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Québec - le monde des idées

Que serait devenu le Québec si le OUI l'avait emporté au référendum de 1980? C'est la question à laquelle essaie de répondre le politologue Denis Monière dans un essai de politique-fiction audacieux et passionnant. Un bréviaire politique stimulant pour les souverainistes en panne d'imagination.
Qu'est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre de politique-fiction?
Denis Monière: "À ma connaissance, c'est le premier essai de politique-fiction publié au Québec. C'est un genre littéraire, qui s'appelle uchronie, qui consiste à prendre un événement historique, souvent fondateur, et à en changer le cours. En 2005, à l'occasion du 25e anniversaire du référendum sur la souveraineté de 1980, je voulais écrire un texte pour souligner cet événement. Je ne voulais pas tomber dans la nostalgie. Comment faire pour parler de ce référendum perdu sans ressasser toutes les vieilles rengaines relatives aux causes de cet échec? Je suis donc parti de l'hypothèse suivante: si le OUI l'avait emporté, que serait devenu le Québec? Il y a une deuxième raison qui m'a motivé à écrire ce livre. Après avoir publié 35 essais sur le Québec et la question nationale, je trouvais difficile de continuer à parler de la souveraineté, je commençais à me répéter. Je me suis dit alors que si je passais par la fiction, j'aurais peut-être plus d'ouverture, plus de marge de manoeuvre, que si je restais dans mon style universitaire habituel, où je dois respecter toute une méthodologie, un système de démonstration... Je pensais être arrivé aux limites de ce que je pouvais apporter comme intellectuel avec l'analyse de la science politique. Mais je ne pouvais pas me lancer dans une fiction pure. Au contraire, je me suis imposé des règles d'écriture assez strictes sur le plan historique."
Pourquoi avez-vous choisi comme trame
centrale le référendum de 1980 et pas celui de 1995?
"J'ai choisi le référendum de 1980 et pas celui de 1995 parce que j'avais besoin d'espace pour développer toutes les dimensions de ce qu'on peut faire avec la souveraineté. Ça me donnait 25 ans de perspective pour voir la mise en place des nouvelles institutions d'un Québec souverain. Par ailleurs, il y a eu en 1980 un événement marquant: le référendum a été perdu en grande partie parce que les partisans du NON avaient pris un engagement auprès des Québécois en leur disant que voter NON, ce serait un OUI pour le changement du fédéralisme. L'engagement de Pierre Elliott Trudeau au Centre Paul-Sauvé, où il a mis sa tête en jeu, et celles de tous ses députés, qui, assura-t-il, démissionneraient si le OUI l'emportait, n'était qu'une affabulation. En réalité, Trudeau a fait croire aux Québécois que s'ils votaient NON, le Québec pourrait progresser dans ses revendications. C'est tout le contraire qui s'est produit un an plus tard, avec le rapatriement unilatéral de la Constitution, l'imposition d'une charte des droits, l'adoption d'une formule d'amendement et, dans le fond, une réduction des pouvoirs du Québec. Cet événement méritait d'être souligné pour montrer qu'il y a une mystification dans le processus politique canadien. D'ailleurs, on n'est pas encore sorti de cette ornière. Depuis, il y a eu l'échec de Meech, le référendum de 1995, le scandale des commandites..."
Dans votre livre, le Québec souverain négocie en 1985, bien avant le Canada anglais, un accord de libre-échange économique avec les États-Unis. Sommes-nous là en pure fiction ou en plein délire?
"En 1980, l'accord de libre-échange économique entre le Canada et les États-Unis n'existait pas. Dans le scénario que je développe dans le livre, c'est le Québec qui, en 1985, prend l'initiative de jeter les bases d'un futur accord de libre-échange entre le Québec et les États-Unis. Robert Bourassa, qui, après la victoire du OUI, se rallie au camp souverainiste, va voir Joe Clark, devenu entre-temps premier ministre du Canada, pour lui annoncer l'intention du gouvernement québécois de négocier un accord de libre-échange avec les Américains. Clark et l'élite économique canadienne ne peuvent pas laisser le Québec négocier tout seul cet accord avec Washington. Le président Ronald Reagan n'est pas insensible à la détermination et au charisme de René Lévesque, qui était dans l'armée américaine pendant la Deuxième Guerre mondiale. En 1985, les Américains auraient été plus souples à l'endroit du Québec. Aujourd'hui, le couple George W. Bush-André Boisclair, c'est une autre histoire!"
Vous prédisez que dans un Québec souverain, Montréal connaîtra un essor socio-économique sans précédent. Pourtant, nombreux sont ceux qui affirment, avec une assurance inébranlable, que la souveraineté entraînera un déclin économique du Québec, la fuite des capitaux, l'exode des sièges sociaux de Montréal...
"L'exode des sièges sociaux du Québec a commencé dans les années 70 et non quelques mois avant la tenue du référendum sur la souveraineté de 1980. Je n'ai rien inventé. C'est la grande économiste torontoise Jane Jacobs, qui vient de décéder, qui soutient cette thèse dans un de ses livres. En se basant sur des modèles économiques et des expériences similaires menées dans d'autres pays, Jacobs affirme que Montréal ne pourra jamais se développer économiquement dans le cadre du fédéralisme canadien parce que Toronto, ayant prise sur les décideurs fédéraux, draine la majorité des ressources et des investissements vers l'Ontario. Montréal pourrait connaître un plus grand essor socio-économique si le pouvoir politique était concentré à Québec."
Votre livre est destiné à la jeune génération de souverainistes?
"Depuis l'échec du référendum de 1995, les Québécois ont perdu la faculté de rêver ce que pourrait devenir le Québec. On s'encombre de problèmes quotidiens, très matériels: la gestion de la dette, la crise dans le système de santé... Le Québec est une société qui se déprime. Je voulais imaginer un Québec différent, plus souriant vis-à-vis de l'avenir. Essayons de mettre un peu en arrière-plan nos idées noires et voyons ensemble ce que les Québécois pourraient faire de mieux, de bien. Quand on se désespère, on n'agit pas. Il est temps que les Québécois se remettent à rêver. On ne peut pas bâtir un pays si on ne rêve pas!"
25 ans de souveraineté. Histoire de la République du Québec
_ de Denis Monière
_ Éditions du Québécois, 2006, 175 p.
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LA POLITIQUE-FICTION, UN GENRE LITTÉRAIRE À LA MODE
Décidément, la politique-fiction, ou uchronie, est un genre littéraire très à la mode. Au-delà du jeu, elle ouvre des perspectives utopiques - le terme même d'uchronie est un néologisme basé sur les mots "utopie" et "chronos" (le temps) -, donnant à voir des sociétés imaginaires, d'autres mondes possibles, les meilleurs ou les pires. L'uchronie ne cherche pas à effacer l'Histoire de la mémoire du lecteur pour lui en substituer une autre. Elle lui propose une réflexion sur l'importance des événements historiques, un regard critique sur le monde actuel, voire parfois un simple dépaysement exotique et divertissant. La politique-fiction est l'art de jouer avec les "si". Supposons qu'à la veille du référendum sur la souveraineté du Québec de 1995, les périls pour le camp souverainiste émanent des lieux mêmes où se concoctent les stratégies du OUI (1); qu'en 2020, le Mexique est privé de tout système de télécommunications et plongé dans le chaos à la suite de la décision de son président de ne pas soutenir les États-Unis dans leur occupation militaire de la Colombie (2); qu'en 1940, un antisémite invétéré, le célèbre aviateur Charles Lindbergh, est élu président des États-Unis (3); qu'en 2020, l'hégémonie mondiale américaine s'effondre au moment où renaît un nouveau califat musulman (4)... La politique-fiction est un genre littéraire éminemment politique qui place l'individu face aux questions lancinantes de son époque.
(1) La Taupe. Chronique d'un référendum. Acte I. Les Américains à Québec, roman de Jean Chartier. Éditions L'instant même, 2005, 325 p.
(2) Le Siège de l'aigle, roman de Carlos Fuentes. Éditions Gallimard, 2005, 443 p.
(3) Le Complot contre l'Amérique, roman de Philip Roth. Éditions Gallimard, 2006, 476 p
(4) Le Rapport de la CIA. Comment sera le monde en 2020?, collectif, préface d'Alexandre Adler. Éditions Robert Laffont, 2005, 270 p.


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