Attentat: de l’importance d’enfin nommer les choses

Dira? Dira pas?

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La rectitude politique mène à l'incapacité d'appeler les choses par leur nom



Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien : l’une des premières phrases complètes que j’ai prononcées dans ma vie, ce fut « Le veau d’or est toujours debout » — c’est dans le Faust de Gounod, allez savoir pour quelle raison et par quel canal ces mots m’avaient frappé l’entendement. Sauf que je ne parvenais pas à dire « toujours », et que j’allais répétant « le veau d’or est tout debout » — malgré les efforts de mes parents pour me faire articuler distinctement les deux syllabes de « toujours »… Tous les géniteurs ont connu des cas similaires, un mot sur lequel l’enfant butte, qu’il ne parvient pas à articuler dans son entier.


François Hollande a longtemps eu un problème du même genre avec le mot « islamisme » — ou l’un quelconque de ses dérivés. Depuis deux ans, ou presque, que les guignols sanglants qui se réclament de l’Etat islamique mettent la France à feu et à sang, et massacrent ailleurs dans le monde par dizaines de milliers des gens qui ne leur ont rien fait, il butte sur cet « islamique », qui renvoie sans doute pour lui à « islam », donc « musulmans », donc « électorat sensible », selon le plan élaboré pour lui par Terra nova, le cercle de réflexion de la gauche de droite. Ou plutôt le « think tank », parce que chez ces gens-là, Monsieur, on n’parle pas français, on cause globish.


Et puis vendredi 15 juillet, quelques heures après avoir précipitamment quitté le Festival d’Avignon à l’annonce des dernières facéties d’un Croyant-selon-le-Prophète sur la Promenade des Anglais, François Hollande y est arrivé enfin, à 3h45 du matin : « C’est toute la France qui est sous la menace du terrorisme islamiste. » Bravo. Il l’a dit. Is-lam-iste. Trois syllabes. À couper après le –m-, et non après le –a-. Islam-iste.



Le Monde en est resté soufflé, et nous a pondu l’un de ces articles de fond sur l’évolution du discours gouvernemental dont il a le secret. « Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille / Applaudit à grands cris. » Quand il dit ses premiers mots aussi. « Il a dit “islamiste” » ! » « Il l’a dit ? » « Il l’a dit ! ».


Contrairement à ce que pensaient les réactionnaires d’Atlantico, ce n’était pas un refus de dire, c’était une incapacité — encore trois jours après le Bataclan. Quand on a répété durant des années que « l’islam est compatible avec la démocratie », on conçoit que l’on puisse faire un blocage, lorsqu’on est sommé par les faits d’associer soudain ces deux mots « terrorisme islamiste ».


Ce n’était pas faute d’avoir été sermonné. Abdennour Bidar, il y a presque deux ans, avait expliqué à ses coreligionnaires, dans Marianne, le fond du problème : « Les racines de ce mal qui te vole aujourd’hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre — et il en surgira autant d’autres monstres pires encore que celui-ci que tu tarderas à admettre ta maladie, pour attaquer enfin cette racine du mal ! Même les intellectuels occidentaux ont de la difficulté à le voir : pour la plupart, ils ont tellement oublié ce qu’est la puissance de la religion — en bien et en mal, sur la vie et sur la mort — qu’ils me disent : “Non, le problème du monde musulman n’est pas l’islam, pas la religion, mais la politique, l’histoire, l’économie, etc.” Ils ne se souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur de réacteur d’une civilisation humaine ! Et que l’avenir de l’humanité passera demain non pas seulement par la résolution de la crise financière, mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise spirituelle sans précédent que traverse notre humanité tout entière ! »


Je crois qu’il a raison, cet homme. L’islam se greffe sur notre civilisation comme un cancer parce que nous avons renoncé à toute transcendance. Et dans notre France laïque, nous n’en avions qu’une sous la main, qui était la Nation — ou la Patrie, appelez-la comme vous voulez. Quoi qu’on en dise et puisse en penser, le service militaire était le dernier grand lieu d’intégration sous les couleurs du drapeau — et les antimilitaristes béats qui aujourd’hui encore ont préféré laisser l’armée entre les mains des militaires professionnels en croyant que c’était un progrès devraient y repenser sérieusement. C’est tout le sens des parades du 14-Juillet : l’armée défile parce qu’elle est au service de la Nation. Parce qu’elle est son éma-nation.


L’Ecole constituait le lien entre l’individu et la Nation en lui apprenant le bon usage de la langue : il y a un lien charnel entre le français et les Français. « Imposer sa langue, c’est imposer sa pensée » dit très bien Claude Hagège. Mais cesser de l’imposer, tout déléguer à un oral négligé comme le font les pédagogies modernes (et cela a commencé sous De Gaulle, figurez-vous, lorsque René Haby était directeur de la DGESCO — bien avant d’être ministre de Giscard et d’imposer le collège unique), c’est imposer les droits de l’individu au-dessus de ceux du citoyen.


Ce règne de l’individu, du selfie, de la consommation, cet impérialisme de la superficialité, de l’iPad, de l’iPod et de l’iMac, font le jeu du système économique qui régente présentement la planète. Mais il ne satisfait rien des désirs profonds. « L’ère du vide », dit très bien Gilles Lipovetsky — nous en avons parlé ici-même. Dans ce vide soigneusement aménagé dans les consciences des crétins bacheliers, ce vide que remplissent mal les gadgets périssables d’une industrie productrices d’obsolescence, se faufilent sans trop de peine (et très vite, parfois, comme on l’a appris ces derniers jours) les certitudes sanglantes de l’islam wahhabite.


Et comme le dit très bien Pierre Conesa (c’est vers la 27ème minute de C dans l’air), il n’y a pas de bon ou de mauvais salafisme. Quiétiste ou guerrier, il s’appuie sur la misogynie absolue, le rejet de toute différence, la certitude d’être dans le vrai, et le goût du sang.


Et si demain, comme certain(e)s semblent le souhaiter, c’est un(e) président(e) musulman qui sévit en France, c’en sera fini de nous — définitivement. Quand une folie meurtrière dispose des moyens d’un Etat, il n’y a plus qu’à tirer l’échelle — et aucune Thélème ne pourra nous sauver du massacre.




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