Antipropagande

Chapitre 1 - Que personne ne parle pour la souveraineté !

Canada - Propagande Canada

Antipropagande
Documents sur le contrôle de l'information au Québec. L'objectif de ce blog est de montrer comment la propagande contre la souveraineté du Québec est articulée et d'y répliquer. Pour commencer j'attire l'attention sur un livre que j'ai écrit et pour lequel je n'ai pas trouvé d'éditeur, 59 à 0 pour Propagande Canada.
vendredi 8 octobre 2010
----
59 À 0 POUR PROPAGANDE CANADA
par
Claude Boulay

Chapitre 1
_ Que personne ne parle pour la souveraineté!


Quand Pauline Marois proposa, au début de 2008, de tenir une conversation nationale sur la souveraineté, Ginette Gagnon se fendit d’un éditorial dans Le Nouvelliste, dans lequel elle accusait la chef du Parti Québécois de vouloir enfoncer la souveraineté de force dans la gorge des Québécois. Je lui répondis par une lettre très courte, qui ne fut pas publiée :

« Au référendum de 1995, 50 pour cent des Québécois, 60 pour cent des francophones, ont voté pour la souveraineté. Depuis ce temps, les journaux de Gesca ont publié au moins 3 000 éditoriaux et chroniques contre la souveraineté et les souverainistes. Pour la souveraineté? Aucun. Zéro. C’est qui, donc, qui veut enfoncer quoi dans la gorge des Québécois? »

Dans La Presse, on se servit d’une lettre à l’éditeur, qui affirmait, entre autres : « Depuis 1968 (40 ans), il y a eu un monologue continuel de ceux qui sont favorables à l’indépendance et qui monopolisent toutes les tribunes » 1. J’adressai une courte lettre à ce journal, dans laquelle je mentionnais de nouveau les 3 000 éditoriaux et chroniques fédéralistes depuis 1995. Je terminais en ces termes : « Qu’est-ce qu’il faudrait donc, que personne ne parle pour l’indépendance, que les fédéralistes seuls aient droit de parole? ». Ma lettre ne fut pas publiée.
Par la suite, je me demandai si je n’avais pas exagéré. C’est beaucoup, 3 000. J’avais ce chiffre en tête depuis un certain temps, mais était-il fondé? Je décidai de faire un échantillonnage pendant un mois pour voir si mon estimation était juste. Je fis donc un recensement de ce genre d’articles dans La Presse pendant tout le mois d’avril 2008. Résultat : 10 articles antisouveraineté au cours de ce mois.
En extrapolant sur les douze années et demie écoulées depuis le référendum, on arrive au chiffre de 1 500 articles. J’ai supposé que Le Soleil, l’autre grand quotidien de Gesca, avait contribué un nombre égal. De plus, cette filiale de Power Corporation possède cinq quotidiens régionaux : Le Nouvelliste, Le Droit, La Tribune, Le Quotidien, et La Voix de l’Est. À en juger par ce que produit Le Nouvelliste, le nombre d’articles de propagande antisouveraineté est moindre dans ces journaux. Pour être sûr de ne pas gonfler les chiffres, je ne leur ai attribué qu’une production égale à 10 % de celle de La Presse et du Soleil. On en arrive tout de même à un total de 3750 articles.
La période d’échantillonnage est-elle représentative? Assez, il me semble, pour donner un ordre de grandeur. Il est sûr qu’il y a des accalmies, pendant lesquelles on ne parle presque pas de souveraineté, en particulier si la cote du PQ et de la souveraineté est faible. Mais inversement, il y a des périodes où la propagande est intense. On pense évidemment au référendum et à la fébrilité qui a suivi les résultats serrés. Il y a aussi d’autres périodes de pointe : les élections, l’élection d’un nouveau chef, un discours d’un chef souverainiste, etc.
Voici les articles de La Presse que j’ai retenus comme faisant partie de la propagande antisouveraineté en avril 2008 :
4 avril, Alain Dubuc, « Fini le ni-ni ». L’auteur glose sur la possibilité qu’il entrevoit que la France abandonne sa politique de non-ingérence et de non-indifférence envers le Québec. Il appelle cette politique, qu’il souhaite voir changée, « le fruit d’un travail acharné des politiciens péquistes ».
8 avril, Lysiane Gagnon, « Le tollé démesuré ». Même sujet.
9 avril, Jean-Herman Guay, « L’accordéon souverainiste ». Je n’inclus pas dans mon recensement les lettres de simples citoyens à l’éditeur du journal, mais cet article, où l’auteur est présenté avec ses titres et sa photo, doit être inclus comme s’il était rédigé par un chroniqueur régulier du journal. Le professeur Guay se réjouit de ce que l’appui à la souveraineté ait diminué de 50 % à 35 %.
10 avril, Louise Leduc, « Causer séparation et faire le vide autour de soi ». C’est présenté comme de la nouvelle sous la plume de cette journaliste. On y rend compte d’un sondage, ô combien utile et éclairant, sur les sujets de conversation qui sont considérés irritants. Dès le départ, le simple fait d’inclure « le séparatisme québécois » dans la liste est un geste politique. Il y a suggestion que le sujet doit être considéré comme tapant sur les nerfs. On ne se serait pas avisé d’inclure « l’unité nationale ». S’il avait fallu que le sondage place ce sujet de conversation en première place dans la liste!
Que dire du titre choisi! Il ne serait pas surprenant qu’il ait été décidé avant même que les résultats du sondage soient révélés. Si 23 % des répondants se disent agacés par le « séparatisme », comment peut-on conclure que ce sujet « fait le vide autour de soi »? Compte tenu de la propagande dont les médias sont pollués, il fallait s’attendre à ce qu’un pourcentage semblable soit accordé à cette question. Mais on ne doit jamais rater une occasion, n’est-ce pas, d’apporter une contribution à la propagande fédéraliste. Chaque petit brin compte!
Il n’est pas rare que, dans La Presse, des articles d’opinion soient présentés sous la guise d’information. Il y même un spécialiste de cette technique, M. Denis Lessard. Il mérite un chapitre à lui tout seul.
13 avril, Jacques Roy, « Un changement compréhensible ». Comme pour l’article de Jean-Herman Guay, ce texte d’un ancien ambassadeur du Canada doit être inclus comme si l’auteur était un employé du journal. Le sujet est encore l’abandon espéré de la politique de non-ingérence, non-indifférence de la France vis-à-vis le Québec,
19 avril et 24 avril, Rima Elkouri, « Les souliers orange de Pauline » et « Moi, mes souliers… ». Pour s’attaquer à une femme, on juge astucieux de faire faire la besogne par une femme. Dans le titre du premier article, l’auteur utilise le prénom de Mme Marois. La pratique de tutoyer une personne publique ou de l’appeler par son prénom peut être soit une marque d’amitié, soit une manifestation de mépris. Prenons un exemple. Au cours de l’élection partielle dans la circonscription de Laviolette à l’automne 2001, le journaliste Jean-Marc Beaudoin, du Nouvelliste, appelait la candidate libérale Julie Boulet par son prénom dans ses articles. On comprenait qu’il favorisait Mme Boulet, qu’il souhaitait que les lecteurs la considèrent comme une petite sœur ou cousine et votent pour elle. Disons, en passant, que ce parti pris, inconvenant de la part d’un journaliste, n’a pas nui à Jean-Marc Beaudoin. Aujourd’hui, il a sa chronique régulière dans ce journal.
Dans le cas de Rima Elkouri, parcourons ses deux articles et jugeons si elle parle de « Pauline » avec affection ou mépris. Premier article : « L’image de bourgeoise hautaine lui colle à la peau… autobiographie sans grand éclat… livre empreint de rectitude politique… ». Ce n’est pas bien méchant, mais on ne devine pas beaucoup d’affection là-dedans. Deuxième article, pas de « Pauline », mais une caricature de Mme Marois : « Non contente d’avoir pu vendre sa salade… un long discours électoral… opération d’autopromotion soigneusement orchestrée… une campagne pas assez subtile pour que les journalistes n’en voient pas dépasser les ficelles… ». Non ce n’est pas par affection que l’auteure appelle Mme Marois par son seul prénom.
Une question : Rima Elkouri s’est-elle jamais livrée à une critique d’une autre autobiographie d’un homme ou d’une femme politiques? Sinon, nous sommes justifiés de croire que le moment était venu pour elle de faire « une job de bras » contre Pauline Marois.
J’avais remarqué, lorsque le gouvernement du Parti Québécois préparait l’adoption du projet de loi sur l’équité salariale, que c’était une femme, Mme Ginette Gagnon, qui avait dénigré le projet dans un éditorial du Nouvelliste. Elle avait choisi des expressions pour mettre en doute la bonne foi du gouvernement : « pour gagner des votes… se péter les bretelles ». Elle avait argué aussi : « Que l’on parle de 2,5 milliards $ ou d’impacts de moins d’un milliard sur la masse salariale… une chose est certaine, cette éventuelle loi aura des conséquences qui pourraient perturber l’équilibre de l’emploi… Personne ne conteste le besoin d’une plus grande justice à tous égards. Mais il y a des moments propices aux grands projets sociaux et d’autres pas » 2. Je m’étais dit qu’avec de tels arguments, on aurait pu reporter indéfiniment l’abolition de l’esclavage.
20 avril, Alain Dubuc, « Un gros madrier planté dans l’œil ». L’auteur fait du « damage control ». La Canadian Broadcasting Corporation (qu’il appelle le réseau anglais de Radio-Canada) avait organisé un gala du Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens. Dans la version télévisée, les artistes québécois avaient été retranchés. Le chanteur Claude Dubois, entre autres, avait protesté.
29 avril, André Pratte, « Ne touchez pas à la loi 101 ». Un éditorial pour contrer le projet de Pauline Marois de renforcer la loi 101. Venant de l’éditorialiste en chef de La Presse, journal qui a applaudi à chaque fois que cette loi était battue en brèche, le titre de l’article mérite un grand éclat de rire.
29 avril, Vincent Marissal, « Électoralisme 101 ». Renforcement de l’éditorial d’André Pratte. Le titre dit tout.
***
Treize ans de propagande (ne parlons pas de tout ce qui a été produit avant le référendum de 1995), 3750 articles. Et ils ont le culot d’accuser le PQ de vouloir enfoncer la souveraineté de force dans la gorge des Québécois, de se plaindre que les souverainistes occupent toutes les tribunes!
Jacques Ellul parlait « de l’activité totalitaire, dévorante, du mécanisme de propagande une fois monté; il ne peut laisser hors de lui-même aucune fraction de l’opinion, il ne peut tolérer aucune sorte d’indépendance » 3. Voici d’autres exemples du totalitarisme dont parle Ellul :
Le 1er octobre 1995, la journaliste Manon Richard, de La Presse, recensait un ouvrage de Monty Berger, Je ne me souviens pas. On peut lire dans l’article : « L’auteur estime que les médias font preuve d’un fort préjugé favorable aux indépendantistes et écrit : « Les tribunes éditoriales se font très discrètes quant à la possibilité d’offrir le point de vue fédéraliste».
Au moment où La Presse recensait le livre de Monty Berger, ce journal venait d’ouvrir ses pages, au cours des semaines précédentes, à des articles fédéralistes de Solange Chaput-Rolland, Henry Mintzberg, John Honderich, Pierre Pettigrew (tous les cinq chapitres) et Stéphane Dion (deux chapitres). Tous ces « éditorialistes » s’ajoutaient aux éditorialistes et chroniqueurs réguliers, qui ont comme mandat de combattre la souveraineté.
11 novembre 1995. Un Monsieur A. Tremblay avait écrit une lettre mettant en doute l’indépendance d’esprit de Lysiane Gagnon et des autres columnists et éditorialistes de La Presse. On ne nous laisse pas lire la lettre, seulement la réplique de Mme Gagnon. L’auteur de la lettre devient « un dénommé A. Tremblay » et « Le cher homme », le texte est qualifié de « mi-lyrique, mi-hystérique », les propos sont des « sornettes », le style est « fielleux ». (« Qu’on lui tranche la tête », dit la Dame de Cœur). Lysiane Gagnon prétend que, dans son journal, « la liberté laissée aux journalistes est exceptionnelle (j’insiste, exceptionnelle) ».
Chacun sait que les propos qu’elle et ses collègues tiennent à l’endroit de ceux qui défendent l’idée de la souveraineté ne sont jamais fielleux. Comprenez-vous? Jamais! Et nous sommes invités à croire que c’est un pur hasard si tous les éditorialistes et columnists de Power Corporation militent contre la souveraineté du Québec.
Ce qu’il faut retenir, surtout, de cette chronique de Lysiane Gagnon, c’est cette arrogance qui fait qu’on ne publie pas une lettre défavorable, mais qu’on se donne le droit de matraquer l’auteur. Voilà une belle démonstration de l’axiome selon lequel le pouvoir corrompt. Car, à la condition de ne jamais écrire quoi que ce soit de favorable à l’indépendance du Québec, les agents de Propagande Canada détiennent un pouvoir absolu.
Le 12 février 2004, les lecteurs de La Presse ont une fausse joie : une lettre de lecteur intitulée « Moins de propagande » est publiée. Mais, déception, c’est contre la « propagande péquiste et séparatiste » à Radio-Canada que l’auteur s’élève. Radio-Canada, où les drapeaux unifoliés foisonnent, où le mot « Canadah » est répété dix mille fois par jour, où des journalistes tiennent à présenter défavorablement tout ce qui touche le Québec! Et il se trouve des lecteurs pour accuser ce fleuron fédéral de propagande « péquiste et séparatiste »!
Le 22 janvier 2007, M. Daniel Laprès écrit dans La Presse : « L’idéologie nationaliste et indépendantiste est devenue chez nous hégémonique au point où on ne peut pas la critiquer impunément, ou même la questionner ne serait-ce que timidement ». Ceci dans un journal où les éditorialistes et columnists pondent avec une régularité déconcertante leurs textes contre l’indépendance du Québec et les indépendantistes. Où même bon nombre de journalistes des pages d’information s’alignent sur les postulats de la propagande fédéraliste. Où M. Laprès lui-même trouve toujours régulièrement une place réservée.
On se dit, Seigneur, qu’est-ce qu’il leur faut?
NOTES DU CHAPITRE 1
1. La Presse, 8 mars 2008.
_ 2. Le Nouvelliste, 10 septembre 1996.
_ 3. Jacques Ellul, Propagandes, Librairie Armand Colin, Paris, 1962, p. 29.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé