Attaques dans le détroit d'Ormuz : faut-il croire la version américaine ?

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Une version américaine peu crédible

Cette semaine, Marianne revient sur les tensions persistantes entre la Chine et les Etats-Unis, et se demande si la guerre commerciale entre les deux géants peut se transformer en affrontement militaire direct. Depuis plusieurs mois, en raison du blocus économique drastique que la Maison-Blanche impose au régime des mollahs, une interrogation similaire pèse sur les relations entre Washington et Téhéran. Et les derniers incidents en mer d'Oman viennent de lui donner une acuité particulière.


Dans la matinée de jeudi, un mois après le mystérieux sabotage de quatre tankers (un norvégien, deux saoudiens et un émirati) dans le sud du détroit d’Ormuz, deux autres navires commerciaux ont été victimes de ce qui ressemble fort à des attaques en bonne et due forme quasiment au même endroit. Il s'agit d'abord du tanker Front Altai, propriété du groupe norvégien Frontline, battant pavillon des Îles Mashall et affrété par une société taïwanaise. Avec 23 marins à bord, le navire venait d’appareiller du port émirati d’Ar-Ruways, avec une cargaison de méthanol et il devait rejoindre celui de Kaohsiung, à Taïwan. Alors qu'il se trouvait dans les eaux internationales, à l'extrême sud du détroit d'Ormuz, trois soudaines explosions à bord ont entraîné l'évacuation des membres de l'équipage, recueillis d'abord par le cargo Hyundai Dubai puis une équipe de sauvetage iranienne.


Seconde cible, le méthanier Kokuka Courageous de l’opérateur japonais Kokuka Sangyo et battant pavillon du Panama, semble avoir essuyé des tirs, obligeant pareillement les 21 marins à abandonner le bateau. A en croire un communiqué de Kokuka Sangyo, le navire arbore « un trou semblant avoir été causé par une sorte d’obus d’artillerie » et les marins auraient été secourus par un « navire se dirigeant vers les Emirats arabes unis ». Version différente des Iraniens, qui affirment eux que les deux équipages en détresse auraient été pris en charge par une « unité de secours » de leur marine dépendant de la province d'Hormozgan, avant d'être acheminés au port de Bandar-é Jask.


Jeudi, la réaction américaine ne s'est pas fait attendre, sous la forme d'une allocution officielle de Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, mettant directement en cause la responsabilité de la République islamique d'Iran dans les « attaques de ce jour en mer d'Oman. » A l'appui de cette « thèse », le nouvel homme de confiance de Donald Trump évoque, sans plus de précisions, « des renseignements, sur les armes utilisées, sur le niveau de savoir-faire nécessaire pour mener à bien l'opération, sur les attaques iraniennes analogues et récentes contre la marine marchande, et sur le fait qu'aucune organisation à la solde d'une puissance, dans la région, ne dispose des ressources et de l'efficacité requises pour passer à l'acte avec un tel degré de complexité. »


Seul élément supposément concret, une vidéo, dont l'origine reste inconnue, montrerait des Gardiens de la Révolution en train de retirer une mini-ventouse n'ayant pas explosé sur une paroi du Kokuka Courageous. De manière tout aussi prévisible, et par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif, l'Iran a nié toute implication, considérant tout au contraire que « Washington et ses alliés (arabes) sont passés au plan B : celui du sabotage diplomatique [...] et du maquillage de son terrorisme économique contre l'Iran. » Pour l'heure entre les deux versions, aucun acteur « neutre » ne se risque à trancher. « C'est une possibilité réelle que l'Iran soit derrière ces attaques », a ainsi indiqué la compagnie de sécurité maritime Dryad Global. Avant de se montrer sceptique sur l'opportunité pour Téhéran de mener de telles actions « belliqueuses », de surcroît contre un « cargo lié au Japon », au moment même où le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, effectue une visite en Iran.


Qui alors ? Dans la liste des pays suspects et au regard des enjeux actuels, l'implication, directe ou pas, de l'Arabie saoudite, ne semble pas absurde pour certains observateurs. Allié de Donald Trump dans le bras de fer avec l'Iran, le régime de Mohammed ben Salmane (MBS) conduit par ailleurs la coalition intervenant au Yémen contre les rebelles Houthis, soutenus par l'Iran. Lesquels ont revendiqué il y a peu une attaque de drones contre deux stations de pompage d'un oléoduc reliant l'est à l'ouest du royaume saoudien, premier exportateur de pétrole au monde. Pourtant, à la suite du sabotage des quatre tankers commis en mai dernier, les autorités de Ryad s'étaient montrées beaucoup plus prudentes que Washington quant à l'éventuelle participation des Iraniens dans les opérations. Au terme d'une enquête menée conjointement avec la Norvège et les Emirats arabe unis, les Saoudiens s'étaient ainsi bien gardés de désigner un pays précis lors de la présentation des conclusions au Conseil de sécurité des Nations unies. « Bien que les investigations soient toujours en cours, il y a de fortes indications que les quatre attaques sont intervenues dans le cadre d’une opération sophistiquée et coordonnée menée par un acteur doté de fortes capacités opérationnelles, vraisemblablement un acteur étatique.»


Donald Trump lui a prévenu : si d'aventure l'Iran attaquait les intérêts américains, ce serait « la fin officielle de l'Iran. » Pour l'heure, la menace ne semble guère émouvoir la République islamique. Depuis le 8 mai, malgré les mises en garde des pays signataires de l'accord 2015 limitant son programme nucléaire, le Joint Comprehensive Plan of Action dont Donald Trump s'est unilatéralement retiré, Téhéran a annoncé sa décision de ne plus limiter ses réserves d'eau lourde et d'uranium enrichi. Et face au renforcement de la marine US dans la région, brandit l'arme suprême : la fermeture totale du détroit par lequel passe près d'un tiers du commerce pétrolier mondial. Dès jeudi, le cours du pétrole est monté de 3% en Europe. A bien des égards, une situation inflammable...