Dans quelques jours, les musulmans de France et du monde entier célébreront l’Aïd El Kébir. Moment festif, cet événement est en même temps un moment de difficultés très concrètes pour les responsables du culte comme pour les services de l’État. Analyse.
La tradition de l’Aïd El Kébir veut que chaque famille musulmane achète un mouton, et l’égorge ou le fasse égorger selon le rituel. Rien de plus simple en apparence, depuis des siècles. Mais les sociétés évoluent, et les exigences en termes de sécurité alimentaire ne cessent de croître : il en va de l’Aïd comme des fêtes de village, les normes d’hygiène et les exigences des services vétérinaires imposent de repenser les pratiques traditionnelles.
Or, sans même parler des problèmes de transport et de quarantaine, face au pic de demandes le jour J (les trois jours de la fête, plus exactement), les abattoirs ne peuvent pas suivre. De plus en plus, se montent donc des abattoirs temporaires, mais leurs coûts sont élevés et pratiquement impossibles à rentabiliser. Le financement de ces structures est un problème récurrent, et si parfois des solutions locales fonctionnent, trop souvent l’argent provient de partenaires douteux (Frères Musulmans, Arabie Saoudite, Qatar, Milli Gorüs, Turquie, Tabligh….) qui en profitent pour accroître leur emprise.
Grand n’importe quoi
En outre, la demande est telle que ces structures sont notoirement insuffisantes. On peut raisonnablement estimer que les structures aux normes (permanentes ou temporaires) ne voient passer que 20% au maximum des bêtes abattues pour l’Aïd (si l’on se base sur le nombre et le poids des carcasses ramassées par les services de la voirie là où il n’existe aucun abattoir officiel). Le reste se fait au mieux assez proprement dans des fermes, au pire n’importe comment dans des caves ou sur les terrains de sport au pied des immeubles. En termes d’ambiance, selon les communes et les quartiers, cela va de la fête joyeuse et sympathique entre familles et voisins, à l’hystérie collective où le comportement inutilement brutal envers les bêtes tient du sadisme, et l’implication des enfants dans l’abattage relève de l’accoutumance à la cruauté. Nombre d’associations cultuelles ou culturelles locales cherchent des solutions, et tentent d’organiser le tout avec les moyens du bord.
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Il en résulte un injuste paradoxe : bien souvent les abattages « clandestins », mais officieusement bien connus, agissent en toute tranquillité. En revanche, les petites structures d’abattage souvent bénévoles qui ont fait la démarche de contacter les services de l’État pour essayer de se mettre aux normes sont contrôlées, et fréquemment obligées d’interrompre leur activité puisque n’ayant pas les moyens financiers de se mettre au niveau. Mais les services vétérinaires ne font que respecter leurs obligations légales : ne pas contrôler une structure connue, c’est courir le risque d’une mise en cause juridique et médiatique en cas d’intoxication alimentaire.
Première conséquence, beaucoup préfèrent l’abattage « à domicile » plutôt que d’essayer de mettre en place des structures certes imparfaites, mais qui auraient le mérite d’éviter le grand n’importe quoi.
Deuxième conséquence, l’entretien d’une certaine pénurie. Bien sûr, les musulmans peuvent fêter l’Aïd sans que chaque famille ait son mouton (c’est d’ailleurs déjà ce qui se fait) : la règle religieuse invite à ce partage, et prévoit même le remplacement de l’achat de l’animal par une aumône. Bien sûr, on pourrait espérer que la prise de conscience tardive mais nécessaire de la souffrance animale amène à refuser de donner la caution du sacré au fait d’infliger cette souffrance.
Levier de pouvoir sur toute une « communauté »
Mais dans l’immédiat, le fait est que beaucoup tiennent à fêter « à l’ancienne. » Et la demande étant supérieure à l’offre, ceux qui détiennent la clef des abattoirs, ceux qui organisent l’abattage, ceux qui choisissent qui pourra y conduire son mouton et qui ne le pourra pas (car une structure donnée ne peut tuer qu’un nombre limité de bêtes dans le temps imparti), disposent d’une influence considérable.
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Dans les abattoirs de la « filière viande », gérés par des professionnels, ce n’est pas véritablement un sujet. Mais dans les abattoirs temporaires mis en place par des associations cultuelles, la situation est totalement différente. Trop souvent, les responsables associatifs et religieux font de leur « maîtrise de l’Aïd » un levier de pouvoir, et on voit des mosquées refuser en masse les moutons des musulmans modérés, mais veiller soigneusement à satisfaire les salafistes locaux, les militants pro-voile ou pro-burqini, les communautaristes les plus acharnés, les soutiens actifs d’Erdogan, et ainsi de suite.
Plus les exigences sanitaires sont élevées, moins il y a de structures capables de s’y conformer, et plus le financement de ces structures est difficile et donc sujet à caution, et plus leur maîtrise devient un véritable enjeu de pouvoir. Une véritable quadrature du cercle….
Les pouvoirs politiques français désemparés
Alors que faire ?
D’abord, assumer avec fermeté l’impératif de l’ordre public. Pas plus que les mariages dits « communautaires » ou les matchs de foot de l’Algérie, l’Aïd ne doit servir de prétexte à des débordements qui tiennent plus de la démonstration de force agressive que de la fête. Ceux-ci doivent être implacablement sanctionnés, y compris par la dissolution des associations qui y participent ou y contribuent.
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Ensuite, concentrer les contrôles vétérinaires sur les transports et les abattages véritablement sauvages. C’est une réelle nécessité sanitaire, et une question d’élémentaire justice vis-à-vis de tous ceux qui ont l’honnêteté de se déclarer et de faire l’effort d’essayer de respecter même imparfaitement la réglementation. Pour ces derniers, il convient d’adopter une posture plus pédagogique que répressive, et d’avoir des exigences progressives et réalistes. Ce serait d’ailleurs l’occasion de nous interroger collectivement sur la pertinence de certaines règles, l’inflation normative et l’obsession hygiéniste – mais cela dépasse largement le cadre de l’Aïd.
L’État doit être intrusif
En contrepartie, il faut être extrêmement attentifs (pour ne pas dire intrusifs) à la « gestion de la pénurie » par les associations pour lesquelles, on l’a dit, la tentation du clientélisme est grande. Lorsqu’une salle de prière s’attache à servir en priorité des sympathisants des Frères Musulmans ou des wahhabites, il est probable que les prêches que l’on y tient soient de nature à justifier une rapide fermeture administrative !
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Enfin et surtout, l’État doit empêcher toute constitution d’un monopole (de droit ou de fait) sur l’organisation de l’abattage rituel pour l’Aïd, et plus généralement sur la filière halal ou sa certification. Ceux qui contrôleraient ce monopole en retireraient un pouvoir trop grand pour ne pas être dangereux. Et là où de tels monopoles ou quasi-monopoles existent, ne serait-ce qu’à l’échelle d’une région voire d’un département, les effets pervers ne tardent pas à se faire sentir.
La République doit se pencher sur cet immense casse-tête
En outre, regrouper des entités liées à l’islam tend à favoriser les islamistes, qui disposent de réseaux organisés dont ne bénéficient pas les musulmans républicains et humanistes, et d’une incontestable force de frappe financière.
Favoriser les petites structures indépendantes est évidemment beaucoup plus exigeant au niveau du contrôle, avec toutes les difficultés inhérentes à la multiplication du nombre d’interlocuteurs, mais permet de s’attaquer à celles qui diffusent une idéologie hostile à la France sans pénaliser les autres. C’est aussi une manière plus réaliste de tenir compte des spécificités de chaque territoire, et de permettre un travail en concertation entre les services déconcentrés de l’État et les communautés musulmanes locales – qui rappelons-le sont multiples, diverses et ont des objectifs parfois divergents.