Dimanche 31 mai, tous les chefs d’Etat d’Afrique de l’Est étaient conviés à Dar es Salaam, la capitale tanzanienne, pour un mini sommet consacré à la crise prolongée au Burundi. Réunion au demeurant fort décevante, notamment en raison de l’absence du principal intéressé, Pierre Nkurunziza, le président burundais dont l’entêtement à vouloir se présenter à un troisième mandat est à l’origine des graves troubles dans son pays. Le président rwandais Paul Kagamé s’est fait lui aussi porter pâle, se contentant d’y dépêcher un obscur ministre de second rang. Officiellement, Kagamé critique l’attitude de son homologue et voisin mais, selon d’insistantes rumeurs, lui-même est soupçonné de vouloir modifier la Constitution rwandaise afin de se présenter pour la troisième fois à l’élection présidentielle. Ce sera en 2017.
Au prétexte de la stabilité nécessaire à la reconstruction du Rwanda après le génocide de près de 800 000 Tutsis et Hutus modérés, Kagamé affiche et assume une conception pour le moins autoritaire de la démocratie politique. Après avoir quasiment éradiqué toute opposition digne de ce nom, il s’attaque maintenant aux médias, nationaux mais aussi étrangers, à l’image de la BBC, désormais interdite après la diffusion d’une enquête très critique pour le Kaiser des Grands Lacs. Le communiqué de Reporters sans frontières que nous publions ci-dessous montre qu’il ne s’agit pas d’un raidissement passager mais tout au contraire d’une politique délibérée, en prévision de l’élection de 2017.
Derrière la décision de l'agence gouvernementale rwandaise RURA de suspendre définitivement les émissions de la BBC en Kinyarwanda, c'est toute la question de la régulation des médias au Rwanda qui est remise en cause. RSF dénonce une censure méticuleusement planifiée, en vue notamment des échéances électorales de 2017.
Le 29 mai 2015, la RURA (Autorité étatique de régulation des médias) a rendu publique sa décision de suspendre de façon indéfinie les émissions de la BBC en Kinyarwanda, déjà bloquées depuis le 25 octobre 2014, suite à la diffusion d’un documentaire controversé sur le génocide rwandais.
« Cette décision ne fait que confirmer la grave et constante détérioration de la liberté de l'information au Rwanda, déclare Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de RSF. Alors que les médias indépendants ont été réduits comme peau de chagrin, il semblerait que le gouvernement rwandais s'attaque maintenant aux médias internationaux, en se dotant d'outils spécifiques pour légaliser la censure. »
En effet, la sentence intervient dans un climat de rétrécissement de l'espace médiatique rwandais où les cadres de régulation sont en train d'être modifiés dans le sens d'un plus grand contrôle gouvernemental.
Pour Fred Muvunyi, ancien président de la Commission rwandaise des médias (Rwandan Media Commission, RMC) — l'instance indépendante d'auto-régulation des médias —, qui a démissionné brusquement et fui le pays en mai 2015, la décision de la RURA « n'a pas de base légale », l'ordre du Premier ministre qui doit déterminer les responsabilités de la RURA en terme de régulation n'étant pas encore passé. « Je ne comprends pas d'où ils sortent ces attributions. La commission spéciale d'enquête qui a été montée par la RURA pour décider de l'avenir de la BBC dans le pays savait quelles conclusions elle souhaitait atteindre à l’avance », déclare l’ancien président de la RMC.
Cet ancien journaliste de médias gouvernementaux, un temps administrateur de l'Association des journalistes rwandais, est devenu président de la RMC en septembre 2013. Il explique que sa marge de manœuvre n'a cessé d'être réduite au cours de l'année écoulée, reflétant le désir des autorités rwandaises d'aller au-delà de la régulation pour contrôler tout simplement les médias. « La Commission rwandaise des médias (RMC) est censée être un organe d'auto-régulation, explique-t-il. Sa fonction est de s'assurer que les journalistes respectent le code de déontologie et aussi de s'assurer que la liberté de la presse est respectée. Malheureusement, le rôle que je devais jouer était différent de ce mandat. La pression est devenue trop grande. J'ai l'impression que la situation régresse encore plus rapidement, depuis l'affaire de la BBC notamment. Pourtant si on regarde le cadre législatif, il y a eu des changements, des améliorations depuis 2011. La création même de la RMC, un organe d'auto-régulation, était un progrès. »
Le documentaire de la BBC diffusé en octobre 2014 mettait en cause Paul Kagamé et le RPF dans des meurtres de masse. Le gouvernement et une partie de la population ont été ulcérés par ce reportage. Cette contestation a alors été utilisée comme un prétexte pour suspendre les émissions radiophoniques de la BBC en Kinyarwanda.
Pour Fred Muvunyi, la sanction était complètement déconnectée de l'infraction reprochée. « Pour nous, à la RMC, ces programmes de radio de la BBC n'avaient rien à voir avec les reportages de la télévision britannique diffusés depuis Londres. Nous avons donc protesté contre la procédure de cette suspension. Certaines personnes du gouvernement n'ont pas apprécié et nous avons reçu des menaces et des intimidations. »
Ces menaces ont continué en février 2015, lorsque la question de l'arrêté du Premier ministre sur la régulation, en discussion depuis une année, a été remis à l'ordre du jour. Il s'agissait de transférer de nombreuses responsabilités de régulations de la RMC, un organe indépendant, vers le régulateur gouvernemental, la RURA, qui est sous l'autorité du Premier ministre et qui est chargée entre autres de réguler la distribution de l'électricité et de l'eau, la poste, les transports. Fred Muvunyi poursuit : « Nous avons à nouveau protesté et déclaré que ce transfert de pouvoir ne convenait pas à la communauté médiatique rwandaise et aux journalistes. Nous avons alors été accusés de trahison, de travailler pour l'étranger. Et on sait bien ce que ce genre d'accusations signifie dans notre pays. »
Enfin en mai, le Rwanda Governance Board, une agence chargée de suivre les questions de gouvernance, qui œuvre sous l'autorité du ministère du gouvernement local, héritier notamment du mandat du ministère de la Communication rwandais, a empêché la publication du rapport de la RMC sur l'état des médias au Rwanda, rédigé par des experts internationaux sous financement du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). « On nous a fait comprendre qu'il serait malvenu de sortir ce rapport. Mais il n' y a jamais rien eu d'officiel. Pourtant c'est un rapport très mesuré. L'affaire de la BBC n'y est même pas mentionnée. J'avais déjà essayé de démissionner discrètement de mon poste auparavant, car je ne pouvais plus travailler mais j'ai reçu des informations crédibles qu'on ne me laisserait pas partir tranquillement. J’ai donc dû quitter le pays, pour ma sécurité personnelle », conclut-il.
Difficile pour certains observateurs de la vie politique rwandaise de ne pas voir dans cette restriction planifiée de l'espace médiatique, une mise en condition en vue de l’élection présidentielle prévue en 2017, et de la révision probable de la Constitution afin de permettre au président Kagamé de briguer un troisième mandat. On ne pourra pas lui reprocher de ne pas être prévoyant en s'attelant à verrouiller deux ans en amont tout espace de débat.
Le Rwanda occupe la 161e place du Classement 2015 sur la liberté de la presse, établi par Reporters sans frontières.
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