Vous qui votez à droite, laissez-moi vous expliquer l’intersectionnalité…

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La difficile solidarité des opprimés


 

 



Jean-Paul Brighelli éclaire notre lanterne




Bien sûr, tout le monde connaît l’intersectionnalité, n’est-ce pas… Car tout le monde loue les travaux de Kimberlé Crenshaw, publiés en 1991: une Noire opprimée l’est à la fois parce qu’elle est femme, et parce qu’elle est noire. Belle trouvaille. Un ghetto noir n’est pas un ghetto blanc. Harlem contre Detroit.



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Si de surcroît notre Noire est lesbienne dominatrice, transgenre, handicapée, authentique descendante d’esclave et de culture musulmane — deux termes incompatibles, parce que les Musulmans étaient du côté des esclavagistes —, si elle n’a pas fait d’études mais des ménages, qu’elle est une ménagère de plus de cinquante ans, de surcroît féministe tendance gouine rouge, et obèse, elle offre une grande variété d’intersections. Elle appartient à une multitude de communautés qui se croisent sans se mélanger complètement: une lesbienne blanche semble bien appartenir à l’un des groupes nommés ci-dessus, mais sa qualité de « blanche » la renvoie impitoyablement dans l’univers des esclavagistes-colonisateurs-exploiteurs. Toutefois, elles appartiennent à un même parti de gauche. Forcément: à droite, on ignore l’intersectionnalité, il en est même, «républicains» auto-proclamés, qui pensent que nous appartenons tous à la race humaine, sous-groupe citoyens français — et ça suffit comme ça.


Mais à gauche, ils savent mieux — ils sont même capables de s’intersectionnaliser entre eux, entre Gauche laïque et Gauche repentante pro-islamiste, comme l’ont amplement démontré les mésaventures de mon ami Henri Peña-Ruiz expliquant aux imbéciles de la France Insoumise la distinction entre raciste et islamophobe. Même les ministres de LREM n’y ont rien compris, mais on sait que dans leurs rangs, la culture se perd.

Peut-être pourrait-on proposer une grande intersection des crétins congénitaux, des imbéciles heureux et des connards de passage ? Vaste programme…


La théorie et ses ratés


À noter que l’intersectionnalisation a parfois des ratés, des couacs, des hésitations au cœur même de ses certitudes. Un vegan attaquera une boucherie traditionnelle, mais pas une boucherie halal — intersection des groupes dominés. Et les féministes les plus dures ne diront rien du statut d’esclave de la femme musulmane — intersection des solidarités. Elles ne condamneront même pas les 10 ou 12000 excisions pratiquées chaque année en France — parce que les Noires, hein, sont assez dominées comme ça sans qu’on leur reproche de se faire couper contre leur gré leur petit bout de bonheur.

Et moi ? Blanc (assez bronzé, en ce moment, mais c’est un camouflage qui ne durera pas), mâle alpha et hétérosexuel — personne ne me forcera à utiliser «cisgenre», le mot à la mode pour dire que vous êtes conforme à votre bulletin de naissance. Enseignant — est-ce une qualité… Ce ne sont pas là des caractéristiques bien méritoires. Salauds d’ancêtres qui n’ont pas été esclaves, même pas juifs, et se sont mariés en endogamie, évitant de faire de moi un métis…



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Ah oui : je suis Corse — et encore, à moitié. Mais c’est une qualité que je n’exhibe qu’à partir de 11 heures du soir, après des libations généreuses au Patrimonio du Clos de Bernardi, mon préféré — le seul à être commercialisé dans des bouteilles de type Alsace. En général, cela consiste à raconter des histoires drôles corses — un exploit, les insulaires ayant à peu près autant d’humour qu’un cul de casserole. Il y a bien (à Bastia surtout) des Juifs corses, mais je ne cache pas qu’ils partagent l’immense répertoire noir des Ashkénazes. Décidément, ma corsitude est un colifichet pour discussions mondaines.


Et la lutte des classes?


Je ne m’intersectionnalise donc avec personne — sinon des créatures adéquates pour un temps nécessairement compté, homo animal triste post coitum sauf quand il s’endort. Psychologiquement parlant, un homme ne peut pas, paraît-il, s’intersectionnaliser avec une femme — qui vit depuis son enfance sous l’emprise des mâles, bla-bla-bla, et considère sans doute que tout rapport hétéro est un viol, comme affirmait Andrea Dworkin : « Le discours de la vérité masculine — la littérature, la science, la philosophie, la pornographie — appelle cette pénétration une violation. Il le fait avec une certaine cohérence et une certaine confiance. La violation est un synonyme pour le coït. » (Intercourse, 1987).


Alors, dois-je ressentir comme une grave insuffisance le fait de ne m’intersectionnaliser avec personne ?


Cessons de rire. Je m’intersectionnalise avec ceux qui, comme moi, gagnent leur pain à la sueur de leur plume, juste assez de pain pour changer de plume. J’appartiens au groupe global des exploités, des prolétaires sans capital — pléonasme. Des pauvres, ou en passe de l’être. Des classes moyennes dont le pain quotidien tend à se faire hebdomadaire.


Toutes ces intersectionnalisations à la mode servent surtout à faire oublier aux malheureux, auxquels l’appartenance à tel sous-groupe tient lieu…


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