«Annuler la publication du livre de Woody Allen est une décision lâche»

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Solidarité juive autour de Polanski et Allen


Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Chaque semaine, il décrypte l’actualité pour FigaroVox. Son dernier ouvrage, Névroses Médiatiques. Le monde est devenu une foule déchaînée est paru chez Plon.


 

Rien n’y fait. Nous descendons chaque semaine d’un degré, l’échelle de l’intolérante sottise.


 

Début mars, Roman Polanski, parce que César et convaincu de viol, était traîné dans la boue et les partisans de son oeuvre couverts de crachats et d’insultes par les défenseurs autoproclamés de la cause des femmes. Il paraît, selon Le Monde qui l’écrivait le 7 mars dans un article empli d’empathie, que «les militantes féministes seraient galvanisées».


Je laisse au quotidien vespéral la responsabilité de considérer que les militantes les plus radicales du néo-féminisme gauchiste qu’il cite («Osez le féminisme» ou «Nous Toutes» de Caroline de Haas) incarneraient globalement le mouvement féministe.


 

Quoi qu’il en soit, mon imagination est impuissante à décrire l’exultation de la radicalité néo-féministe lorsqu’elle a appris que le groupe Hachette avait décidé de ne pas publier les mémoires de Woody Allen, intitulées Apropos of nothing.


Cette décision est à la fois lâche et dégoûtante.

Le livre devait sortir aux États-Unis le 7 avril et en France le 29 aux éditions Stock (groupe Hachette livre) sous le titre Soit dit en passant et narrer «le récit exhaustif de sa vie, à la fois personnelle et professionnelle, et revenir sur sa carrière au cinéma, à la télévision, sur la scène des clubs ainsi que sur son travail d’écrivain».


 

À en croire Hachette, la décision d’annuler le livre a été difficile: «nous n’annulons pas de livre à la légère».


» À voir aussi - Mémoires de Woody Allen: la France doit-elle les publier?







Mémoires de Woody Allen: la France doit-elle les publier? - Regarder sur Figaro Live


Je ne sais si cette décision a été difficile mais je suis sûr qu’elle est à la fois lâche et dégoutante.


Hachette a cédé à la suite de la protestation de certains membres du personnel d’Hachette qui seraient sortis de leurs bureaux à New York pour dénoncer la publication du livre du cinéaste, accusé d’avoir abusé sexuellement de sa fille adoptive Dylan Farrow en 1992.


Ce mouvement d’une partie du personnel a été précédé d’une protestation émise par le beau-fils d’Allen, le journaliste du New Yorker Ronan Farrow, frère de Dylan et fils de Mia, tous deux en guerre ouverte avec le cinéaste.


Ronan a été par ailleurs l’un des activistes les plus remarqués du mouvement électronique #MeToo.


Ainsi, il suffit que quelques membres du personnel ou quelques personnalités bien en cour médiatique vocifèrent, pour qu’aujourd’hui on prenne la décision «difficile» de ne plus publier un livre commandé et qui est mis sous la sellette non pour son contenu mais pour la personnalité de son auteur.


Nous descendons plus bas encore la pente de notre liberté de penser, d’écrire et d’être publié.

Et j’en viens à l’aspect littéralement dégoûtant d’une décision qui, effectivement, nous fait descendre plus bas encore la pente de notre liberté de penser, d’écrire et d’être publié chaque jour plus menacée.


La semaine dernière, je signais une chronique dans laquelle je jugeais sévèrement les contempteurs injurieux du réalisateur Roman Polanski et de ceux qui l’avaient primé pour son film, incapables de séparer l’artiste de l’homme.


Néanmoins, ceux-ci avaient comme dernière ligne de défense le fait que l’intéressé méritait justement l’opprobre au regard du fait que celui-ci avait non seulement fui la justice américaine mais avait fait l’objet d’une condamnation.


S’agissant de Woody Allen, le groupe Hachette et les néo- féministes qui applaudissent déjà cette décision ne pourront même pas se prévaloir de cette argutie judiciaire.


Allan Stewart Konigsberg, dit Woody Allen, non seulement n’a jamais été condamné mais n’est même pas poursuivi.


Et puisque nous en sommes là, puisque je suis contraint de m’improviser son avocat et plus largement celui de tous les hommes accusés sans preuve par des femmes que l’on devrait, à suivre Mlle Haenel dans le New York Times, forcément croire sur parole, je dois apporter quelques précisions supplémentaires.


La justice américaine a abandonné les poursuites contre Woody Allen en 1992.

La justice américaine a abandonné les poursuites contre Woody Allen en 1992. Un rapport médical datant du 17 mars 1993 disculperait le réalisateur. Établi par les soins de l’hôpital Yale-New Haven, celui-ci démentirait les propos de Dylan Farrow, qui accuse son père adoptif d’avoir abusé d’elle sexuellement à l’âge de sept ans. Dans ce rapport, les experts se questionnent par ailleurs sur les raisons qui ont poussé Dylan à accuser son père d’abus sexuels: «Nous pouvons conclure que Dylan n’a pas été agressée sexuellement, mais nous ne pouvons pas être définitifs sur les raisons de son accusation envers M. Allen: est-ce parce que c’est une enfant vulnérable qui a grandi dans une famille perturbée ou est-ce parce que Dylan a été influencée par sa mère? Nous pensons que c’est une combinaison de ces deux formulations.»


J’ignore tout de ce dossier complexe et névrotique mais on admettra que faire de Woody Allen, qui nie farouchement, un coupable à coup sûr est une infamie absolue.


Et de le considérer à présent comme indigne de publication, au regard de son oeuvre cinématographique immense et lumineuse, est l’équivalent médiatique de la dégradation d’un officier en place publique sous les clameurs de la foule déchainée.


Et puisque je fais lourdement allusion à l’affaire Dreyfus et puisque nous sommes tombés si bas, je voudrais mettre encore plus lourdement les pieds dans le plat.


Il fut un temps, que je ne regrette pas, où les intellectuels juifs de gauche jouissaient de privilèges qu’il m’arrivait de trouver exorbitants. J’ai écrit certaines lignes où je considère que Pierre Goldman n’aurait pas fait l’objet d’un acquittement au bénéfice du doute bien discutable s’il n’avait pas été ce qu’il était.


S’agissant précisément de Woody Allen, l’intello libéral new-yorkais, j’écrivais ironiquement: «il représente pour tous le modèle du juif populaire. Diasporique, angoissé, chétif, inoffensif, hypocondriaque, castré par sa maman, bref, le juif idéal…» (Les Martyrocrates, Plon, 2004). C’est loin tout ça …


Il y a quelques années, j’avais également protesté contre certains qui considéraient sans le moindre élément que les reproches faits à Polanski de se soustraire à la justice américaine fleuraient l’antisémitisme.


J’écris également que, contrairement à d’autres, je ne vois nulle trace d’antisémitisme dans les procès, fussent-ils mauvais, faits à Polanski ou à Allen.


Mais l’arbre juif cache une autre forêt plus dense et indicible.


Polanski ou Allen ne sont plus juifs. Ils sont blancs. Et mâles. Et vieux.

J’écrivais la semaine dernière combien était infernale la différence de traitement entre un Polanski diabolisé est un Ladj Ly béatifié, tous deux condamnés dans de sales affaires concernant les mauvais traitements faits aux femmes.


La conclusion s’impose: Polanski ou Allen ne sont plus juifs. Ils sont blancs. Et mâles. Et vieux.


Trois crimes désormais d’autant plus condamnables qu’ils demeureront secrets.


Nous en sommes là. Il y a quelques semaines, des militants d’extrême gauche brûlaient des livres. Aujourd’hui un éditeur capable de faire la pluie, le beau temps et les prix littéraires peut décider de ne plus les publier pour ne pas froisser le féminisme gauchisant. Et je mets chaque semaine en garde contre la fascisation multiforme de la gauche radicale. Féministe, antiraciste ou écologiste.


Nous en sommes là. Revenus au temps maudit des ragots et à l’odeur pourrie des fagots.


Foresti va pouvoir éternuer une seconde fois: le géant Woody, lui aussi est petit.