Changement majeur dans la donne géostratégique

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La Chine déploie des troupes armées dans le voisinage américain

L’arrivée annoncée de militaires chinois au Venezuela le week-end dernier est sans aucun doute un événement majeur dans la politique mondiale.



Le personnel de l’Armée populaire chinoise pose avec des membres des Forces armées nationales bolivariennes du Venezuela, 29 mars 2019


Contrairement à la Russie, qui a une histoire de projection de forces à l’étranger, il s’agit d’un mouvement extrêmement rare pour la Chine. Bien que des intérêts vitaux de celle-ci soient en jeu dans la guerre contre les groupes terroristes en Afghanistan et en Syrie, la Chine s’est abstenue de faire connaître un tel déploiement.


Le reportage mentionne que le groupe de militaires chinois comptait 120 personnes. Il est arrivé le 28 mars sur l’île de Margarita, dans la mer des Caraïbes, au large du continent vénézuélien « pour acheminer de l’aide humanitaire et des fournitures militaires aux forces gouvernementales », les troupes chinoises de l’Armée populaire chinoise  (APL) auraient été transférées dans un centre militaire vénézuélien.



Bien que la livraison de l’aide soit l’une des nombreuses expéditions attendues, selon des responsables gouvernementaux, l’arrivée de personnel militaire chinois a été sous-estimée dans les médias internationaux.


Selon l’institut international de recherche sur la paix de Stockholm, le Venezuela a importé des armes en provenance de Chine, entre 2010 et 2014, pour un montant de $349 millions, avec à l’origine des équipements peu sophistiqués tels que radars et avions pour la formation de pilotes, véhicules renforcés et pièces de rechange, etc. Mais les matériels militaires arrivés en 2017, concernent des blindés, des munitions, des uniformes et du matériel d’infanterie, ainsi que des pièces de rechange et d’entretien pour les articles de fabrication russe.


Il y a une semaine, environ 100 militaires russes ont été déployés au Venezuela pour installer un centre de formation pour hélicoptères militaires, mais les détails de la mission de l’APL en Chine n’ont pas été divulgués. Il existe une étroite coordination entre Moscou et Beijing sur les questions de politique étrangère et il est tout à fait concevable que les déploiements des deux pays soient synchronisés.


La Russie et la Chine ont lourdement investi au Venezuela, les investissements chinois étant de loin supérieurs à ceux de la Russie. Selon un récent rapport publié dans le Los Angeles Times :



« Au cours de la décennie se terminant en 2016, la Chine a prêté au Venezuela environ 62 milliards de dollars, dont une grande partie pourrait être remboursée par le pétrole. Au cours des dernières années, Moscou a consenti 17 milliards de dollars de prêts et d’investissements au Venezuela. En décembre, les deux gouvernements ont signé un nouvel accord aux termes duquel la Russie investira 6 milliards de dollars dans les secteurs pétrolier et aurifère du Venezuela.
La Chine et la Russie sont les deux principaux créanciers du Venezuela, et elles ont été la principale force économique permettant de maintenir le gouvernement Maduro à flot, faisant la différence entre solvabilité et faillite, selon des experts financiers. »


Le navire-hôpital de la marine chinoise de l’APL, « The Peace Ark », arrive au port de la Guaira, au Venezuela, le 22 septembre 2018.


Il est intéressant de noter que le rapport du LA Times a toutefois fait la distinction entre la Chine et la Russie qui ont adopté des attitudes différentes vis-à-vis de leurs engagements financiers au Venezuela, la Chine étant « plus pragmatique » et la Russie « plus idéologique ». Alors que pour son investissement, Pékin cherchait à obtenir des matières premières, du pétrole bon marché et d’autres revenus, Moscou aurait plus intérêt à « étendre sa présence militaire et à mettre en place une tête de pont dans les Amériques à une courte distance des États-Unis … ».



« Pour la Russie, les investissements et les tentatives militaires visant à protéger le Venezuela ont toujours consisté à montrer sa force dans le voisinage américain… Le Kremlin a tenté d'imiter ce qu'il considère comme la politique étrangère des États-Unis et de l'OTAN consistant à pénétrer et à s'immiscer en Europe de l’Est et dans l’ancienne Union soviétique, en particulier l’Ukraine. »

En effet, la condamnation par Moscou de l’ingérence des États-Unis au Venezuela a été plus frappante que celle de la Chine, qui a en fait appelé au dialogue et à un règlement négocié de la crise. De nombreux analystes américains ont supposé que la Chine risquait même de ne plus avoir confiance dans le président Nicolas Maduro et ont décidé de rester derrière le parapet, préférant se concentrer sur ses pratiques de prêt au Venezuela et même rechercher des accords à des prix avantageux.


Mais de telles hypothèses faciles ont été bousculées avec l’arrivée soudaine des troupes de l’APL sur la languissante île de Margarita, réputée pour être une destination de vacances prisée pour son sable et ses mangroves, sa planche à voile et son kitesurf. Une des raisons pourrait être que, selon l’évaluation chinoise, bien que les tensions montent au Venezuela et que des incertitudes subsistent en raison de la dualité du pouvoir, un point critique pourrait bien être atteint dans un proche avenir, le problème des réfugiés provoquant la désaffection des pays voisins, sans signe de Washington atténuant la pression en faveur d’un changement de régime à Caracas. Il existe également, en même temps, un équilibre inhérent qui a prévalu dans la situation, dans la mesure où aucun des deux acteurs du conflit ne bénéficie d’un avantage décisif.


Une guerre d’usure est en cours et ne peut prendre fin que si l’une ou l’autre des parties perd patience et impose un affrontement, ce qui semble peu probable en l’état actuel des choses.


Selon les experts russes, alors que beaucoup de coups fourrés se déroulent dans l’ombre du côté américain, et que leurs alliés latino-américains s’attendent même à une action rapide et brutale de la part des États-Unis, le fait est qu’il n’y a pas d’appétence pour quiconque a réellement réclamer une intervention militaire absolue pour changer le régime au Venezuela.


Washington semble craindre que toute intervention militaire puisse s’avérer contre-productive et aboutir à un résultat chaotique et, pire encore, unir le peuple vénézuélien contre les États-Unis, en plus de provoquer des turbulences entre les pays d’Amérique latine.


Néanmoins, l’arrivée de militaires russes au Venezuela « a provoqué une réaction nerveuse à Washington », comme le notait le ministère des Affaires étrangères à Moscou le 30 mars, en réponse à une déclaration très nette prononcée la veille par le conseiller américain à la Sécurité nationale, John Bolton, mettant fortement en garde le Kremlin contre « le déploiement de moyens militaires au Venezuela ou ailleurs dans l’hémisphère dans le but de mettre en place ou d’étendre des opérations militaires ». Bolton a averti Moscou : « Nous considérerons ces actes de provocation comme une menace directe pour la paix et la sécurité internationales dans la région… ».


Le ministère russe des Affaires étrangères a toutefois ignoré l’avertissement de Bolton en affirmant que, bien que géographiquement la péninsule russe de Tchoukotka se situe dans l’hémisphère occidental, Moscou n’avait pas l’intention d’établir ou d’élargir ses opérations militaires au Venezuela. Cela dit, « toute tentative (américaine) d’intimider la Russie avec des sanctions pour sa coopération légitime avec le Venezuela paraît absurde ».


Le ministère russe des Affaires étrangères a souligné que les États-Unis « ont échoué dans leurs projets de changement rapide de régime à Caracas. Par excès de confiance en soi, Washington a déçu ceux qui, en Amérique latine et en Europe occidentale, se sont précipités imprudemment pour reconnaître à la tête du Venezuela un imposteur que le peuple n’avait pas élu. En prenant cette mesure, ils se sont privés de toute marge de manœuvre diplomatique ». En outre, Moscou a affirmé proposer de faire « tout ce qui est en notre pouvoir » pour promouvoir un dialogue national au Venezuela. Cependant, Moscou a également signalé indirectement que toute idée d’implanter une base militaire au Venezuela aussi proche des côtes américaines était loin de ses pensées.


De toute évidence, la position ferme mais prudente de la Russie a fortement encouragé la Chine à adopter un rôle proactif déclaré. Inutile de dire que la Russie (et Cuba) se féliciteront de ce changement chinois.



La force aérienne de l’APL a mené son premier exercice d’entraînement au largage aérien en utilisant l’avion de transport stratégique Y-20 l’année dernière vers le mois de mai.


Si la présence russe et cubaine au Venezuela a été suffisamment pénible pour le gouvernement Trump, l’arrivée des troupes de l’APL sera une pilule amère à avaler, étant donné la forte implication de la Chine en Amérique latine. En effet, la Chine se joint à la Russie pour affirmer son intention de protéger ses intérêts vitaux au Venezuela.


Certes, Moscou et Pékin ont pris note de la récente déclaration du président Trump selon laquelle il avait l’intention de discuter avec ses homologues russes  et chinois concernant le Venezuela, ce qui revient à dire qu’il n’envisage aucune intervention militaire, peu importe les remarques rhétoriques des responsables américains.


Il ne fait aucun doute que le déploiement de l’APL au Venezuela a immédiatement changé la donne dans la situation de crise autour de ce pays. Sur le fond, la Chine a indiqué qu’elle était prête à sauver le gouvernement assiégé de Maduro. Beijing a non seulement souligné qu’elle était partie prenante, mais elle a également affirmé son influence mondiale grandissante. Bien sûr, la Chine répudie fermement la doctrine Monroe. Ainsi, à bien des égards, cela devient un moment décisif dans la politique mondiale.