En 2001, au terme d'une lutte épique, Bruno Roy (au centre) a obtenu que le gouvernement du Québec verse une compensation moyenne de 25 000 $ à chaque orphelin de Duplessis. Photo: Patrick Sanfaçon, archives La Presse
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Louise Leduc - Selon les papiers officiels, il était «arriéré mental». Cela, Bruno Roy, l'écrivain, titulaire d'un doctorat en littérature française, ami de Chloé Sainte-Marie et de Gilles Carle, dont il accompagnait le cercueil il y a moins d'un mois, ne l'a jamais oublié. Pas plus qu'il n'a tourné le dos, une fois dans le grand monde, aux orphelins de Duplessis, ses compagnons d'infortune.
En 2001, au terme d'une lutte épique, Bruno Roy a obtenu que le gouvernement du Québec verse une compensation moyenne de 25 000 $ à chaque orphelin qui, sous le règne de Duplessis, avait comme lui reçu un faux diagnostic de débilité mentale et avait ainsi été privé d'éducation, à une époque où l'école était déjà obligatoire.
Le stratagème imaginé par Maurice Duplessis et le cardinal Léger avait alors permis aux communautés religieuses de toucher plus d'argent du gouvernement fédéral, qui accordait des subventions plus substantielles pour la prise en charge d'un enfant réputé malade que pour un orphelin en bonne santé.
En entrevue, en 2001, Bruno Roy a déclaré qu'il avait pu faire bénéficier les orphelins de Duplessis de ce qu'ils n'avaient pas: les mots pour dire leur souffrance, les mots pour revendiquer. «Jusque-là, parce qu'ils témoignaient avec certains débordements et qu'ils s'exprimaient à la manière d'exclus sociaux, on disait d'eux qu'ils racontaient n'importe quoi.»
Miraculé
Sorti de l'asile à 16 ans, Bruno Roy, lui, était un miraculé. Il est parvenu à terminer l'équivalent de son cours secondaire à 21 ans avant de prendre brièvement la soutane chez les Clercs de Saint-Viateur. «Fondamentalement, je savais pourtant que je ne resterais pas en communauté, dira-t-il. J'ai vite compris que c'était pour moi la seule façon de m'instruire.»
Fort de ces études, des années plus tard, il organisera une bataille rangée. Il s'entourera d'avocats, d'intellectuels (le sénateur Jacques Hébert, le psychiatre Denis Lazure) et de personnes fortes en gueule comme Léo-Paul Lauzon. Ensemble, ils organiseront des manifestations en camisole de force, frapperont à la porte de Mgr Jean-Claude Turcotte, bousculeront le gouvernement.
Le gouvernement, par la bouche de Lucien Bouchard, a présenté ses excuses en 1999. Jamais l'Église n'en a fait autant, «et de cela, Bruno a été amer jusqu'à la fin», raconte Yvon Chicoine, vice-président du Comité des orphelins de Duplessis.
En 2001, Bruno Roy dira cependant qu'il n'avait jamais voulu s'en prendre personnellement à des individus ou à des groupes, mais dénoncer un système d'oppression, une injustice.
Pour cela, Alice Quinton, elle-même orpheline de Duplessis, lui voue une grande reconnaissance. «Lui, il avait de l'instruction. Il nous en a fait profiter à nous tous qui n'en avions pas.»
«Il a bravé le gouvernement avec la plus grande combativité, dit pour sa part Yvon Chicoine. Il voulait nous rendre notre dignité.»
Et cela est allé bien au-delà de l'obtention des chèques de compensation.
«Il insistait pour que, à chaque Noël, les orphelins soient invités à un repas de quatre services, raconte Alain Bilodeau, travailleur social qui a bataillé aux côtés de Bruno Roy. Il n'en démordait pas: il voulait que les orphelins soient servis à table.» Comme le grand monde.
Chloé Sainte-Marie se souvient...
«Bruno avait toujours quelque chose en chantier. Un poème, un roman, un scénario, une cause à défendre. Il n'a jamais arrêté de créer.»
Chloé Sainte-Marie est bien placée pour le savoir: aux funérailles de Gilles Carle, Bruno Roy lui a annoncé que le poème qu'il lui avait promis pour son prochain CD était prêt. «C'est un poème à partir d'un dessin de Gilles qui s'intitule Ne sois pas triste, je t'aime.»
Ce poème sera le troisième de Bruno Roy que chantera Chloé Sainte-Marie, mais elle assure qu'elle en a plein d'autres de lui. «Il m'en donnait en cadeau à mon anniversaire. Il écrivait tout le temps.»
C'était, dit-elle, un homme d'une grande générosité «qui semblait dans l'urgence, qui faisait toujours les choses là, tout de suite».
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