Commission Bastarache - Le triomphe du tripotage politique

Ça en dit long sur le reste de sa gestion et sur la mainmise de ces démarcheurs sur l'ensemble de l'action gouvernementale.

Commission Bastarache





Claude Laferrière - Les témoins appelés à la barre de la commission Bastarache par le gouvernement auraient-ils presque tous violé le Règlement sur la procédure de sélection des personnes aptes à être nommées juges? Je réfère le lecteur au règlement c. T-16, r.5. L'article 19 dudit règlement indique que «le comité soumet au ministre son rapport avec diligence».
Plus important encore, l'article 27 rappelle que «le nom des candidats à la procédure de sélection, le rapport d'un comité ainsi que la documentation se rattachant à une inscription sont confidentiels [...]. En particulier, la décision et les commentaires d'un comité à l'égard d'un candidat ne sont pas communiqués à ce dernier».
Le ministre de la Justice a donc une obligation fondamentale relativement à la confidentialité, non seulement pour le rapport d'un comité de sélection des juges, mais aussi en ce qui touche une foule de documents et d'informations qui lui sont communiquées chaque jour: les enquêtes de police qui lui sont acheminées, les expertises, les opinions juridiques, les communications avec ses collègues ministres, le serment ministériel, la Loi du Barreau, etc.
Étonnement
J'ai donc été très étonné, cette semaine, d'entendre les anciens collègues du ministre Bellemare, messieurs Norman MacMillan et Michel Després, nous dire sous serment qu'ils avaient soumis leurs préférences à Me Marc Bellemare concernant leurs amis ou parents proches à être nommés juges à la Cour du Québec. Me Bellemare a aussi affirmé sous serment que le ministre Jean-Marc Fournier avait poussé son candidat, un avocat qui avait peu de temps après échoué l'étape de l'enquête policière. Plus récemment, messieurs Charles Rondeau (lui-même membre du Barreau) et Franco Fava ont admis avoir su que des candidats étaient sur la liste secrète.
Bref, aucun ministre hormis le ministre de la Justice n'a le droit de savoir qui a soumis sa candidature, encore moins qui a été choisi par le comité de sélection pour se retrouver sur la courte liste. Messieurs Després et MacMillan n'avaient pas le droit de détenir cette information. S'ils l'ont obtenue de la bouche du candidat lui-même, il y a là une double illégalité: le candidat lui-même n'est pas censé savoir, encore moins son ami ou parent ministre.
Si à cette illégalité criante s'ajoute une démarche privée et purement partisane auprès du ministre de la Justice, il y a là un problème moral du fait qu'un candidat est avantagé au détriment des autres, à leur insu. Je ne vois pas comment on peut concilier autant d'écarts avec le texte et l'économie générale du règlement. Si j'étais de ceux qui ont de bonne foi postulé comme candidat au poste qui a finalement été octroyé à Me Bisson ou à Me Gosselin-Després, je serais franchement dégoûté. Comme citoyen et avocat, je le suis tout autant.
Magouille
L'opinion publique réagit fortement à ces magouilles. Il lui est facile d'extrapoler et d'imaginer ce qui a pu se passer dans d'autres secteurs sensibles où le gouvernement libéral est à l'oeuvre. Je parle bien sûr du domaine de la construction, où la règle de la confidentialité est, là aussi, censée prévaloir. Si des centaines de concours de sélection de juges ont été tenus depuis 1979, les scénarios de magouille ont sans doute été aussi variés qu'abondants.
Il est impossible, à partir de ce qui a été déclaré par les témoins cette semaine, de croire que la procédure de sélection est crédible et étanche aux pressions politiques. Je comprends le ministre Bellemare d'avoir été outré par les pressions qui entraient de partout, alors que le règlement applicable essaie du mieux qu'il peut de garantir l'intégrité et la confidentialité du processus dans le but ultime, est-il nécessaire de le rappeler, de sélectionner le meilleur des juges en fonction d'un seul critère, la compétence.
[Espérons que] le premier ministre Jean Charest nous dira de façon magnanime qu'il a assuré le respect de la confidentialité prévue au règlement. Autrement, il faudra y voir un problème d'éthique généralisé au sein de ce gouvernement.
Monsieur Charest lui-même n'a-t-il pas dit publiquement, dans les jours suivant les déclarations de Me Bellemare concernant l'ingérence des collecteurs dans ce processus, que le tout était secret et relevait entièrement de sa discrétion? Le collecteur libéral Jean-Paul Boily a déclaré cette semaine, en parlant de messieurs Fava et Rondeau, qu'ils se souciaient peu de cette obligation de confidentialité et qu'ils ne se gênaient pas pour intervenir directement auprès du ministre.
Tripotage politique
Je trouve tout ça absolument inquiétant. Je me demande bien à quoi rime cette procédure de sélection qu'on a voulue propre, intègre et destinée à faire triompher la compétence sur le tripotage politique et le patronage. Je comprends aujourd'hui, s'il faut en croire les démarcheurs de la haute finance libérale, que cette procédure n'est qu'une façade et que le patronage est bien vivant dans ce gouvernement. Ça en dit long sur le reste de sa gestion et sur la mainmise de ces démarcheurs sur l'ensemble de l'action gouvernementale.
A-t-on autant de respect pour les règlements entourant le secret des soumissions pour les appels d'offres? Pour l'octroi des contrats gouvernementaux de voirie? D'informatique? [Les collecteurs de fonds ont-ils] autant de respect pour le secret du processus de sélection des juges qu'ils en ont pour le secret des soumissions de ses concurrents dans les contrats de construction? Doit-on y voir là la raison de leur succès en affaires?
Au surplus, n'a-t-on pas bafoué le principe de la séparation des pouvoirs qui assure l'existence de notre démocratie et l'indépendance du judiciaire? À la limite, ne soulève-t-on pas des questions de sécurité publique et de sécurité nationale?
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Claude Laferrière - Avocat


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