Comment l’Iran et Israël se préparent à la guerre

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L'Iran veut-il pousser Israël à la faute ?


 

 



Les tensions et les incidents entre Israël et l’Iran se multiplient. Alors que l’Iran pousse Israël à la faute, Qasem Soleimani (vingt-deux ans à la tête de la force Al-Qods) semble personnellement visé par l’Etat hébreu. L’analyse de Gil Mihaely.




En Syrie, le bras de fer engagé entre l’Iran et Israël s’intensifie.


Dernier incident rendu public en date: le 20 novembre, quatre roquettes ont été lancées par des milices affiliées aux gardiens de la révolution iraniens depuis une base près de Damas vers le nord d’Israël. C’était l’énième réponse aux attaques israéliennes ciblant le grand projet iranien: augmenter les capacités du Hezbollah libanais. Téhéran entend transformer les roquettes du Hezbollah (des projectiles peu précis, surtout à longue portée) en missiles sol-sol guidés et donc beaucoup plus précis. Pour Jérusalem, cette révolution qualitative est une ligne rouge. Rouge écarlate.


Du point de vue de Téhéran, il s’agit d’une étape stratégique cruciale: menacer Israël – et donc les Etats-Unis – sans s’exposer directement.


Les moyens d’Israël restent supérieurs


Les Russes, maîtres non absolus du jeu, comprennent les intérêts israéliens. Ils ne verraient pas d’un mauvais œil l’affaiblissement de la présence iranienne en Syrie. Cependant, à court terme, la stratégie militaire israélienne les gêne. Elle expose l’infériorité des forces syriennes équipées et entraînées par Moscou, ce qui pourrait également apparaître pour certains comme un manque de contrôle de la situation par Poutine. C’est pour cette raison que les Russes ont dévoilé les trajectoires des chasseurs israéliens, notamment dans les espaces aériens de la Jordanie et de l’Irak. Une manière de bien faire comprendre à tous les acteurs que ce qu’ils voient, ils pourraient l’empêcher…


Dans ce petit jeu, Israël a quelques atouts. Si ses intérêts vitaux sont menacés (ce qui rend le pays tenace et motivé), ses moyens technologiques et humains demeurent largement supérieurs, alors que les milices iraniennes sont au mieux médiocres, et que l’Iran n’a pas d’aviation dans l’arène et que ses capacités de renseignement restent faibles. Mais la République islamique a un avantage important: Téhéran peut échouer aussi souvent que nécessaire, sans payer un véritable prix, tout en tirant un profit politique et stratégique du moindre « succès » remporté contre l’Etat juif ! En revanche, Israël est condamné au « sans-faute »: chaque erreur, chaque perte est brandie par l’adversaire comme un trophée d’Austerlitz. Les Iraniens en sont conscients et s’appliquent patiemment à trouver la faille israélienne.


Pousser Israël à la faute


Dans cette lutte entre patience et performance, un changement est perceptible depuis peu: au lieu de subir les attaques et de reconstruire ce qu’Israël a détruit, les forces iraniennes en Syrie (et peut être le gouvernement de Téhéran…) ripostent. Action israélienne, réaction iranienne. En agissant ainsi, l’Iran provoque et légitime des nouvelles frappent israéliennes. Tout cela traduit une certaine fébrilité à Téhéran. Les tensions en Irak et récemment en Iran et la pression économique exercée par Donald Trump font croire à certains acteurs iraniens qu’il faut prendre plus de risques pour se créer des opportunités en poussant Israël à la faute. Quand les échecs ne coûtent pas grand-chose, on peut toujours espérer provoquer une erreur de l’adversaire…


C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter une petite phrase – bizarrement passée assez inaperçue – glissée dans l’une des premières interventions publiques de Naftali Bennett, le nouveau ministre israélien de la Défense. Selon cet ancien officier des forces spéciales, « les règles (du jeu) ont changé – quiconque tire sur Israël le jour ne dormira pas la nuit […] notre message aux dirigeants iraniens est simple : votre responsabilité personnelle est désormais engagée, votre impunité est finie. »


Qasem Soleimani personnellement menacé ?


La cible en question n’est probablement ni le guide Ali Khamenei ni le président Hassan Rohani: les hommes politiques ne sont – sauf exceptions rares – pas des cibles légitimes.


Quelqu’un a probablement parfaitement compris le message.  Son nom est Qasem Soleimani. Le général des Gardiens de la Révolution commande – depuis 1997 ! – la Force Al-Qods, unité spéciale chargée des opérations hors du territoire iranien. Sa carrière digne d’un général algérien (vingt-deux ans à la tête de cette unité !) est un cas typique du pouvoir iranien. Soleimani n’est pas un fonctionnaire au sens français du terme, mais une sorte de duc quasi-propriétaire de son poste, détenu par un clan. Autrement dit, Soleimani est un membre important de l’Etat dans l’Etat iranien, construit autour des gardiens de la révolution. Au sein de cette structure, il est chargé d’une politique extérieure parallèle, le cauchemar du ministre des Affaires étrangères Mohamad Javad Zarif. Or, ce dernier constate que les montagnes de dollars englouties par Soleimani au Liban, Syrie, Irak et Yémen sont non seulement loin de donner les dividendes espérés, mais qu’elles manquent cruellement à la société et l’économie nationales.


 

Des missiles précis basés au Liban


La dernière guerre au nord d’Israël date de l’été 2006. La question qu’on peut se poser est de savoir si une autre est imminente. Rappelons d’abord que ni l’Iran ni le Hezbollah n’avaient souhaité en juin 2006 provoquer une crise importante. Les deux alliés se seraient bien contentés du succès de l’embuscade contre une patrouille israélienne. Aujourd’hui non plus, le déclenchement d’un conflit total ne semble pas être souhaité: le Hezbollah risque d’aliéner une grande partie de la société libanaise et l’Iran cherche tout simplement à pointer un pistolet chargé contre la tempe d’Israël, pour le jour où la survie du régime serait sérieusement menacée: des missiles sol-sol précis dont la portée va jusqu’à 150-200 km, basés au Liban.


Pour Israël, la stratégie – destruction massive de l’hôte libanais pour le pousser à rejeter la milice chiite parasite – a un tel coût qu’il vaut mieux qu’elle reste une menace dissuasive.


La meilleure des solutions pour Israël est donc une nationalisation de la société libanaise (un processus déjà en marche) qui aboutira à la neutralisation du Hezbollah, cette arme iranienne contre Israël. Pour la Syrie, la logique est pareille: la consolidation du régime exclurait un scenario libanais et donc la création d’un Etat iranien dans l’Etat syrien.


Téhéran sous pression


Nous sommes donc entre deux logiques fortes: d’une côté, la volonté d’améliorer les armes du Hezbollah et les réserver pour une grande occasion, calme certaines ardeurs.


De l’autre côté, la crainte de voir cette option stratégique si chèrement acquise neutralisée par une stabilisation de la gouvernance au Liban appelle d’autres à vouloir l’utiliser dans une occasion moins solennelle… plutôt que de la voir disparaître sans avoir jamais servi!


Si on ajoute la pression considérable qu’opère sur le régime iranien les tensions domestiques causées par les sanctions américaines et les difficultés de leurs alliés à Bagdad, la tentation de l’escalade devrait être réelle à Téhéran. Tout dépend maintenant des rapports de force au sein de l’élite iranienne.


Les durs – autour des Gardiens de la révolution -, enhardis par leurs succès au Yémen et pendant la guerre civile syrienne, sont encouragés par la réponse hésitante des Etats-Unis (surtout après l’attaque contre le site de production d’Aramco en septembre). Ils aimeraient pousser en avant leur stratégie de sape et de guerre par intermédiaires. Leurs adversaires (qui ne sont pas forcément des modérés pour autant) ont peur d’une mainmise des Gardiens de la Révolution sur le pouvoir. Ces derniers ne peuvent donc pas lâcher leur projet syro-libanais sans en payer le prix fort au sommet de l’appareil du pouvoir. En même temps, ils estiment qu’il faut accélérer les choses car le temps est compté. Israël continuera à les empêcher par la force. Les récentes visites des responsables américains de défense en Israël sont des indices qu’à Washington aussi, on croie que la logique profonde de stratégies opposées et les enjeux vitaux des acteurs principaux devraient tôt ou tard aboutir à une guerre plus ou moins directe entre Israël et l’Iran.