A quoi sert Avigdor Lieberman ?

Lieberman permet au premier ministre – qui a décidé la fin du moratoire sur la construction des colonies – d’apparaître comme « modéré ».

OCCUPATION ISRAÉLIENNE - reconnaître l’Etat de Palestine

Le ministre des affaires étrangères israélien est intervenu le 28 septembre devant l’Assemblée générale des Nations unies (lire le texte en anglais – PDF). Si les délégations palestinienne et iranienne ont quitté la salle pour protester, celles de l’Union européenne sont restées impassible devant cette attaque en règle contre toute perspective de paix et devant ses propositions d’échange de population qui aboutiraient à des pays ethniquement (ou religieusement) purs.
Que dit Avigdor Lieberman en substance ?
Voici ce qu’en rapporte le centre d’actualité de l’ONU (« Israël déclare être prêt pour une solution équitable avec les Palestiniens », 28 septembre).
Il s’attaque d’abord à trois « idées reçues » sur le conflit israélo-palestinien et le processus de paix.

« Contrairement à l’idée qui prévaut, selon laquelle le conflit israélo-palestinien est au cœur de l’instabilité au Moyen-Orient ou à l’origine de nombreux conflits dans la région, la réalité est entièrement différente. (...) 90% des conflits au Moyen-Orient, guerre Iran-Irak, guerre du Golfe, guerre au Yémen, guerre au Liban, guerre en Algérie, n’étaient pas liés à Israël . »

Ce qu’il oublie de souligner, c’est que la non-solution du conflit israélo-palestinien alimente la haine de l’Occident, comme l’ont reconnu pour la première fois de nombreux responsables américains, dont le général David Petraeus, actuel chef des troupes américaines en Irak. Devant la commission des forces armées du Sénat, alors qu’il commandait le Centcom, le commandement américain pour toutes les forces au Proche-Orient, le 16 mars 2010, il a déclaré :
« Les hostilités persistantes entre Israël et certains de ses voisins représentent un défi particulier pour notre capacité à faire avancer nos intérêts dans [notre] zone de responsabilité. Les tensions israélo-palestiniennes se transforment souvent en violences et en confrontations armées à grande échelle. Le conflit provoque un sentiment anti-américain, à cause de la perception du favoritisme des Etats-Unis à l’égard d’Israël. La colère arabe sur la question palestinienne limite la puissance et la profondeur de nos relations avec des gouvernements et des peuples de cette zone de responsabilité, et affaiblit la légitimité des régimes modérés dans le monde arabe. Pendant ce temps-là, Al-Qaida et d’autres groupes militants exploitent la colère pour mobiliser. Le conflit offre également à l’Iran une influence dans le monde arabe via ses satellites, le Hezbollah libanais et le Hamas. »

« La deuxième explication fausse qui a gagné en popularité, c’est l’idée selon laquelle la racine du problème, c’est ce qui est appelé “l’occupation”, les colonies en Judée-Samarie et les colons eux-mêmes, et que seul un Etat palestinien indépendant en Judée-Samarie et à Gaza peut assurer la paix à toute la région », a ajouté M. Lieberman, soulignant que la paix avec l’Egypte et la Jordanie avait été signée malgré les colonies.
Rappelons que la paix avec l’Egypte n’a pu être signée que parce qu’Israël a démantelé les colonies dans le Sinaï, et que la Jordanie a signé la paix en 1994 parce qu’elle n’avait pas de contentieux territorial avec Israël, ayant renoncé à toute souveraineté sur la Cisjordanie.
Les colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ne sont pas seulement illégales du point de vue du droit international, elles vont à l’encontre du but proclamé d’un Etat palestinien indépendant.
Enfin, troisième idée reçue selon le chef de la diplomatie israélienne, « le problème palestinien empêche un front international uni face à l’Iran ». Pour lui, « le même argument peut être utilisé ailleurs, le problème palestinien empêche une action contre la Corée du Nord, la piraterie en Somalie, la crise humanitaire au Soudan ». Pour Avigdor Liberman, « le lien entre l’Iran et le conflit israélo-palestinien est inverse », l’Iran utilise le conflit israélo-palestinien à ses fins, alors que « le problème de l’Iran doit être résolu en premier ».
Là encore, il ne répond pas à l’argument de l’administration américaine qui note que forger une alliance contre l’Iran avec les pays arabes modérés est plus difficile du fait que la Palestine reste sous occupation et que le régime iranien brandit la défense de la cause palestinienne.
A partir de cette analyse, le ministre souligne qu’un accord est difficile, impossible même à court terme.
« Le problème émotionnel est lié au manque de confiance entre les parties et aux questions de Jérusalem et de la reconnaissance d’Israël comme foyer du peuple juif. » Résoudre ce problème n’étant pas possible pour l’instant, il faudra « un accord intermédiaire sur le long terme ».
Cet idée d’accord intérimaire à long terme (le ministre ne pense pas qu’un accord sera possible avant des décennies), on ne voit pas très bien ce qui la différencie de l’occupation à long terme, puisque pour le ministre il faut continuer la colonisation, qui, d’ailleurs, n’a jamais cessé.
Mais le meilleur de son discours est pour la fin :
« Le principe qui doit guider la recherche d’un accord final, ce n’est pas la paix contre des territoires, c’est la paix contre l’échange de territoires peuplés. Je ne parle pas de faire bouger les populations, mais de faire bouger les frontières pour mieux refléter les réalités démographiques. »

En termes plus clairs : se débarrasser de la population arabe d’Israël qui ne peut faire de bons citoyens d’un « Etat juif ». Il est toujours étonnant qu’une telle proposition ne soulève que peu de réprobation au niveau international.
Il est vrai que Benyamin Nétanyahou a déclaré (« A l’ONU, Avigdor Lieberman irrite Benjamin Netanyahu », Rtbf.be, 28 septembre) :
« Le contenu du discours du ministre des affaires étrangères aux Nations unies n’a pas été coordonné avec le premier ministre. C’est le premier ministre Benjamin Netanyahu qui s’occupe des négociations diplomatiques. Les différents arrangements pour la paix seront définis uniquement autour de la table des négociations et nulle part ailleurs. »

Cette mise au point appelle elle-même deux mises au point : d’abord, le communiqué ne condamne pas explicitement les propositions racistes du chef de la diplomatie israélienne ; ensuite, Lieberman permet au premier ministre – qui a décidé la fin du moratoire sur la construction des colonies – d’apparaître comme « modéré ». Les Etats-Unis et l’Union européenne peuvent ainsi poursuivre une politique d’apaisement à l’égard d’un premier ministre dont il faudrait comprendre les problèmes internes, les problèmes d’alliance, le poids de son aile droite, etc. Cet argument n’est jamais employé quand on parle des Palestiniens, sans doute parce que nous sommes convaincus qu’il n’existe pas d’opinion publique palestinienne, mais simplement « la rue », masse informe et sans vraie volonté politique.
Cela étant, la question se pose de la possibilité de la création d’un Etat palestinien sur le territoire de la Cisjordanie et de Gaza. J’y reviens longuement dans un article, « Un seul Etat pour deux rêves » (Le Monde diplomatique, octobre 2010, en kiosques). En voici le début.

« Le moindre danger, le moindre mal, serait la création d’un Etat unique avec des droits égaux pour tous ses citoyens », annonce le président du Parlement. Figure de la vie politique, un ancien ministre surenchérit : il n’existe plus désormais d’autre option que la proclamation d’un seul Etat sur tout le territoire historique de la Palestine, de la Méditerranée au Jourdain. Une jeune députée aux convictions religieuses bien ancrées défend les mêmes conclusions. Trois personnalités palestiniennes ? Trois membres de l’organisation islamiste Hamas ? Trois antisionistes européens ? Non : ce diagnostic a été formulé par trois membres éminents de la droite israélienne.
Le premier, M. Reuven Rivlin, récuse l’idée d’une menace démographique arabe et observe que cette manière de penser « amène à évoquer le transfert ou le fait qu’il faudrait tuer les Arabes. Je suis horrifié par ces propos. Je vais dans les écoles où, lors de simulations d’élections, Lieberman [le ministre des affaires étrangères, dirigeant du parti d’extrême droite Israël Beitenou] obtient 40 % des voix et j’entends des enfants dire qu’il faudrait tuer des Arabes. (…) Ce type d’attitude a été créé par la position condescendante des socialistes [le Parti travailliste] qui affirment : “Nous [les Juifs] ici et eux [les Arabes] là-bas.” Je ne l’ai jamais compris. Quand Jabotinsky [1] disait : “Sion nous appartient”, il voulait dire un premier ministre juif et un vice-premier ministre arabe [2] ».

Le second, M. Moshe Arens, s’est illustré comme ministre de la défense et ministre des affaires étrangères dans les années 1980. Parrain politique de M. Benyamin Netanyahou, catalogué comme un « faucon », il s’est exprimé dans une tribune du quotidien Haaretz :
« Que se passerait-il si la souveraineté israélienne s’appliquait à la Judée et à la Samarie et que l’on offrait à la population palestinienne la citoyenneté israélienne ? Ceux qui, en Israël et à l’étranger, considèrent “l’occupation” comme un mal insupportable seraient soulagés par un changement qui libérerait Israël de ce fardeau [3]. »

(...)
Paris, 2 octobre Retour à la table des matières
Je présenterai mon livre De quoi la Palestine est-elle le nom ? le samedi 2 octobre à 17h30, à la librairie Résistance, 4, Villa Compoint, Paris-17e.

Notes
[1] Vladimir Zeev Jabotinsky (1880-1940), leader de la droite sioniste. Ses thèses ont inspiré les partis de droite.
[2] Haaretz, Tel-Aviv, 15 juillet 2010.
3] [« Is there another option ? », Haaretz, 2 juin 2010.

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Alain Gresh29 articles

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Alain Gresh est directeur adjoint du Monde diplomatique. Spécialiste du Proche-Orient, il est notamment l’auteur de L’islam, la République et le monde (Fayard, Paris, 2004) et de Les 100 clés du Proche-Orient (avec Dominique Vidal, Hachette Pluriel, Paris, 2003). Il tient le blog Nouvelles d’Orient.





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