet soit confiée à la MRC de la Matawinie. Du coup, Roche pouvait entretenir l’espoir de décrocher ce contrat d’une trentaine de millions.
« Chevrette a enlevé la magouille de Saint-Donat mais, par contre, Cloutier, Chevrette et Roche ont fait une nouvelle magouille. On n’était pas mieux que les gens de Saint-Donat », a-t-il expliqué.
L’ex-vice-président de Roche a réussi à influencer la composition du comité de sélection en y plaçant des maires pour lesquels il avait déjà organisé des élections clés en main, tels que Daniel Brazeau. Celui-ci était maire de Chertsey en 2001. Il fait aujourd’hui du développement des affaires pour Roche. Un autre membre du comité de sélection, Yves Gaillardetz (préfet de la MRC à l’époque), travaille chez Roche.
Sans surprise, la firme a finalement obtenu le contrat.

Un coup pour le PQ
Depuis le début de la commission Charbonneau, c’est la première fois que le PQ est impliqué aussi clairement dans le versement de pots-de-vin par les firmes de génie-conseil.
M. Cloutier a fait trembler tous les partis à l’Assemblée nationale. À l’époque où il était ministre du PQ, François Legault lui a transmis des informations sur des projets à venir dans sa circonscription. « François Legault me disait : “Il va y avoir telle affaire à Sainte-Julienne. Va voir [le maire] Marcel Jetté et regarde ça. Le dossier va sortir d’ici peut-être un an.”», a-t-il expliqué.
Les libéraux ne sortiront pas indemnes du témoignage de M. Cloutier. Après avoir éclaboussé mardi l’ex-ministre Michèle Courchesne et le député Guy Ouellette, M. Cloutier a fait état de pressions exercées sur Jean-Marc Fournier, ministre des Affaires municipales au moment des faits.
Roche avait réussi à mettre dans sa poche le maire de Saint-Stanislas-de-Kotska, Maurice Vaudrin, pour la construction d’une usine de traitement des eaux. M. Cloutier a scellé l’entente en permettant au maire de réaliser l’un de ses rêves. Il l’a invité avec son petit-fils pour un match de hockey du Canadien. Il a même pris des dispositions pour que le grand-père et le petit-fils rencontrent Jean Béliveau. Le célèbre numéro 4 a remis à M. Vaudrin un chandail à son nom dédicacé. Quand Gilles Cloutier a vu les larmes rouler sur ses joues, il a su que le contrat était gagné.
Saint-Stanislas-de-Kostka comptait sur une subvention du ministère des Affaires municipales qui se faisait attendre depuis environ un an. M. Cloutier en a donc parlé avec le ministre Fournier en lui disant : « Jean-Marc, fais ton possible. » Environ quatre ou cinq mois plus tard, le maire Vaudrin obtenait sa subvention.

Stratégies élaborées
Roche avait développé des stratégies élaborées pour atteindre les élus, les dorloter et influencer l’octroi des contrats dans les municipalités. Son cocktail pour le match inaugural des Expos était si couru que Gilles Cloutier devait gérer une liste d’attente.
Le coût pouvait grimper jusqu’à 140 000 $ pour 200 invités de prestige. Les élus savaient pertinemment qu’ils étaient invités par la firme de génie-conseil. Ils se bousculaient quand même au portillon. « Ça grossissait tout le temps, même les maires réservaient d’avance pour avoir leur place », a dit M. Cloutier.
La commission a présenté une vidéo de douze minutes du dernier cocktail, le 9 avril 2004. On y voit Gérald Tremblay sur la tribune d’honneur. Contrairement à ce que l’ex-maire de Montréal a affirmé lors de son témoignage, Gilles Cloutier ne semble pas « abrasif » à son égard. L’ex-maire disait passer en coup de vent, pour une dizaine de minutes, dans ce genre d’événements. Il est resté au moins une heure, selon Gilles Cloutier. La plupart des membres du comité exécutif étaient aussi présents.
Les élus assistaient au cocktail, entre autres pour avoir la chance de rencontrer des ministres et de faire avancer leurs demandes de subvention. Pour Roche, c’était l’occasion de remercier ses meilleurs clients et de tisser des liens avec de nouveaux donneurs d’ouvrage potentiels.
La firme avait aussi développé des politiques internes pour attirer et fidéliser ses clients du monde municipal. Au nom du développement des affaires, Roche donnait des cadeaux aux élus et multipliait les attentions pour aller au-devant de leurs besoins.
Des documents internes de la firme affirment noir sur blanc que la stratégie consiste à « influencer le promoteur (client) sur le processus d’appel d’offres, la grille (critères) d’évaluation des soumissions, les membres du comité de sélection, les firmes invitées à soumissionner, etc. ».
L’influence de la firme ne s’arrêtait pas là. Roche plaçait régulièrement des directeurs généraux dans les municipalités où elle brassait des affaires.
Dessau, où M. Cloutier a travaillé de 2006 à 2009, en faisait tout autant. Selon Gilles Cloutier, l’ex-vice-président de Dessau, Rosaire Sauriol, a amorcé les démarches pour que la Ville de Montréal embauche Claude Léger au poste de directeur général.

Guy Chevrette nie tout
Dans un bref communiqué émis en soirée, Guy Chevrette a nié toutes les allégations formulées par Gilles Cloutier. « Les affirmations de l’ancien vice-président de la firme Roche à mon égard sont totalement fausses et diffamatoires. Je souhaite être entendu par la Commission le plus rapidement possible afin de pouvoir rétablir la vérité et contrecarrer cette atteinte à ma réputation », a-t-il dit.
Les partis sur la défensive

Les députés, tous partis confondus, étaient sur la défensive mercredi à Québec à la suite du témoignage de Gilles Cloutier à la commission Charbonneau.

« Avec force et vigueur, je n’ai rien à me reprocher là-dedans », a clamé Jean-Marc Fournier à l’entrée du caucus libéral, faisant référence à l’octroi d’une subvention à la municipalité de Saint-Stanislas alors qu’il était ministre des Affaires municipales en 2003.

Il est « possible » que Gilles Cloutier lui ait passé un coup de fil, mais ça n’a aucunement joué sur l’octroi de la subvention tant attendue, a-t-il insisté. « Soyons francs, M. Cloutier ne m’a pas mis de pression. Je n’ai eu de pression de personne et j’ai fait mon travail comme il fallait le faire, avec des analyses et des recommandations de fonctionnaires. »

De son côté, François Legault a semblé prendre un malin plaisir à incriminer un peu plus son ancien parti. « M. Cloutier, je l’ai vu seulement dans des activités publiques du PQ […] Il était souvent dans des activités du PQ. »

Il a nié avoir transmis de l’information privilégiée sur les projets attendus à Sainte-Julienne, affirmant s’en être tenu aux informations déjà publiques, sans plus, comme il l’aurait fait pour quiconque lui aurait posé la question. « Les informations qui sont rendues disponibles le sont par les maires ou par le ministère des Transports, à l’époque Guy Chevrette. Moi, je n’ai eu accès à aucune information privilégiée. »

Au PQ, on s’est fait particulièrement discret à ce sujet, répétant qu’il fallait « laisser la commission Charbonneau faire son travail ».
***
Les cadeaux de Roche à ses clients
Exemples de cadeaux que faisait Roche à ses clients, y compris à des élus :

Invitation à un lunch d’affaires ou à un cocktail ;
Invitation à une activité sportive (golf, tennis, pêche, chasse, etc.) ;
Invitation à un spectacle (hockey, baseball, orchestre symphonique, théâtre d’été, activités artistiques, etc.) ;
Cadeaux aux Fêtes (livre, alcool, etc.) ;
Dons à des organismes sans but lucratif (incl. fondations) ;
Dons à des partis politiques (fédéral, provincial, municipal) ;
Dons à des établissements d’enseignement (université, cégeps, etc.) ;
Embauche de personnel recommandé ou suggéré par le client ;
Sous-contrat à des fournisseurs recommandés ou suggérés par le client.
Note de service interne de la firme Roche déposée à la commission Charbonneau


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