Amnistie internationale: «le Canada nous inquiète»

Droits et Démocratie - KAIROS - Développement et Paix




Laura-Julie Perreault - «L'espace démocratique au Canada rétrécit de jour en jour. Le gouvernement rend de moins en moins de comptes à la population en matière de droits humains. Nous sommes inquiets.»
Celui qui parle n'est pas un député de l'opposition du gouvernement Harper, mais le nouveau grand patron d'Amnistie internationale, Salil Shetty. L'Indien, qui a été à la tête de la Campagne des Nations unies pour les objectifs du millénaire pendant sept ans avant de prendre les rênes de la grande organisation internationale de défense des droits humains, a ces jours-ci le gouvernement canadien dans sa ligne de mire.
«Le gouvernement a une haute intolérance pour la dissension. Récemment, ils ont pris des actions contre des organisations qui avaient des opinions divergentes, notamment en restreignant leur financement», dénonce M. Shetty. Au cours des derniers mois, Alternatives et Droits et démocratie, deux organisations situées à Montréal ont eu des démêlés avec le gouvernement après avoir exposé des points de vue sur la question palestinienne qui allaient à l'encontre des positions du gouvernement Harper.
«Aussi, il y a de moins en moins d'accès à l'information. C'est une combinaison de différents facteurs qui nous démontre que sur le front domestique, l'espace démocratique a rétréci», continue l'homme de 49 ans, joint à Londres par La Presse.
Selon Salil Shetty, le gouvernement canadien ne s'en sort pas beaucoup mieux au niveau international en refusant notamment de rapatrier Omar Khadr, le jeune Canadien dont le procès pour crimes de guerre se déroule présentement devant une commission militaire de Guantánamo Bay. «Si on compare les actions du gouvernement avec les antécédents du Canada en matière de droits de la personne, il n'y a pas de doute qu'il y a de plus en plus un écart entre les décisions du gouvernement et les valeurs de la population en général», conclut M. Shetty.
Réfugiés à protéger
Ces jours-ci, le secrétaire général d'Amnistie internationale s'inquiète particulièrement pour les quelque 490 demandeurs d'asile tamouls qui sont arrivés par bateau en Colombie-Britannique la semaine dernière.
«Au cours des derniers jours, nous avons vu qu'il y a un danger de stéréotyper les individus. Si vous êtes un Tamoul, vous êtes un terroriste», s'indigne-t-il, en référence à certains discours tenus par le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, qui soupçonne des passagers du MV Sun Sea d'être des «terroristes» liés à l'Armée de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), un groupe séparatiste armé qui a combattu l'armée sri lankaise pendant un quart de siècle.
Selon le grand patron d'Amnistie, la fin de la guerre civile en 2009 au Sri Lanka n'a pas été suivie d'un rétablissement des droits de la population civile et il existe toujours de bonnes raisons pour que nombre de Sri Lankais cherchent la protection de pays étrangers.
«Oui, la guerre civile est terminée, mais nous savons qu'au moins 11 000 individus soupçonnés d'appartenir au LTTE ont été arrêtés et détenus sans accusation depuis 2009 et au moins 8000 d'entre eux sont toujours en détention. Nous avons reçu des rapports indiquant qu'il y a des suspects du LTTE détenus dans des prisons secrètes. Certains d'entre eux ont été torturés. Des membres de la minorité tamoule, mais aussi des musulmans, des journalistes et d'autres personnes qui ont des opinions différentes de celles du gouvernement sont dans une situation risquée», affirme M. Shetty.
Ce week-end, M. Shetty portera lui-même ses mises en garde au public canadien. Il prononcera un discours à Montréal lors du congrès de Civicus, qui rassemble des organisations de la société civile de partout dans le monde.
Retour aux premières amours
Ayant remplacé le mois dernier Irène Khan à la tête d'Amnistie, Salil Shetty était surtout connu pour ses antécédents en développement international. Avant de travailler pour l'ONU, il a dirigé ActionAid pendant cinq ans.
Malgré ce parcours professionnel, l'homme de 49 ans n'est pas un néophyte dans le domaine des droits de la personne. Né à Bangalore, dans le sud de l'Inde, il est le fils d'un militant qui se portait à la défense des basses castes et d'une mère féministe. «Pendant mes études, j'étais à la tête d'un syndicat étudiant alors que le pays était sous l'état d'urgence (pendant le règne d'Indira Gandhi). Nos droits avaient été suspendus», raconte-t-il.
Après une période de militantisme étudiant, il a étudié le développement, obtenant un diplôme de la London School of Economics. «C'est alors que j'ai commencé ma carrière dans le développement. Cependant, pour moi, la distinction entre les droits de l'homme et le développement n'est pas claire. La Déclaration des droits de la personne de l'ONU dit que les droits civils et politiques sont indivisibles des droits sociaux et économiques», note-t-il. Il donne en guise d'exemple la mortalité infantile. «C'est un problème majeur avec neuf millions d'enfants qui meurent avant leur cinquième anniversaire parce qu'ils sont nés dans des familles pauvres. Est-ce un problème de droits politiques ou économiques? C'est difficile à dire, mais une chose est certaine, ces enfants ont droit à la vie.»
Un de ses principaux mandats à la tête d'Amnistie sera d'élargir la présence de son organisation, qui a 2,8 millions de membres, sur la scène internationale. «Amnistie est dans 70 pays, mais nous devons faire plus. Il y a notamment plus à faire dans mon pays, l'Inde et dans plusieurs pays émergents où les droits humains sont toujours à risque.»


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