La révolution albertaine

1127e148088b8384f7c61310b9b1028e

Pour le Québec, du pareil au même

Mardi, un tremblement de terre politique a secoué l’Alberta. Le NPD a délogé le Parti progressiste-conservateur (PPC), qui régnait sur la province depuis presque 44 ans. Une victoire que les sondages annonçaient et qui a laissé à peu près tout le monde incrédule.
La vraie surprise est la solution de rechange choisie par les Albertains, car le déclin du PPC était perceptible depuis quelques années.
En fait, les conservateurs ont failli perdre le pouvoir en 2012. Ils ne l’ont conservé qu’en fin de course, lorsque les progressistes-conservateurs et une forte proportion des libéraux et des néo-démocrates se sont ralliés derrière la première ministre Alison Redford afin de barrer la route à l’ultraconservateur Wildrose Party (WP) de Danielle Smith.
La grogne larvée n’a toutefois pas disparu : Alison Redford a multiplié les bévues et s’est retrouvée emmêlée dans un scandale au sujet de ses frais de déplacement. Son successeur, Jim Prentice, semblait armé pour calmer le jeu, mais il a mis de l’huile sur le feu avec une série de décisions controversées et une déclaration maladroite qui lui a collé à la peau.
Interrogé sur les problèmes financiers de l’Alberta, il a déclaré : «Il faut se regarder dans le miroir». Les Albertains en ont déduit qu’il les blâmait eux plutôt que le PPC, au pouvoir depuis quatre décennies. (Grâce à ces mêmes Albertains, soit dit en passant.)
Puis est arrivé son budget. Forcé de serrer la vis pour encaisser les contrecoups de la chute du prix du pétrole, il a annoncé que la province afficherait un déficit record de cinq milliards, malgré des augmentations d’impôt, la mise en place de douzaines de tarifs, la création d’une taxe santé, l’élimination de plus de 2 000 postes dans la fonction publique, et ainsi de suite.
Il a ensuite déclenché les élections une année avant qu’elles eussent été prévues, pour ensuite mener une campagne décevante et connaître un mauvais débat. Le clou est venu quand, contesté sur ses chiffres par la chef du NPD, Rachel Notley, il a répliqué en disant que «les mathématiques, c’est difficile». Comme si sa rivale ne savait pas compter.
Son attaque a aussitôt été vue comme sexiste et condescendante — un exemple de la suffisance d’un parti qui croit que le pouvoir lui est dû et qu’il est seul à savoir ce qu’il fait. Dire que cela a mal passé est un euphémisme.
Rachel Notley, de son côté, a mené une campagne exemplaire, jouant de son charisme à fond et centrant les projecteurs sur elle, comme l’avait fait Jack Layton en 2011. Et cela a marché. Les erreurs dans son programme n’y ont rien changé. Le fait que la quasi-totalité de ses candidats étaient des néophytes non plus.
Jim Prentice aurait pu l’emporter si la droite s’était ralliée derrière lui, mais il avait empoisonné le puits. Les partisans du Wildrose Party voulaient plutôt avoir sa peau après qu’il eut réussi, l’automne dernier, à ravir plus de 11 députés du WP, dont la chef Danielle Smith.
Aujourd’hui, le PPC se retrouve avec 10 députés, et au troisième rang, alors que le WP a 21 députés et occupe le poste d’opposition officielle face au NPD, qui détient 53 sièges. Il n’en avait que quatre à la dissolution.
Onde de choc
Ce bouleversement politique pourrait faire sentir ses effets à l’échelle fédérale, mais pas de façon aussi dramatique.
Oui, le gouvernement Harper montre des signes d’usure et traîne des scandales dans ses bagages, mais il ne se bat pas sur deux fronts. La droite, à l’échelle fédérale, ne fait qu’un derrière le Parti conservateur. Et en Alberta, les conservateurs et Stephen Harper sont toujours populaires.
Cela ne rend pas la défaite de mardi moins amère. Mercredi, à sa sortie du caucus conservateur fédéral, le ministre de la Justice, Peter MacKay, a même dit que l’atmosphère était celle d’une morgue. De l’autre côté du Hall d’honneur, le caucus du NPD, lui, ne se pouvait plus. Le chef Thomas Mulcair jubilait, et des députés ont même sorti leurs guitares pour chanter.
Mais à sa sortie, Mulcair n’a pas voulu dire en quoi le défi serait différent pour lui en Alberta. Il sait pourtant qu’il n’est pas dans la même position que Rachel Notley. C’est à la gauche des conservateurs qu’il y a division. Libéraux et néo-démocrates s’arrachent les mêmes électeurs.
À noter, cependant, que le NPD fait mieux en Alberta que le Parti libéral du Canada depuis le début des années 2000. Ses appuis croissent lentement, mais sûrement. Assez pour faire élire la députée Linda Duncan en 2008, à Edmonton. En 2011, il a obtenu 16,8 % des voix, soit presque le double du PLC. La victoire de son cousin provincial fouette sa base pour la prochaine campagne fédérale.
Les libéraux, en revanche, ne détiennent plus qu’un siège à la législature et n’avaient même pas présenté de candidats dans tous les comtés.
Cela n’est pas encourageant pour le chef libéral fédéral Justin Trudeau, qui a multiplié les opérations charme en Alberta. Il veut que son parti y reprenne pied, mais il aura besoin d’une vraie organisation pour cela… et ce n’est pas son allié provincial qui pourra vraiment lui servir de renfort.
Du côté des conservateurs, leur unité fait leur force, mais l’Alberta était pour eux un symbole d’invulnérabilité utile. Et même pratique. Durant les dernières campagnes électorales, ils pouvaient y engranger des dons substantiels tout en concentrant leurs efforts ailleurs. Le résultat de mardi est un avertissement à ne rien tenir pour acquis.
Il faudra voir aussi si la perception du NPD ailleurs au Canada changera. Paraîtra-t-il plus rassurant ?
Gouverner
La victoire du NPD change aussi la donne pour le gouvernement conservateur de Stephen Harper. Il se retrouve avec seulement deux alliés naturels à la tête de gouvernements provinciaux, soit ceux de Terre-Neuve et de la Saskatchewan.
Harper va travailler avec son homologue albertaine, mais dans le dossier de l’énergie et des changements climatiques, il trouvera cela beaucoup moins aisé. Il ne pourra pas continuer à pelleter le problème en avant.
Rachel Notley n’a pas promis une révolution dans ces dossiers, mais elle veut agir, ce qui est un progrès. Elle a promis d’examiner les redevances payées par l’industrie pétrolière et de revoir les lois environnementales, avec une attention particulière pour les changements climatiques.
Et elle ne veut plus faire la promotion du pipeline Keystone XL ou défendre celui de Northern Gateway, ce qui laisse Stephen Harper seul dans son coin.
Rachel Notley souhaite que l’Alberta dépende moins d’un prix du pétrole brut élevé et de l’exportation de ressources non transformées. Elle voudrait que davantage de raffinage se fasse dans sa province.
Alors que le ministre Harper combat toute hausse de taxe, voilà qu’il voit les Albertains élire un parti qui a, dans ses cartons, des promesses de hausses d’impôt pour les Albertains mieux nantis, ainsi qu’une augmentation de 10 à 12 % du taux d’imposition des entreprises. Le NPD a aussi promis la création de places en garderie, un salaire minimum à 15 $ et des investissements dans les transports en commun.
Une inconnue
Une question demeure, cependant. Au-delà de la colère des électeurs et de l’usure du parti au pouvoir, est-ce que les changements démographiques observés en Alberta depuis une dizaine d’années ont joué un rôle dans cette secousse politique ?
Le boum pétrolier a attiré des gens de partout au Canada et de l’étranger. Ces personnes ont des cultures politiques variées. Leur réaction au choc économique actuel est-elle inspirée par ce qu’ils ont vécu ailleurs ? Si leurs parents ou eux-mêmes ont bénéficié, par le passé, de la présence d’un filet social solide en cas de coups durs, ils peuvent s’attendre à la même chose.
L’Alberta est de moins en moins monolithique socialement, culturellement et politiquement. On en a vu l’effet à la mairie des deux plus grandes villes de la province. Il reste à en mesurer les répercussions, s’il y en a eu, sur l’échiquier provincial — et peut-être, un jour, au fédéral.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé