Cet étrange pays appelé Canada

Vrai, l'appui à la souveraineté est au plus bas. Mais ce n'est pas par enthousiasme fédéraliste. C'est par lassitude, par accommodement et par manque de drame.

Écosse et indépendance


Ce n'est pas vraiment la fin de l'unité canadienne que Michael Ignatieff pleure dans son entrevue à la BBC. C'est la fin d'une «certaine idée du Canada».
Dans le spin politique instantané, tout le monde a mis en relief quelques imprécisions et une moitié de prédiction d'indépendance du Québec.
C'est vrai qu'il a été cité hors contexte.
Voici cet ancien chef du Parti libéral du Canada, redevenu prof de sciences politiques, connu dans les milieux intellectuels aux États-Unis comme en Grande-Bretagne, qui est interviewé par la BBC écossaise.
Il exprime pendant 10 minutes un message: le référendum écossais aura des répercussions fondamentales sur la politique britannique et peut-être internationale, quel que soit le résultat.
Si les indépendantistes l'emportent, tous les pays multinationaux seront touchés et se demanderont comment réagir aux mouvements sécessionnistes. S'ils perdent, il y aura ensuite des efforts d'apaisement constitutionnel de toutes sortes.
Conclusion d'Ignatieff: ne croyez pas les politiciens qui vous disent que tout restera comme avant.
Il donne ensuite l'exemple du Québec et dit qu'après le premier référendum, toute une série de changements constitutionnels ont eu lieu.
Il se trompe sur la dévolution des pouvoirs, puisqu'elle n'a jamais eu lieu formellement.
Le fait est néanmoins que les années 80 et 90 ont été marquées par le rapatriement de la Constitution contre le gré du Québec, puis par des tentatives ratées de réparation constitutionnelle... puis par un autre référendum. Quinze années de tiraillements incessants.
Et au bout du compte, ce constat sur les relations Canada-Québec: nous n'avons plus rien à nous dire.
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Vrai, l'appui à la souveraineté est au plus bas. Mais ce n'est pas par enthousiasme fédéraliste. C'est par lassitude, par accommodement et par manque de drame.
De même, le mélange de curiosité et d'inquiétude qui animait plusieurs milieux canadiens à l'égard du Québec n'existe plus.
What does Québec want? Who cares!
Si ça se trouve, c'est l'Alberta qui nous boutera dehors, pas un référendum!
Le centre de gravité politique s'est insensiblement déplacé vers l'Ouest où les querelles de «peuples fondateurs» ne veulent rien dire.
On a beau voir des enfants dans les écoles d'immersion par milliers, le rêve d'un grand Canada bilingue, ou qui s'imagine l'être un jour, est une affaire de vieux progressistes démodés.
«Je parle français!», dit fièrement Ignatieff, en français, au journaliste.
Et d'expliquer que «pour quelqu'un de [sa] génération», un Canada sans le Québec est inimaginable. Parce que la dualité linguistique fait partie de sa définition de l'identité canadienne.
«Ce pays étrange, hybride, qu'on appelle le Canada» a besoin du Québec.
Il constate cependant avec lucidité et dépit que ce n'est pas le Canada imaginaire de la plupart des Canadiens d'aujourd'hui.
Il ajoute qu'au fil des ans, le Québec est devenu de plus en plus autonome. Il laisse comprendre à l'auditoire que c'est à la suite de transferts de compétences constitutionnelles, ce qui n'est pas le cas.
Mais sur le fond sociologique des choses, qui le contredira? Sur cette cohabitation indifférente, ce pacte fiscal sans émotion, qui pense vraiment échafauder un nationalisme «canadien» unificateur, comme en ont rêvé plein de gens de bonne volonté?
Ce n'est plus dans l'air du temps, ce n'est plus au programme. Le pays est un ménage de raison au mieux.
Aucun parti au Québec ne se soucie vraiment de constitution - sauf ceux qui veulent en sortir. Au fédéral, Thomas Mulcair vous dira qu'il faudrait faire signer la Constitution de 1982 par le Québec, mais ne vous attendez pas à ce qu'il en fasse son sujet principal de campagne en 2015...
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Cette entrevue lucide n'a rien de scandaleux, contrairement à ce qu'a dit le ministre du Patrimoine hier. C'est la simple réflexion d'un homme sorti de la politique, qui constate que le Canada auquel il a rêvé est resté largement ça: un rêve.
C'est légèrement plus subtil aussi que ce qu'en disent les gens du Parti québécois, qui voudraient nous faire croire qu'il en est venu au même constat qu'eux quant au Canada.
Ignatieff a cru devoir se défendre: je souhaite que le Québec reste dans le Canada! Sans blague...
Mais les conservateurs ont réussi à faire croire que Justin Trudeau a entretenu des fantasmes sécessionnistes, alors il ne faut plus se s'étonner.
Étrange pays en effet.


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