Budget 2010: prendre du pauvre pour donner au riche

Budget Québec 2010 - suites

« Payez, les pauvres! » aurait pu dire le ministre Bachand en déposant son budget cet après-midi. Aux prises avec un déficit largement causé par les généreuses baisses d’impôt accordées aux mieux-nantis par les gouvernements libéral et péquiste, le ministre des finances a décidé de refiler la facture à la classe moyenne et aux plus démunis. On en revient toujours là: on réduit les revenus de l’État quand l’économie va bien, et on s’attaque à la « bête »en coupant les services et en haussant les tarifs dès qu’une crise frappe. Prévisible.

En fait, ce qui surprend avec ce budget, c’est la manière quasi-désinvolte avec laquelle on cible principalement les plus démunis pour renflouer les coffres de l’État. Taxe sur la santé, ticket modérateur, hausse de la TVQ, hausse des tarifs d’électricité, hausse des frais de scolarité: si on pouvait simplement taxer la pauvreté, on le ferait. D’une manière systématique, on vise les plus pauvres et on épargne les mieux-nantis.
Soit les statistiques suivantes.

On le constate, l’effort demandé aux moins-nantis est supérieur à celui exigé des plus hauts revenus. Cela n’est pas surprenant, car la plupart des mesures annoncées par ce budget sont régressives et ciblent donc plus directement les plus défavorisés. Que ce soit au niveau de la taxe-santé, qui pénalisera du même montant le millionnaire et l’employé de McDonald, du ticket-modérateur ou de la hausse du tarif patrimonial d’Hydro-Québec, la classe moyenne et les plus démunis seront systématiquement plus affectés par ces hausses: 3,85% des revenus du quintile inférieur seront ponctionnés, contre 2,12% pour un revenu moyen et un maigre 1,50% pour les mieux-nantis. Malgré un « impôt sur la solidarité » qui prévoit rapporter, en moyenne, et principalement aux familles, un minime 174$ par année, ce budget consacre une augmentation des inégalités sociales. Pour un étudiant, qui doit souvent travailler dans des emplois précaires en plus de suivre ses cours, la hausse sera encore plus dramatique: 5,50% de son revenu annuel! Et le le pire, c’est que ces chiffres sont optimistes.
En effet, la vérité est encore plus pathétique. La hausse de la TVQ de un pourcent, que j’ai réparti de manière égale dans le graphique ci-haut, frappera plus fortement les personnes défavorisés, car celles-ci ont moins tendance à épargner. Concrètement, un individu gagnant 13 000$ par année dépensera la quasi-totalité de cet argent dans des biens de consommation courante – taxables – alors qu’un individu en gagnant 110 000$ risque d’en mettre de côté, dans des RÉER ou ailleurs, ce qui réduira l’emprise de la taxe sur lui. On pourrait toujours arguer que l’épargne constitue une consommation future, mais puisqu’on ignore quelle sera la valeur de la taxe dans dix ou quinze ans – plusieurs seraient tentés de la réduire lorsque l’économie ira mieux -, il faut partir du principe que cette hausse pénalisera principalement les moins-nantis.
De la même façon, la moyenne de 3,37 visites par année chez le médecin est trompeuse. Un individu vivant dans la pauvreté, et qu’on appauvrira encore davantage avec ce budget, est forcément plus malade qu’une personne mieux-nantie. Il a été démontré que plus de 1,4 millions de personnes meurent, à chaque année, des causes des inégalités sociales dans les pays développés. Une étude de l’Institut canadien de la santé a aussi démontré le lien empirique entre pauvreté et santé. On peut donc estimer que le nombre de visites risque d’être supérieur, advenant, bien sûr, qu’une personne ne décide pas d’éviter de se présenter chez le médecin pour ne pas avoir à payer le coût de la visite, ce qui gonflerait le nombre de morts causés par les inégalités sociales. Dans tous les cas, l’appauvrissement entraîne la malade, et en fixant des tarifs égaux pour tous, on s’attaque plus fortement aux pauvres.
Qui plus est, on constate que si les particuliers et les entreprises consacrent 38,1% de l’effort financier exigé, les coupures dans les dépenses gouvernementales et des organismes atteignent 51,2%. Or, qui profite le plus des programmes gouvernementaux, sinon les citoyens de la classe moyenne et les plus démunis? Qui a le plus besoin du service des fonctionnaires de l’État, eux qui subissent encore cette injustice de voir qu’un départ sur deux n’est pas comblé, sinon ceux qui n’ont pas les moyens de se payer les services du privé? Pire: comment se fait-il que sur le 38,1% de l’effort des particuliers et des entreprises, ces dernières ne participent qu’à 7,1%? Dans les années 50, elles contribuaient à plus de 50% des revenus de l’État, mais aujourd’hui ce n’est même pas 10%. Pourquoi ne pas avoir annulé, comme le suggérait Québec Solidaire, la taxe sur le capital des entreprises, pour aller chercher 503 millions de dollars?
Aussi, pourquoi ne pas avoir créé un nouveau palier d’imposition pour les plus riches et ainsi aller chercher plus d’un demi-milliard de dollars? Pourquoi ne pas avoir imité, comme le soulignait Jean-François Lisée, la Grande-Bretagne, qui vient d’augmenter son taux d’imposition supérieur à 50%?
Au-delà des chiffres et de l’appauvrissement généralisé de ceux qui n’ont pas les moyens de participer à la grande « richesse individuelle » prônée par le Parti Libéral et sanctifiée par le Parti Québécois, on constate que si ce budget demande des efforts à tous les citoyens, ceux-ci sont répartis différemment selon qu’on gagne plus ou moins d’argent.
À une certaine époque, on croyait à la redistribution de la richesse. On comprenait que la pauvreté entraînait des coûts importants – ne serait-ce qu’au niveau du crime et de la santé. Aujourd’hui, on a inversé la pyramide et on opère désormais la redistribution inverse: on prend du pauvre et on donne au riche.
Un gouvernement à ce point méprisant pour la classe moyenne et les plus démunis devrait être pénalisé. Mais le problème, c’est que l’opposition, en face de lui, pense de la même manière et ne s’oppose que pour la forme.
Vous m’avertirez quand vous verrez du changement. Pour le moment, je dois travailler. Faut qu’il se paie, le party que les plus riches s’offrent depuis des années avec nos gouvernements de droite au pouvoir!
1. Les quintiles du revenu proviennent des données de Statistique Canada pour l’année 2007 [↩]
2. À partir de 2012 [↩]
3. Le lecteur attentif notera que l’exemption pour la taxe-santé, pour une personne seule, sera à 14 040$. Cela ne change pas le calcul total, ou très peu. Ces chiffres ne sont qu’à titre indicatif; une personne gagnant 14 040$ paiera effectivement une charge plus élevée de son revenu qu’une personne en gagnant 40 000$ ou 110 000$. Le but du tableau n’est pas d’être hyper-précis, au dollar près, mais de démontrer la tendance générale. Dès qu’un individu atteint le 14 040$, à la limite du quintile inférieur, il est largement défavorisé. [↩]
4. Le chiffre moyen de 3,37 visites par année vient d’ici et le 25$ vient du rapport Castonguay, qui recommandait ce ticket-modérateur pour aller chercher 600 millions $ par année et dont le gouvernement semble vouloir s’inspirer pour aller chercher plus de 500 millions $ par année. [↩]

5. Les statistiques pour cette augmentation proviennent de cette étude et les hausses auront lieu vers 2013 [↩]
6. Le ministre a précisé qu’il y aurait une autre hausse à partir de 2012, et il a souligné que les étudiants contribueraient à « seulement » 13% des coûts de l’éducation, contre 23% ailleurs au Canada. Ces statistiques se basent donc sur l’hypothèse – plausible – que le ministre voudra, en 2012, rejoindre la moyenne canadienne [↩]


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