Adrien Arcand, un fasciste bien de chez nous

Jean-François Nadeau met en lumière la vie obscure du führer canadien

Livres - revues - 2010

L'histoire nationale s'est bien arrangée pour refouler dans les recoins les plus reculés de sa mémoire les courants fascistes qui l'ont parcourue. Le fascisme n'a pas bonne presse. Si bien que peu se souviennent aujourd'hui d'un certain Adrien Arcand, pourtant figure de proue d'un fascisme bien canadien à l'époque où l'idéologie battait son plein dans certaines chancelleries d'Europe. Dans Adrien Arcand, führer canadien, l'historien Jean-François Nadeau s'affaire à déterrer les ossements intellectuels et politiques d'un personnage et d'un mouvement jadis marginaux, mais bien présents.
En explorant la vie oubliée d'Adrien Arcand, Jean-François Nadeau offre le premier véritable ouvrage d'historien sur la figure qui reste la plus connue du fascisme canadien. On plonge ainsi dans les années 30 au Québec, des années de crise au cours desquelles se forgent et se radicalisent les idées d'Arcand, mais aussi celles d'un pan de la société québécoise et du reste de l'Occident. En cela, explique Nadeau, «Arcand est un produit social de son époque», puisque le fascisme «existe alors sous plusieurs formes dans le monde et irrigue, à divers degrés, un vaste champ politique».
Au Québec, le mouvement politique est pourtant resté marginal. Mais «on oublie trop facilement qu'il y a dans toute société les germes d'un délire, rétorque l'auteur. J'aime le propos de George Orwell, selon qui Hitler, c'est la matérialisation d'une partie de nous-mêmes. Alors j'ai toujours trouvé bizarre de voir des fascistes dans un téléroman comme Cormoran, mais pas dans les livres d'histoire. Et ce n'est pas se faire santé que d'ignorer une partie de son histoire.»
Éloquent... et dangereux
Journaliste vif et énergique, auteur, orateur éloquent et charismatique, Arcand séduit ses semblables autant qu'il inquiète ses détracteurs. Le président de la Ligue contre l'antisémitisme à Montréal dira d'ailleurs que ses grandes qualités en font «le plus dangereux antisémite canadien».
D'éditoriaux en discours, Arcand en vient à s'illustrer comme figure centrale du fascisme au Québec. Des assemblées de fascistes protégés par leurs fiers-à-bras arborant fièrement la croix gammée se multiplient à Montréal et ailleurs dans la province. Puis, sa notoriété s'étend dans le reste du Canada. Après avoir fondé à Montréal le Parti national social chrétien du Canada (PNSC) en 1933, il fédère ensuite d'autres partis du genre au Canada dès 1937.
Car si Arcand, le Canadien français, fait ses premières armes dans la petite société qui l'a vu naître, son rêve en déborde largement les frontières. L'espace vital qu'il envisage n'est toutefois pas celui d'une Allemagne nazie, dont il adule pourtant le dictateur — Hitler est pour lui un homme «brave et courageux», un «homme d'État incorruptible et propre». Le chef du PNSC se frotte plutôt aux fascistes anglais et développe une admiration sans bornes pour l'Empire britannique. Royaliste de surcroît, Arcand exulte à l'idée d'une sorte de Commonwealth fasciste sur lequel le soleil ne se coucherait jamais.
Le «führer canadien», on le devine, n'est pas un fasciste orthodoxe, et Jean-François Nadeau qualifie volontiers sa pensée de «bricolage hétéroclite». Même si, en bon fasciste raciste, l'antisémitisme est la pierre d'assise de son édifice intellectuel — tous les maux du monde trouvent chez lui leur racine chez les Juifs, au point de présenter Jean Lesage comme un conspirateur juif du nom véritable de «John Wiseman»! — et qu'il honnit la démocratie, le parlementarisme et le communisme, il trouve néanmoins le moyen d'y inclure une forte dose de catholicisme. Peu lui importe, donc, qu'Hitler réserve un triste sort aux catholiques et qu'il ne voie pas d'autorité suprême à l'extérieur de lui-même.
Accointances insoupçonnées
Le fascisme au Québec et au Canada avait son noyau de militants purs et durs — selon les recherches de l'historien, le PNSC comptait quelque 1500 membres dans la province —, mais aussi ses compagnons de route. Nadeau débusque ainsi des liens plus ou moins étroits avec l'Union nationale de Duplessis — qui lui paiera ses soins de santé... après la guerre! —, plusieurs membres du clergé, mais aussi avec Michel Chartrand, sympathisant fasciste d'avant-guerre, Jean-Paul Riopelle, simple «curieux», ou encore Jean Marchand. On retrouve même au détour d'une page un certain Pierre Elliott Trudeau, l'un des rares à avoir appuyé Arcand à sa sortie de prison en 1945. Au nom du droit et de la liberté d'expression, le jeune étudiant dénonce depuis Londres l'emprisonnement arbitraire du fasciste sous le coup de la Loi sur les mesures de guerre. Ironie de l'histoire.
Arcand a des relations à l'extérieur du pays également. Il compte parmi ses admirateurs étrangers des hommes haut placés et influents. Nadeau, également directeur des pages culturelles du Devoir, consacre un chapitre à une visite à Montréal, jusqu'ici restée mystérieuse, de l'écrivain français Louis-Ferdinand Céline, un antisémite consommé. Les deux hommes ont-ils correspondu par la suite? Mystère. Mais Céline a bel et bien assisté aux réunions fascistes, preuve photographique à l'appui.
Tout ne se termine pas avec la fin de la guerre, loin s'en faut. L'ouvrage relate la résurgence du fascisme au Canada et d'un Adrien Arcand tout sauf amendé. Minimisant au possible l'Holocauste et martelant toujours sa haine des Juifs, Arcand, deux fois candidat aux élections fédérales sous la bannière de l'Unité nationale, parvient à obtenir chaque fois une honorable deuxième place. «Après tout ce qui s'est passé! s'étonne encore Nadeau de vive voix. Ce n'est pas banal.»
Avant sa mort, en 1967, Arcand plaidait pour que le fascisme emprunte de nouvelles voies. Il devait innover. «Comme quoi, rappelle l'auteur, le fascisme est protéiforme. C'est une sorte de spectre qui sait revenir nous hanter sous différentes formes.»


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