Accroître l’accès aux soins sous la menace

Qualifié de «soviétique» par les médecins, le projet de loi 20 suscite grogne et stupéfaction

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Barrette ne connaît même pas l'histoire de sa profession. De telles mesures ont déjà existé ailleurs et ont lamentablement échoué

Dans un geste d’une autorité sans précédent, Gaétan Barrette a décidé de mettre les médecins, et particulièrement les omnipraticiens, au pas, et ce, sous la menace. Le but : les obliger à suivre un certain nombre de patients et à se rendre disponibles pour eux. Les spécialistes devront pour leur part répondre plus rapidement aux demandes de consultations et de chirurgies. Le tout sous peine de pénalités financières pouvant atteindre 30 % de leur chèque de paie.

Qualifiant le projet de loi de soviétique, les médecins, pris au dépourvu par l’ampleur des mesures, sont sous le choc. Le ministre de la Santé avance ni plus ni moins que ces mesures, applicables au 1er janvier 2016, pourraient donner un médecin de famille à tous les Québécois très rapidement. Dès 2015, les patients verront un changement « significatif », promet-il. Car selon le ministre, il y a assez de médecins au Québec.

Il avoue l’échec des mesures tentées par le passé. « Nous avons tenté d’augmenter le nombre de médecins. Ça n’a pas marché. De négocier des augmentations. Ça n’a pas marché. D’instaurer des incitatifs. Ça n’a pas marché, a constaté le ministre de la Santé en conférence de presse. Nous ne dépenserons plus d’argent sans garantie de résultats. »

En outre, le ministre se donne un pouvoir sans précédent en s’autorisant à jouer dans les ententes négociées des médecins. Il dit qu’il pourra « exceptionnellement » user de ce pouvoir pour édicter les conditions de rémunération. Si on compare les fédérations médicales à des syndicats, on pourrait dire que leurs conventions collectives peuvent être entièrement réécrites par l’employeur, Québec.

Exigences élevées

Un médecin de famille cumulant dix ans d’expérience devra, en plus de ses 12 heures de présence obligatoires à l’hôpital ou en CHSLD, assumer le suivi d’au moins 1000 patients. La moyenne est de 564 actuellement, selon le ministre. Selon les informations qui circulent, plus un médecin aurait d’années de pratique, plus il devrait suivre de patients.

Pour éviter les pénalités, les médecins devraient voir ces patients inscrits quand ils en ont besoin. La RAMQ établira des « taux d’assiduité » calculés en fonction du nombre de fois où les patients consultent un autre médecin ou vont à l’urgence.

Si le taux d’assiduité d’un médecin tombe sous la barre des 80 %, ou s’il suit moins de 80 % de sa cible quant au nombre de patients, les pénalités financières s’appliqueront.

Gaétan Barrette croit que la moitié des médecins choisira la pénalité, volontairement.

En ce qui concerne les spécialistes, ils ne sont pas en reste. Ils devront voir un certain nombre de patients référés par les omnipraticiens par semaine en consultation. Ils devront aussi répondre en moins de trois heures aux demandes de consultation des urgentologues. Par exemple, si une personne avec une fracture, étendue sur une civière à l’urgence, doit voir un orthopédiste.

Le ministre exige aussi des médecins spécialistes que les listes d’attente en chirurgie de plus de six mois ne deviennent plus qu’un mauvais souvenir.

«Condamné à l’échec»

La réaction, glaciale, des médecins n’a pas tardé à venir. Par voie de communiqué, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a fait savoir que les mesures sont « autocratiques et indignes d’une démocratie moderne ». Le projet de loi édicte des conditions « dignes des belles années de l’Union soviétique », ajoute-t-elle. « La voie de la confrontation est condamnée à l’échec », dit son président, le Dr Louis Godin, dans son communiqué. Il prédit une « perturbation » du réseau. « Le gouvernement devra porter seul l’odieux de son échec, écrit le Dr Godin. Ce sont des gens que l’on soigne, pas des numéros. »

Le Dr Godin, en vacances à l’extérieur du pays, n’a pas pu accorder d’entrevues, alors que les médecins de famille sont atteints de plein fouet par le projet de loi. Le ministre les a accusés de travailler trop peu. « Ils travaillent moins d’heures que leurs confrères canadiens », a reproché Gaétan Barrette, dont l’entourage n’était pas sans savoir que le Dr Godin était absent cette semaine.

« À l’évidence, le ministre décide d’imposer ses vues plutôt que la voie de la concertation », lui a reproché la Dre Diane Francoeur en conférence de presse. La présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec était soufflée par l’affront fait par son prédécesseur à la FSMQ. « Rien n’est plus faux que de prétendre que les problèmes du réseau de la santé reposent sur les épaules seules de médecins, s’insurge-t-elle. Les médecins veulent travailler. Mais les blocs opératoires sont fermés, les lits manquent, le personnel est insuffisant… »

Le Dr Joseph Dahine est du même avis. « Est-ce qu’on aura les ressources, les infirmières, pour prendre plus de patients ? demande-t-il. C’est illusoire de promettre à la population que cette solution mur à mur pensée sans consultation va fonctionner », avertit le président de la Fédération des médecins résidents du Québec.

« C’est un projet de loi soviétique », lance le Dr François-Pierre Gladu, président de l’Association des jeunes médecins du Québec. Les jeunes médecins de famille sont particulièrement visés par le projet de loi, puisque ce sont eux qui doivent assumer des gardes à l’hôpital en plus de suivre des patients. Selon lui, les cibles de patients sont irréalistes. « Tous les médecins vont être pénalisés », dit-il.


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