Bonne St-Jean

Puisse le Québec se dire que le système actuel n’est pas un écran final et qu’il forme l’unique nation en droit de se définir et de s’appartenir.

Chronique d'André Savard

On sait que l’hymne national du Canada, celui en français, celui en anglais en a retenu le motif musical, chante les louanges du Canada, mot qui recouvrait un tout autre sens à l’époque. Le mot “Québécois” a connu une ascension lente pour remplacer le mot Canada pour symboliser notre fierté nationale. Si l’hymne national du Canada a cessé d’être un chant patriotique, c’est parce que le mot Canada est un mot déplacé, réimplanté pour servir une autre cause, une autre nation. Son sens initial a été suspendu.
Dans une guerre de symboles, le langage et ses usages jouent un rôle historique; c’est à qui colonisera les mots et volera le dictionnaire. Les mots “Canada” et “Canadien” une fois volés, il nous a fallu un autre mot pour nous désigner en propre. On a pourfendu le mot “québécois” comme étant trop particulariste. Tout ce qui est Québécois est trop particulariste nous dit-on, à part Céline Dion et le Cirque du Soleil. Et comme on ne veut pas être trop particulier, juste être un bel esprit individuel branché qui adopte tout ce qui a la cote à la bourse des valeurs mondiales, se reconnaître comme Québécois demeure un chemin ardu pour plusieurs.
Le mot “Québécois” oui, mais sous certaines conditions, la première étant qu’il ne traduise pas une allégeance à la patrie, juste une convenance canadienne qui s’efface devant les droits premiers de la Grande Nation Canadienne. Le mot “Québécois” est sous surveillance. Venu pour remplacer le mot “Canadien”, on veut l’excuser tout de suite en le disant apolitique. Ainsi espère-t-on qu’il ne disparaîtra pas de la surface des phrases, ainsi espère-t-on qu’il ne fera que les vernir.
Au Québec, on vit dangereusement en paix et quiconque y a vécu un peu sait que le jeu de l’espace verbal y a ses zones de sensibilité très fortes et ses limites rouges. On n’y parle pas tant que ça de politique car l’usage de certains mots y est chargé de sens. On cerne vite des évitements, même dans les conversations les plus amicales. Parlez par exemple à des étudiants de l’université Concordia en théâtre et ils vous parleront subito presto de leur dilection pour le théâtre américain en esquivant l’espace québécois.
Récemment je m’entretenais avec une groupe d’entre eux. J’ai testé leurs connaissances sur le théâtre québécois. Ils croyaient que Robert Lepage était un professeur d’université. Le Québec n’était pas là. On était pluraliste ici. Toute québécitude doit être filtrée par le milieu avant de servir à se brancher entre copains.
Le mot “québécois” dans ce contexte pourra bien réapparaître mais après avoir manifesté des préséances, celles de l’Amérique, celles du Canada dans le bon modèle verbal. Certains de ses étudiants étaient francophones. On comprend qu’il existe certaines familles d’esprit, cela n’a pas nécessairement à voir avec la langue parlée ou l’origine ethnique. Un franco qui a l’esprit de système et qui, paradoxalement, se dit en rupture de ban par rapport aux idéologies fera un très bon fédéraliste.
Un cas de ce type qui confine à la caricature, c’est Alain Dubuc. Il se dit “lucide” et immunisé contre les intrépidités induites par des idéologies trop intellectualisantes. Il faut dire que c’est un ancien maoïste. Comme bien des fédéralistes, il part du principe que l’appartenance à l’Amérique du Nord et plus spécifiquement à l’Etat canadien nous permettrait d’échapper aux pièges de l’idéologie.
Le premier point de ce genre de “lucides” est de se réclamer de l’Amérique du Nord. On se dit enraciné en Amérique du Nord, un continent pénétré de cette conviction que la liberté finit là où commence l’intervention centralisée de l’Etat. L’Amérique serait essentiellement plus “concrète”, ses penseurs moins idéologiques. Il n’y aurait qu’une exception, le Québec qui a trop identifié le pouvoir à l’Etat.
À cet égard, la population québécoise aurait besoin d’être responsabilisée. Son appartenance au Canada, pays Anglo-saxon, donc plus concret, aurait une vertu thérapeutique.
Le mot “Canada” a déjà désigné notre collectivité. Et puis il a été prélevé pour entrer dans la composition d’un film dont le scénario allait se conjuguer selon l’image que la nation anglaise voulait bien avoir d’elle-même: la nation la plus concrète, la plus pluraliste, la plus riche, la plus plus. Et le mot “Quebec” s’est chargé de culpabilité parce qu’il avait la prétention de désigner notre être propre.
Le mot “Quebec” désigne trop souvent une déformation par rapport à un idéal globalisant qui attendrait juste de gagner en consistance pour que ça aille mieux.
Puisse le Québec se dire que le système actuel n’est pas un écran final et qu’il forme l’unique nation en droit de se définir et de s’appartenir. Bonne St-Jean!
André Savard


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