CŒUR BÂILLONNÉ
- Aie mon cœur, pourquoi tant d’agitation? Pourquoi tu pleures et cries tout à fois? N’as-tu pas une langue pour te dire et t’exprimer?
- Oui j’ai bien une langue mais on vient de me la bâillonner. Sous le couvert d’une loi, des humains cupides l’ont muselée. Pourquoi des gens de ma propre lignée ont-ils osé faire l’impensable? Je ne sais plus quoi faire d’autre qu’hurler et pleurer. Comment leur dire ma blessure profonde? Et c’est mon peuple entier qu’on vient ainsi d’enterrer, de condamner à la disparation lente mais sûre. On veut nous faire taire. Nous enlever ce que nous avons de plus cher. Notre langue n’est-ce pas l’essence, le fondement de notre identité?
- Mon cœur, il ne sert à rien de rester ainsi seul à tant t’agiter. Va sur la place publique dire à ces hommes ta façon de penser. Pose des gestes de solidarité. Personne ne pourra vous empêcher de parler. Le bâillon est un acte si odieux, ton heure est celle de l’urgence. Va trouver les autres; j’entends d’ici des rumeurs de contestation, de révolte. N’hésite pas à pousser ta porte, à retrouver tous ceux et celles qui pensent comme toi, prêts à défendre leurs droits les plus sacrés.
- Sans doute as- tu raison. Demain je serai là, parmi les autres. Mais dis-moi, si la majorité de mon peuple s’absente, si nous ne sommes qu’une poignée d’hommes et de femmes à manifester notre désaccord contre le bâillon, qu’est-ce que ça donnera, à quoi cela servira-t-il?
- Bien sûr, les gens de ta nation ne seront pas tous là, sur les rues et les trottoirs mais ils vous entendront, ils comprendront. Sois confiant. Cela renforcera leurs convictions et leurs désirs d’appartenance. Vous témoignerez pour eux. N’écoute que ta propre conviction. Réalisant l’urgence de la situation, d’autres suivront, tu verras. Laisse le temps faire son œuvre. Résiste et résiste encore. Résister c’est nous affirmer. Nous affirmer, c’est exister (paroles de Julien Poulin).
- D’accord, je veux bien sécher mes pleurs et rejoindre mes ami (es) résistants mais j’ai tant de doutes et de déceptions au fond de moi. Cette révolte ne serait-elle qu’illusion, peine perdue? Mon peuple, indolent et désabusé, ne semble pas prendre conscience de ce qui l’attend, des conséquences néfastes de cette loi. La lutte sera dure et longue. Irons-nous jusqu’au bout ou sera-ce la noyade en chemin?
- Le silence est ton pire ennemi. Tu n’as plus le choix. On t’attend déjà. Refusez ce bâillon de l’infamie! Justice vous sera rendue. Celui comme ceux et celles qui vous ont muselés ainsi le regretteront un jour. Apparaîtra leur ignominie. On ne voudra plus d’eux à la tête de ce pays. Je connais et partage ta colère et ta peine. Je ne vois pas d’autre manière de t’aider que de ranimer ta confiance en ton avenir. Et puis si la parole ne te suffit pas : écris, écris et écris encore… Écris pour ne pas mourir, écris pour les générations futures, écris avant que ne s’étiolent tes rêves, que ne s’assèchent vos terres, vos racines, écris dans des mots simples ce qui te dérange et te trouble autant. Écris et parle avec la même fermeté et la même patience que met un arbre à grandir! Le reste viendra aussi sûrement que naît le printemps après un long hiver. Refuse ce bâillon avec toute la force de ton humanité. Bats-toi pour ta liberté. Fais place à ton âme qui étouffe elle aussi.
Dans un an ou quelques mois, reviens me raconter. Chez moi, je t’attendrai.
Coeur bâillonné
Écris et parle avec la même fermeté et la même patience que met un arbre à grandir!
Tribune libre
France Bonneau39 articles
France Bonneau est professeure de français auprès des adultes-immigrant-e-s . (MICC)
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3 commentaires
France Bonneau Répondre
24 août 2011Merci Robert de ton beau commentaire.
La foi est une chose parfois si fragile et vacillante...
Archives de Vigile Répondre
23 août 2011"écris dans des mots simples ce qui te dérange et te trouble autant. Écris et parle avec la même fermeté et la même patience que met un arbre à grandir ! Le reste viendra aussi sûrement que naît le printemps après un long hiver."
une idée surgira, forte et convaincante, qui soulèvera un jour tout un peuple. J'y crois.
Bravo et merci France pour ce beau texte inspirant.
Nicole Hébert Répondre
26 octobre 2010Madame Bonneau,
C'est beau! et ça fait bon à lire. Je crois que nous sommes plusieurs à avoir ce coeur douloureux et inquiet et qui a du mal à "se tenir tranquille"...
Merci!