Abus de pouvoir

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Bancale démocratie






Quand un gouvernement se croit autorisé à écrire des lois qui effacent rétroactivement des infractions et les recours des citoyens contre ces dernières, on est en droit de s’interroger sur la santé de notre État de droit.


 

C’est pourtant ce que tente de faire le gouvernement conservateur au moyen de son projet de loi budgétaire omnibus. Ce véritable cheval de Troie cache des dispositions qui offrent l’immunité à ceux qui ont détruit les données du registre des armes d’épaule, y compris ceux qui l’ont fait en contravention de la Loi sur l’accès à l’information (LAI).


 

Le geste est si inusité et si troublant que la commissaire à l’information, Suzanne Legault, a cru nécessaire jeudi d’alerter les deux Chambres du Parlement avec un rapport spécial portant sur la plainte que ces amendements doivent rendre caduque.


 

L’affaire démarre au printemps 2012, avant l’entrée en vigueur de la loi abolissant le registre des armes d’épaule. Un citoyen demande une masse de données qui seront détruites. La commissaire écrit rapidement au ministre de la Sécurité publique de l’époque, Vic Toews, pour lui rappeler qu’en vertu de la LAI, la Gendarmerie royale a l’obligation de conserver les documents faisant l’objet d’une demande. On l’assure qu’ils seront conservés. En fait, ils seront détruits l’automne suivant et la réponse donnée au demandeur quelques mois plus tard sera incomplète. Il porte plainte.


 

Mme Legault fait enquête et constate qu’il a raison, mais elle découvre aussi que les documents ont bel et bien été détruits, sauf ceux du Québec. En mars dernier, elle soumet trois recommandations au ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, qui les rejette. Elle demande entre autres qu’on préserve les données restantes, dont celles du Québec, pour les inclure dans une nouvelle réponse au plaignant. Le refus du ministre autorise la commissaire à s’adresser à la Cour fédérale pour une ordonnance de divulgation, ce qu’elle a fait jeudi.


 

Toujours en mars, Mme Legault saisit le ministre de la Justice, Peter MacKay, de l’affaire afin qu’une enquête criminelle ait lieu sur de possibles infractions à la loi. Pas de réponse. En fait, elle a appris hier, par les journaux, que sa requête venait d’être transférée au directeur des poursuites pénales.


 

 


Mais tout cela pourrait s’avérer inutile si les amendements inclus dans le projet de loi budgétaire sont adoptés, d’où sa décision de précipiter la publication de son rapport spécial sur cette plainte particulière.


 

« C’est devenu absolument important et urgent pour moi de déposer le rapport spécial au Parlement afin que les parlementaires puissent connaître le contexte des dispositions contenues dans le projet de loi », confie-t-elle dans l’entrevue.


 

Urgent parce qu’un citoyen se retrouvera privé de ses droits. Urgent parce qu’on change la loi pour court-circuiter une enquête sur des gestes potentiellement criminels. Urgent parce qu’il s’agit d’un précédent préoccupant en démocratie.


 

Car cela va loin. Tout le processus de destruction des données de l’ancien registre est maintenant à l’abri des plaintes et des recours en vertu de la LAI et aussi de la Loi sur la protection des renseignements personnels.


 

Suzanne Legault se questionne, avec raison, sur le rôle du ministre de la Justice. C’est lui qui a reçu sa demande d’enquête criminelle, mais c’est aussi lui qui a donné le feu vert au projet de loi budgétaire qui, en quelques coups de crayon, efface de façon rétroactive une infraction, entrave le droit d’accès et le travail de la commissaire dans l’exercice de ses pouvoirs. Elle juge cet aspect de l’affaire « extrêmement problématique ».


 

Dans sa lettre aux présidents de la Chambre et du Sénat, Mme Legault parle aussi d'« un précédent dangereux contre le droit quasi constitutionnel des Canadiens à l’information ». Son bureau n’a pas pris de décision, mais examine s’il n’a pas des recours de ce côté.


 

 


Le cri d’alarme de la commissaire doit être entendu. Sinon, où cela va-t-il s’arrêter ? Si le gouvernement se croit autorisé à effacer des infractions au moyen de lois rétroactives, à quoi se soustraira-t-il dans le futur ? À la loi électorale ? Aux règles en matière de publicité ? Va-t-on s’absoudre à rebours de possibles fraudes, d’abus de fonds publics, d’ingérence politique dans des processus censés être indépendants ?


 

Ce n’est pas la première fois que ce gouvernement enterre dans un projet de loi omnibus des amendements destinés à légitimer après coup un geste douteux. Il a tenté la même chose en 2013 avec la Loi sur la Cour suprême. Après avoir nommé le juge Marc Nadon, il a cherché à modifier de façon unilatérale les critères de nomination des juges québécois. C’est encore une fois la Cour suprême qui a freiné son élan.


 

Un État de droit est un État fondé sur la justice où l’ordre constitutionnel, la séparation des pouvoirs et les droits fondamentaux encadrent l’exercice du pouvoir afin d’éviter qu’il soit utilisé de façon arbitraire. À voir les défaites à répétition de ce gouvernement devant les tribunaux, on est forcé de constater qu’il a de la difficulté à se plier à ce cadre. Et c’est inquiétant car, sans ces balises, la démocratie devient bancale.







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