Amalgames et sensationnalisme: la laïcité malmenée par les médias

Laïcité — débat québécois

L’hiver dernier, plusieurs médias ont été tenus responsables de la crise
des « accommodements raisonnables ». Amalgames, sensationnalisme, à peu
près tous les médias ont associé faussement l’ensemble des immigrants aux
demandes d’accommodement et ont tout fait pour susciter l’indignation à
partir de nombreux cas anecdotiques et marginaux.
Dès le début de la crise, le Mouvement Laïque Québécois avait pris
position de manière responsable en prenant soin de dissocier sans ambiguïté
les problématiques d’immigration et les problématiques de laïcisation des
institutions publiques. De plus, le MLQ a toujours eu a cœur de veiller à
ce que les débats ne portent que sur les seuls accommodements pour motifs
religieux ayant fait l’objet de jugements devant les tribunaux en insistant
sur leur valeur jurisprudentielle.
Malgré ces prises de position exemplaires, les militants laïques sont
devenus la nouvelle bête noire des médias. Amalgames, sensationnalisme, ces
dernières semaines plusieurs animateurs, chroniqueurs et éditorialistes ont
parlé de ceux et celles qui promeuvent la laïcité en ces termes : «
intégristes athées », « laïques fondamentalistes ». De la laïcité ils ont à
peu près tous déploré qu’elle soit « absolue », «radicale », « excessive ».
D’après eux, tous ces « méchants laïques » ne veulent semble-t-il qu’une
seule chose: faire disparaître de gré ou de force tous les signes
religieux, partout; décrocher la Croix du Mont-Royal, changer le nom des
rues, villes et villages ayant des noms de saints, arracher les sapins de
Noël des parterres, abolir les congés de Pâques et de l’Action de Grâce… (
est-ce que j’en oublie?). Un vrai délire.
Qui sont ces « laïques radicaux »? Ou ont-ils été aperçus la dernière
fois? Pourrait-on seulement nous donner leur signalement? Des noms, des
textes, des déclarations? Rien.
Le « laïque radical » est une pure fiction médiatique
Pour se donner le beau rôle, certains chroniqueurs se sont dits
sympathiques à la « laïcité ouverte » ou à la [« laïcité relaxe »->9604] sans
toutefois se donner la peine de définir cette « autre laïcité » qui serait
selon eux tellement plus politiquement correcte.
La laïcité a certes ses ennemis naturels. Il est tout à fait concevable
que les religieux fervents pratiquants (comme le maire de Ville Saguenay)
menacés de perdre quelques privilèges (comme faire la prière catholique
lors des assemblées du conseil municipal) se croient autorisés à recourir à
des arguments démagogiques pour défendre leur cause. C’est de bonne guerre.
Mais que les médias reprennent les pires clichés sans vérifier quoi que ce
soit et ce, sans le moindre esprit critique, constitue une grave faute
professionnelle.
Au lieu de jouer leur rôle d’éclaireur en amenant la population à mieux
comprendre les enjeux démocratiques liés à la mise en oeuvre de la laïcité,
les médias auront tout fait, encore une fois, pour envenimer les débats.
Nos médias ont tendance à nous donner à entendre de plus en plus
d’opinions sans fondement et de moins en moins d’informations. Les
chroniqueurs sont au journalisme d’enquête ce que la télé-réalité est à la
fiction d’auteur; c’est moins d’efforts et c’est moins cher. Au lieu de
confier un dossier à toute une équipe de recherchistes qui se donneront la
peine de lire les documents produits par les promoteurs de la laïcité, de
faire enquête sur ces groupes, de comparer leurs positions aux courants
internationaux, de consulter des experts sur ces questions, nos
chroniqueurs inventent des chimères.
Nous avons tous pu constater le genre de ravages de cette campagne de
salissage médiatique lorsque, devant la Commission Bouchard Taylor, une
dame, une universitaire, est venu dire : « Je suis pour la neutralité
religieuse de l’État mais je ne suis pas une militante laïque ». Cela ne
rappelle-t-il ces mijaurées qui se disent en faveur de la promotion des
droits de la femme tout en prenant bien soin de préciser qu’elles ne sont
surtout pas « féministes » en espérant éviter de se faire traiter de «
féministes radicales » ou, pire, de « féministes enragées ». Ces termes
ont jadis abondamment été utilisés par les opposants à la cause féministe
et relayés par les médias malgré le fait que les revendications féministes
ne visaient, somme toute, que l’égalité et l’équité dont tout le monde se
réclame aujourd’hui.
Tout comme l’égalité, l’équité, la liberté et le respect des droits
fondamentaux, la neutralité religieuse des institutions publiques est un
principe démocratique. Un principe est une idée forte servant à orienter
l’action. Pour fonctionner, un principe ne peut être constamment remis en
question, redéfini à tout moment, ni souffrir d’exceptions opportunistes.
En ce sens tous les principes sont radicaux et on aurait alors raison de
dire que la laïcité est radicale. La laïcité, en tant que principe de
neutralité religieuse de l’état doit être clairement affirmée et définie et
doit aussi s’appliquer à tous également et en toutes situations ayant des
implications étatiques.
Cependant, les principes sont des idées extrêmement générales qui ne
laissent rien présumer quant aux modalités d’applications particulières.
Est-ce que la laïcité des institutions publiques est mieux servie lorsque
les employés de l’État sont autorisés à porter des signes religieux
distinctifs ou lorsque qu’ils en sont empêchés? Est-ce que la laïcité de
l’État exige que les usagers des services publics renoncent aux signes
religieux? Cela n’est peut-être pas nécessaire. Il y aura toujours des
débats pour déterminer quelle est la meilleure façon de mettre en œuvre les
principes.
Parmi tous les États qui ont déjà affirmé le principe de laïcité, nous
pouvons trouver quantité de manières différentes de procéder à la mise en
œuvre de ce même principe. Une fois que le Québec aura affirmé clairement
sa volonté d’appliquer le principe de laïcité, nous trouverons, suite à un
débat que nous souhaitons serein et éclairé, des solutions originales qui
conviendront aux Québécois. En ce sens la laïcité est toujours ouverte à la
meilleure application.
Il faut rejeter les oppositions manichéennes et puériles entre les « bons
» et les « méchants » laïques. Ces oppositions sans fondement nous
empêchent de trouver les solutions aux problèmes qui sont soulevés par les
accommodements pour motifs religieux.
La laïcité est à la fois radicale et ouverte; radicale dans son
affirmation mais ouverte dans ses applications.
Marie-Michelle Poisson
Vice-présidente du Mouvement Laïque Québécois
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    16 octobre 2007

    Ah madame Poisson, si vous connaissiez les origines du MLQ.
    Ils veulent ramenez le Québec au niveau de la République Turque de Mustafa Kemal Pacha en évacuant la religion de l'espace public.
    Or, la religion est plus le mortier social que l'opium du peuple.
    Qu'est-ce qui fait que les serments d'office et la parole donnée en cour puissent vraiment être des garants de la vérité ? C'est la foi des jureurs qui le fait. Sans religion, c'est en vain que l'on jure. Le parjure et la tricherie se répanderaient parce que les honnêtes gens ne seraient que des "losers".
    Vous avez tort de vouloir dissocier religion et nationalité/ethnicité. Les deux sont souvent reliés et contribuent à l'identité d'une collectivité. Pourquoi Mustafa Kemal et les Jeunes-Turcs ont laïcisé la Turquie ? D'abord Mustafa Kemal n'était musulman que de surface. Ses origines sont dans la communauté Sabatéenne de Salonique. Les Sabatéens dérivent d'une hérésie juive du XVIIe siècle, forcés de se convertir à l'Islam par l'empire ottoman. Ils continueront de pratiquer leur doctrine secrète tout en affichant l'islamité, tout comme la communauté ismaïlite du Liban pratique d'anciennes croyances préislamiques, mais en acceptant officiellement l'islam. Leur foi restant dans le domaine privé, mais pratiquant la religion du pays, beaucoup rejoindront la franc-maçonnerie des Jeunes-Turc. C'est sur ce groupe que s'est appuyé l'Atatürk pour faire sa révolution. Ainsi la religion fut refoulé au privé comme une doctrine secrète, et la minorité sabatéenne devint du monde "bien ordinaire".
    J'en tire des leçons au Québec où l'Église Catholique est refoulé au rang de secte. Le Québec et l'Utah étaient jadis les seules théocraties nord-américaines. La sécularisation de l'État lors de la Révolution Tranquille fut un accommodement pour les moins croyants et les autres traditions religieuses.

  • Archives de Vigile Répondre

    16 octobre 2007

    Faut pas trop s'en faire avec les dérives langagières volontaires des médias de masse et, en particulier, de leurs chroniqueurs. Je suis convaincu que les lecteurs et auditeurs qui exercent de l'influence dans leur milieu comprennent relativement bien à quel point ceux-là se discréditent quasi quotidiennement avec un double langage dans plusieurs domaines d'actualité.
    D'un côté ils (elles) ont tendance à tenter de se positionner comme «raisonnables» et «modérés» et de l'autre ils (elles) présentent leurs opinions en masquant leur incapacité à développer une argumentation factuelle et fondée dans la réflexion plutôt que dans les préjugés à l'aide d'épithètes chocs qui relèvent du style pamphlétaire. Ce n'est pas réellement de l'information mais c'est plutôt du spectacle et de la politique que proposent les médias qui vous préoccupent. Et c'est payant pour tout ce beau monde !
    Le plus important est de renseigner simplement les gens autour de nous et de collaborer, même modestement, à des médias et organismes alternatifs comme Vigile.
    Pour ma part, j'ai été habitué très jeune à subir les foudres émotives et les remontrances de mon entourage à cause de mes idées sur les religions. En commençant par mes parents qui me reprochaient d'influencer négativement mes 4 plus jeunes frères et sœurs en refusant d'assister à la messe en famille. Et ensuite à «l'école primaire catholique» (dont j'oublie le nom) sur Queen Mary près de Décarie à Montréal, vers 1969, où ma conjointe et moi-même avions déposé le formulaire, fourni par votre organisme je crois, pour demander le retrait de la fille de ma conjointe des cours de religion. On nous reprochait d'être les seuls à faire cette demande et de la condamner ainsi à s'isoler seule dans une autre pièce durant le cours en question. Il n'y aurait pas eu assez de demandes pour les pseudos «cours de morale» qui devait remplacer les cours de religion. Puisque, comme tout le monde le sait, les athées seraient sans morale, (n'est-ce pas?), cela posait problème.
    Je suis déménagé en Allemagne 4 ans. Le même scénario. Pire. Automatiquement on vous inscrivait sur une liste religieuse et vous deviez payer une taxe religieuse. Quel cirque pour faire retirer son nom de ces listes! Que de regards et commentaires déplaisants !
    Malgré tout, aujourd'hui, je constate que des progrès ont été réalisés. Lents mais sûrs. Moins de commentaires déplaisants, plus d'ouverture, plus de tolérance. La résistance au changement vers une démocratie plus articulé autour de la raison et moins instrumentalisée par les croyances organisées en institutions s'affaiblit puisque les débats publics sur la place des religions dans notre société peuvent avoir lieu au grand jour aujourd'hui.
    Jacques A Nadeau

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    16 octobre 2007

    Madame Poisson,
    Je veux profiter de « l’immunité » philosophique de votre intervention pour commenter un peu plus sur les médias sans encourir leur anathème habituel : tire sur le messager… club des mal cités… Au Québec actuel, comme peut-être dans plusieurs démocraties modernes, quand nous sommes gratifiés d’excellents journalistes d’enquête comme vous le rappelez, qui font plus d’information que d’opinion, qui vont éclairer plutôt qu’envenimer, nous en faisons une consommation avide parce que denrée rare. Les médias nous apparaissent plutôt œuvrer dans 2 tendances moins conformes aux idéaux que devraient suivre les journalistes de bonne formation.
    La première tendance, vous l’avez couverte abondamment, recherche le sensationnel : la ligne accrocheuse, le titre fourbe, la première page qui VEND. Qui veut s’informer ne va pas vers ces tabloïds aux chroniqueurs coup de poing, pas plus que vers les ondes par trop populistes.
    La deuxième tendance, qu’on répugne à retrouver désormais en abondance en démocratie, se concentre par convergence vers un point focal unique, le pouvoir politique. Le journalisme « embedded » qui oriente la pensée du peuple vers l’admiration du pouvoir en place. Votre collègue, M. Desroches, dans son récent « L’instant du vertige. » l’aborde d’ailleurs de front en expliquant : « Les peuples conquis ont, souvent pour des raisons de survie, le réflexe d’adhérer au discours que le dominant leur impose. » Ainsi, inconsciemment, lorsqu’on regarde le bulletin télévisé sur la chaîne d’État francophone, on sera facilement porté à trouver sympathiques les activités militaires de nos jeunes congénères,en activité de maniement de rutilants équipements techniques, ou en élaboration de stratégie raffinée pour signaler la présence de terroristes embusqués. La guerre, c’est un métier comme un autre! Ça peut même servir à détecter des nappes de pétrole sous des déserts anonymes…
    De toute évidence, nos penseurs nous communiquent aisément le fruit de leurs recherches sur la laïcité au Québec, sur notre identité recroquevillée, mais ont-ils vraiment les coudées franches pour étaler en caractères gras leurs découvertes en première page des grands quotidiens :IDENTITÉ QUÉBÉCOISE BAFOUÉE AU CANADA! ?
    Avons-nous une presse libre? Les journalistes frais émoulus peuvent-ils faire carrière en gardant leurs principes intègres? D’où venons-nous? Où allons-nous?