Charest ne contrôle plus l'«agenda» politique

Le premier ministre veut parler d'économie, mais ce sont les questions d'intégrité qui occupent l'esprit de l'électorat

JJC - chronique d'une chute annoncée


Robert Dutrisac - Québec — Il y a presque un mois, Jean Charest affirmait solennellement, devant l'Union des municipalités du Québec (UMQ), sa ferme intention de faire adopter le projet de loi 48 sur le code d'éthique des députés. Il était même prêt à renoncer à son encombrante rallonge de 75 000 $. Mais au terme de la session qui s'est terminée hier, le premier ministre n'a réussi qu'à afficher son impuissance. C'est bien à l'image de cette session, qui passera à l'histoire comme l'une des plus improductives: le gouvernement Charest, occupé à repousser les attaques de l'opposition qui a réussi à remettre en cause son intégrité, ne contrôle plus l'«agenda» politique.
En faisant son bilan de la session, Jean Charest a fait un aveu implicite. C'est l'économie qui préoccupe les Québécois, a-t-il soutenu en procédant à un long exposé des réalisations de son gouvernement à ce chapitre. Or ce sont les questions d'intégrité qui occupent l'esprit de l'électorat, ce que les récents sondages, désastreux pour le Parti libéral et son chef, confirment. C'est la confiance de la population envers ce gouvernement — et envers toute la classe politique — qui est minée.
On peut certes accuser les péquistes d'avoir traîné les pieds lors de l'étude du projet de loi 100 sur le budget, que Raymond Bachand a présenté. Mais on ne peut en dire autant à l'égard du projet de loi 48, dont l'étude progressait bien, mais pas aussi vite que le souhaitaient les libéraux. Jean Charest a accusé Pauline Marois d'avoir renié sa parole quand elle s'est engagée à appuyer le projet de loi si deux conditions étaient remplies: l'abandon par le premier ministre de son salaire du PLQ et l'interdiction pour un ministre de détenir un intérêt important dans une entreprise qui fait affaire avec le gouvernement (la clause Whissell). Il est vrai que ces deux conditions seraient remplies, mais en suivant la logique du premier ministre, il aurait fallu que les parlementaires adoptent le projet de loi 48 les yeux fermés, sans apporter d'amendements.
Désorganisé
Ce sont les simples députés des deux côtés de la Chambre qui auraient regimbé. Jean Charest profitera personnellement de ce report, signaleront les plus cyniques: il a reconnu hier qu'il recevra sa prime tant que le projet de loi 48 ne sera pas adopté.
Sur le plan législatif, le gouvernement Charest est apparu particulièrement désorganisé. Des consultations générales sur des projets de loi d'importance, comme celui sur les mines et celui sur les accommodements dans l'administration publique, ont débuté pour être remises à plus tard après quelques séances. Le gouvernement a paru se réveiller soudainement quand, à la mi-mai — à la fin de la session qui s'est amorcée le 9 février dernier —, il chargea la Commission des institutions de commencer l'étude article par article du projet de loi 48 et du projet de loi 93 sur le financement des partis politiques, à tour de rôle, d'ailleurs. Si le premier était si prioritaire, pourquoi cette commission a-t-elle dû perdre du temps à se pencher sur le deuxième, qu'elle n'a fait qu'effleurer?
Non seulement la session a été une des plus improductives, mais, de mémoire d'homme, elle a été la plus hargneuse. En 25 ans de vie politique, Jean Charest n'a jamais vu ça, a-t-il laissé tomber hier. Il a rejeté la faute sur Pauline Marois, «la tueuse» autoproclamée. Jamais n'a-t-il subi pareil traitement de la part de Lucien Bouchard, Bernard Landry ou André Boisclair, s'est plaint le premier ministre. C'est réciproque, peut-on croire: Pauline Marois semble ressentir une profonde aversion pour le personnage.
«Quand on est attaqué, on se défend», a fait valoir Jean Charest. En ce sens, la réplique libérale a touché personnellement Pauline Marois. Les libéraux ont bien documenté le fait que des dirigeants et employés de firmes de génie-conseil ont contribué, pour une moyenne de 2000 $ par donateur, à la campagne à la direction de Mme Marois, que des membres de la famille de Mme Marois et de son mari Claude Blanchet — enfants, nièces et tutti quanti — ont fait de même alors que plusieurs d'entre eux n'en avaient sans doute pas les moyens. Le Directeur général des élections (DGE) procède à des vérifications sur ces dons tout comme il l'a fait pour la ministre Julie Boulet — sans relever d'infractions significatives — et comme il est en train de le faire dans les cas des ministres Michelle Courchesne et Norman MacMillan.
Éclaboussé
On le voit: tout le monde est éclaboussé. La ligne de défense de Jean Charest est claire: tout le monde il est pourri. Il n'est pas dit qu'il se fera pousser dans la fange sans entraîner ses détracteurs à sa suite. L'absence de Claude Béchard en raison de sa grave maladie s'est fait lourdement sentir: c'est lui qui se serait chargé de la sale besogne alors que c'est le premier ministre, non sans un talent certain, qui a dû se salir les mains.
Aux yeux des stratèges péquistes, l'opposition officielle a eu nettement le dessus au terme de la session. Il y a un an, le PQ avait aussi réussi pareil fait d'armes, mais la déclaration de Jacques Parizeau, rendue publique à la fin de la session, sur l'opportunité de créer des crises politiques pour réaliser la souveraineté, avait renversé la situation en faveur les libéraux. Rien de tel cette fois-ci.
Ce que l'on craint cependant, c'est que la population mette toute la classe politique dans le même sac. La foire d'empoigne qui a eu lieu, hier, à l'Assemblée nationale, ne fait que renforcer cette appréhension.
Jean Charest voudrait bien parler d'économie, mais les questions d'éthique risquent de lui coller à la peau un certain temps encore. La commission Bastarache, qui commence en août, va remettre le sujet sur le tapis. Le seul fait qu'on s'interroge sur la possibilité de trafic d'influence dans la nomination des juges va dans ce sens. Le PQ voudra continuer à taper sur le même clou: la tenue d'une enquête sur l'industrie de la construction et ses liens avec le financement des partis politiques. De son côté, Jean Charest prie pour que ce soit plutôt l'adage de Bill Clinton qui s'impose: «It's the economy, stupid.»


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