Changement de garde

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Le réveil des peuples contre le mondialisme se traduit par une poussée de la droite nationale

Est-ce un hasard si la chancelière Angela Merkel a annoncé qu’elle ne se représentera pas en 2021 vingt-quatre heures seulement après que le Brésil eut massivement plébiscité à sa présidence un inquiétant populiste nommé Jair Bolsonaro ? Chose certaine, ces deux événements expriment chacun à leur façon la tonalité d’une époque. L’histoire a de ces moments charnières où l’on assiste à un changement de garde radical. D’aucuns parlent même de « dégagisme ».


La démission anticipée de la chancelière n’est pas une surprise. Cela fait plus d’un an qu’Angela Merkel est ce qu’on appelle un « canard boiteux ». Elle était en sursis depuis l’élection de septembre 2017 qui a exprimé un rejet massif des deux grands partis qui ont tour à tour dirigé le pays depuis la guerre. Dimanche, la CDU a enregistré en Hesse son plus mauvais résultat depuis 50 ans. Il ne restait qu’à en tirer les conclusions.


En réalité, cela fait trois ans que les Allemands indiquent la porte de sortie à Merkel. Depuis qu’une majorité de la population ne lui a pas pardonné sa gestion erratique de la crise des migrants qui a permis l’entrée sur le territoire de plus d’un million d’étrangers. Des migrants économiques pour la plupart.


Il faut avoir fréquenté un peu l’Allemagne — un pays beaucoup plus conservateur que la France, l’Italie ou le Royaume-Uni — pour comprendre le choc qu’a pu représenter une telle décision, dont seules les élites cosmopolites des grandes villes se félicitent encore. Ce n’est pas un hasard si Merkel tire sa révérence au moment où, pour la première fois depuis la guerre, l’extrême droite fait son entrée au Parlement.


Plus fondamentalement, ce départ marque probablement la fin de l’alliance entre le libéralisme économique et le progressisme culturel qui aura dominé les quatre mandats de la chancelière. Fille d’un pasteur protestant qui avait préféré la dictature communiste de l’Est à la liberté de l’Ouest, Merkel n’a eu de cesse d’infléchir vers le centre gauche la politique de la CDU. Au point que les Allemands ne la distinguent plus de celle du SPD. Il ne manque d’ailleurs pas d’observateurs pour prédire à ce dernier le même sort que les socialistes français.


Ce qui se passe en Allemagne aujourd’hui est éminemment symbolique. Partout s’exprime une véritable colère à l’égard de cette gauche multiculturelle qui s’est alliée depuis 30 ans à une droite partisane d’une mondialisation dont on n’a pas voulu mesurer les conséquences non seulement économiques, mais surtout politiques et culturelles.


Certes, les formes varient dans chaque pays. Mais, derrière le mot « populisme », partout s’exprime le sentiment de dépossession qu’éprouvent de très larges secteurs de la population. Partout, les peuples craignent de voir leur identité culturelle rayée de la carte, leurs moeurs chamboulées, leurs vies bousculées. Comme s’ils réclamaient une pause.


Ne nous trompons pas d’époque. En France, en Allemagne, aux États-Unis, la révolte des milieux populaires n’est pas celle de ces vieux réacs antédiluviens que certains se plaisent à décrire. Rien à voir non plus avec la colère des années 1930 issue d’une crise économique sans commune mesure avec le plein-emploi que l’on connaît aux États-Unis et en Allemagne. Sans compter que ni Bolsonaro, ni Trump, ni Salvini n’ont jamais remis en question la démocratie qui les a portés au pouvoir. Cette révolte qui cherche désespérément des canaux par où s’exprimer est plutôt celle de l’homme ordinaire qui a grandi dans une société pluraliste, ouverte et progressiste. Elle est d’autant plus inquiétante qu’elle touche largement les classes moyennes, d’ailleurs souvent en voie d’effritement.


Au Brésil, il semble bien que cette révolte a d’abord été motivée par la violence extrême qui ravage le pays. Une violence qu’il est difficile de ne pas associer à la désintégration des formes de solidarité anciennes et à l’extrême individualisme que cultivent aussi bien les pouvoirs économiques que les élites culturelles. Or, cette violence, on la retrouve à Pittsburgh, où un antisémite a abattu 11 personnes samedi dernier. On la retrouve dans les banlieues françaises, où la photo d’un élève mettant en joue son professeur avec un revolver fictif a soulevé l’indignation. Certes, l’échelle n’est pas la même. Mais le déni, lui, semble identique. Comme si les « progressistes », de Lula à Macron en passant par Merkel, étaient incapables de comprendre que le premier droit des peuples demeure le droit à la sécurité. Et que, sans lui, tous les autres n’ont plus de sens.


D’aucuns, à gauche comme à droite, n’hésitent pas à parler d’une crise civilisationnelle. Au fond, le mot « populisme » n’est peut-être que le nom maladroit que nous attribuons à cette colère diffuse qui grogne partout contre un monde qui brutalise les peuples en les considérant comme quantité négligeable. 


> La suite sur Le Devoir.



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