Un accord électoral est nécessaire pour l'avenir du Québec

À moins d'un pacte électoral, Jean Charest sera réélu

Tribune libre

Le 5 juin dernier, le quotidien Le Devoir publiait une lettre de Pierre Curzi, député indépendant de Borduas, dans laquelle celui-ci enjoignait les forces souverainistes à s'unir dans le but de vaincre le Parti libéral du Québec aux prochaines élections générales. Cette proposition a depuis fait boule de neige au point où de nombreuses personnalités québécoises appellent maintenant à un front uni. Il faut se rendre à l'évidence : une réelle union est impossible et n'est pas souhaitable. Le PQ est trop « bourgeois » pour QS, alors que ce dernier est trop à gauche et insuffisamment souverainiste selon les Péquistes, rendant une alliance impossible. À défaut de former conjointement un gouvernement, un pacte électoral serait souhaitable, quoique difficilement réalisable. Option nationale, le parti récemment fondé par Jean-Martin Aussant, député de Nicolet-Yamaska, semble favorable à une telle union, alors que Québec Solidaire a récemment ouvert la porte à un tel pacte moyennant certaines conditions. La balle est aujourd'hui dans le camp du Parti Québécois de Pauline Marois. Si le Parti Québécois a raison de se montrer prudent considérant qu'un tel arrangement serait un couteau à double, une bonne dose de réalisme devrait lui faire accepter le pacte, car, disons-le d'emblée, sans accord, Jean Charest dirigera à nouveau un gouvernement minoritaire. J'exposerai dans les lignes qui suivent mon analyse des différents avantages et inconvénients d'un pacte électoral.
(Au moment d'écrire ces lignes, le Parti Québécois n'a toujours pas répondu à l'ouverture de Québec Solidaire).

Pourquoi un accord?
Comme l'a si bien mentionné Curzi, la division du vote francophone avantage grandement le PLQ. D'élection en élection, les anglophones et les allophones votent ensemble à plus de 90 % pour le Parti libéral, indépendamment de l'environnement politique. Un récent sondage Léger & Léger démontrait la fermeture des anglophones envers l'offre des autres partis : plus de 50 % étaient incapables de considérer un deuxième choix et près de 25 % reporteraient leur vote au Parti vert (un parti de contestation étant donné son invisibilité médiatique) s'ils ne pouvaient voter libéral. Cette domination libérale chez les anglophones et allophones assure au PLQ plus d'une trentaine de circonscriptions à Montréal et à Laval, et ce même si son appui chez les francophones plafonnait à 10 %. En 2007, Charest n'avait eu besoin que de 48 députés (et 33 % du vote) pour former un gouvernement minoritaire, alors que l'ADQ, avec 30 % du vote, avait obtenu 41 sièges. Les récents sondages placent le PLQ en égalité avec le PQ, respectivement à 33 et 32 % après la répartition des votes. Considérant le fort abstentionnisme chez les jeunes et la marge d'erreur des sondages (plus ou moins 3 %), le scénario de 2007 risque de se reproduire, reportant ainsi les Libéraux au pouvoir et les Péquistes dans l'opposition. Le PQ devrait donc éviter de tomber dans le piège du triomphalisme suite à sa victoire dans Argenteuil : la victoire dans cette circonscription francophone à plus de 80 % est plus attribuable à la CAQ qu'à la réelle performance du PQ. Québec Solidaire, plutôt montréalais, y a obtenu un résultat sous sa moyenne nationale, qui tourne autour de 9 %, ce qui a également permis au PQ de franchir la ligne d'arrivée à 500 votes du PLQ. De plus, avec un abstentionnisme de plus de 50 % lors de cette élection partielle, il est difficile de prévoir si le PQ pourra préserver ce comté situé à la frontière de l'Ontario lors de la prochaine élection.

D'une manière générale, l'abstentionnisme et la division du vote francophone sont les deux facteurs qui détermineront si le PLQ retournera aux commandes de l'État : si le vote francophone est divisé, le PLQ est pratiquement assuré d'être réélu pour former un gouvernement minoritaire, alors que si le vote francophone est relativement uni à plus de 40 % derrière un même parti, celui-ci est assuré de former l'exécutif. À 37-38% chez les francophones (à ceci il faut prévoir l'abstentionnisme qui réduira ce score aux élections), le PQ risque de retourner dans l'opposition.

Le pacte électoral
Ce risque de voir le PLQ réélu est bien réel, Jean Charest misant sur la division du vote afin de se faufiler vers la première place. C'est d'ailleurs pourquoi plusieurs demandent aujourd'hui un pacte, voire une union, entre les forces souverainistes. Une véritable coalition entre le PQ, QS et ON (Option nationale) est impossible, ces trois partis ayant des positions trop différentes sur nombre d'enjeux. Québec Solidaire est trop à gauche et pas assez souverainiste pour le PQ, alors que celui-ci est trop de droite pour QS. Par contre, l'idée des primaires proposée par Curzi permet d'éviter le problème d'une négociation impossible. La circonscription de Gouin, représentée par l'une des vedettes du Parti Québécois, Nicolas Girard, est dans la mire de Françoise David. Le PQ n'acceptera jamais de sacrifier Girard, alors que David tient mordicus à se présenter dans cette circonscription. Une élection primaire permettrait de laisser les électeurs trancher, enlevant ainsi le principal obstacle à la réalisation d'un pacte électoral.

Mais les paramètres d'une élection primaire posent problèmes : Doit-on permettre le vote à seulement les membres des partis? Ou doit-on, à l'image du Parti libéral du Canada, permettre aux « sympathisants » de voter? En termes de membres, le Parti Québécois obtient un énorme avantage sur ses deux opposants, alors que si l'on permet aux sympathisants de voter l'issue du scrutin dépendra pour les partis politiques de s'ils sont en mesure de faire sortir leur vote. Une telle manière de procéder pourrait éliminer les réticences chez Option nationale et Québec Solidaire à organiser des primaires.

Ma proposition serait donc la suivante : un médiateur déterminerait quelles circonscriptions « chaudes » feraient l'objet de primaires, en tenant compte des intérêts des partis et des effets de la division du vote. Par exemple, une circonscription de l'ouest de l'île de Montréal ne nécessiterait aucunement que des ressources y soient « gaspillées » dans l'organisation d'une élection primaire étant donné l'impossibilité pour les souverainistes d'y faire élire un député. Les intérêts des partis politiques, vitaux dans certaines circonscriptions, devraient être considérés pour permettre un pacte. Par exemple, laisser Nicolet-Yamaska à Aussant en exigeant en retour que celui-ci ne présente aucun candidat dans d'autres circonscriptions vitales pour le PQ et pour QS serait le seul moyen de dénouer l'impasse. L'issue dans certaines circonscriptions où les Libéraux et les Caquistes ne risquent pas de l'emporter et où les compromis sont impossibles (notamment Gouin) devrait être décidée par des élections primaires.

Un tel modèle plus « limité » que celui proposé par Curzi permettrait aux partis d'économiser avant les élections tout en leur permettant de présenter des candidats dans la très grande majorité des circonscriptions, évitant ainsi de les forcer à renoncer au financement public en fonction du nombre de votes obtenus. Un autre avantage d'un pacte électoral est que, contrairement à une réelle coalition, le PQ ne s'associerait pas directement à QS, ce qui éviterait au PQ d'être dorénavant associé à un parti considéré comme étant radicalement à gauche par plusieurs, neutralisant largement de très prévisibles attaques de la part de Jean Charest, adepte de la rhétorique de bas étage.

Les désavantages d'un tel pacte
En renonçant à certaines circonscriptions, les partis politiques seront affaiblis : ils perdront une part de leur financement public, dépenseront pour les élections primaires puis risqueront de perdre au niveau de leur score global (par exemple, si Québec Solidaire obtient 4% des votes à l'élection générale pour l'élection d'un seul député, ce parti perdra l'effet psychologique qu'aurait eu une augmentation de 4 à 9% de son score si aucun pacte n'avait été conclu). De plus, rien ne garantit que les électeurs d'un parti défait aux primaires reporteront leur vote vers le parti souverainiste victorieux. Il est fort possible que des électeurs péquistes, par exemple, préfèrent voter pour un candidat caquiste plutôt que solidaire. Les effets sont donc imprévisibles et pourraient parfois nuire aux indépendantistes, autant au niveau des partis que pour le mouvement dans son ensemble. Un pacte électoral serait donc un risque...

Et s'il n'y a pas d'accord?
....mais sans ce pacte Jean Charest sera probablement réélu, ce qui risquerait d'être fatal pour le Parti Québécois. Si Pauline Marois a raison, jusqu'à un certain point, de craindre un pacte, elle doit plutôt se poser la question inverse : « Sans pacte, que risque-je? » À la lumière des sondages, la réponse devrait paraître évidente : Jean Charest sera réélu et le Parti Québécois, déchiré, éjectera inévitablement Mme Marois de son siège. Le pacte serait donc, autant pour les intérêts personnels de Mme Marois que du PQ, le risque le plus acceptable compte tenu de la situation. Que Québec Solidaire ait démontré une telle ouverture à un arrangement préélectoral est tout à son honneur étant donné qu'il est le parti qui a le plus à perdre et démontre surtout que ce parti est capable de mettre de côté ses intérêts partisans pour une cause. Les conditions imposées par Québec Solidaire au PQ pour un pacte sont tout à fait acceptables et réalistes (la plupart des propositions sont déjà au programme du Parti Québécois).

Le temps presse, les élections auront vraisemblablement lieu à la mi-septembre. Pauline Marois doit accepter qu'un médiateur se charge de rapprocher les différents partis souverainistes dans le but de vaincre le Parti libéral de Jean Charest aux prochaines élections. Plusieurs enjeux, vitaux pour notre nation, ne doivent absolument pas être laissés entre les mains des Libéraux. La situation linguistique, le « vol » de nos ressources naturelles, l'explosion des taxes (taxe santé, TVQ, hydro, renouvellement annuel du permis de conduire, hausse des frais de scolarité, hausse de la dette, hausse des dépenses étatiques, etc.), une diminution injustifiée des taxes aux entreprises (diminuées de moitié par les Libéraux bien que de nombreux économistes jugent de telles politiques néfastes pour les finances du Québec), l'affaissement du Québec devant le gouvernement fédéral et j'en passe. La prochaine élection générale sera déterminante pour l'avenir du Québec. Malheureusement, la CAQ a démontré qu'elle n'était qu'une copie du PLQ sur plusieurs points (Legault allant jusqu'à dire que le problème du PLQ n'est pas le produit, mais le vendeur et n'excluant pas une éventuelle alliance avec le PLQ) et n'est pas porteuse de changements. Que les partis souverainistes s'entendent au plus vite pour que le Québec puisse redevenir maître de son destin!

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Maxime Duchesne25 articles

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Maxime Duchesne est présentement étudiant à HEC Montréal et travaille au Parlement du Canada comme employé contractuel.

Il est détenteur d'une maîtrise en Science politique de l’Université de Montréal depuis novembre 2012 et d'un baccalauréat en Science politique de la même université depuis 2010.

Ses études l’ont mené à passer un trimestre en Chine et à effectuer un stage au Parlement du Canada pour le compte d’un député fédéral. Cette dernière expérience lui a permis d’obtenir un emploi comme adjoint parlementaire contractuel.

Il a également été membre des Forces canadiennes durant plus de six ans. Ses études universitaires se sont centrées autour de la politique québécoise, le nationalisme, la gouvernance et les affaires publiques.

Il détient également un DEC du Collège de Maisonneuve en Informatique de gestion.





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4 commentaires

  • Maxime Duchesne Répondre

    23 juin 2012

    M. Savoie,
    Le Parti Vert est un parti de contestation. Les gens qui votent pour ce parti n'ont, pour la plupart, aucune idée de ses orientations. Il ne doit pas faire partie d'un éventuel pacte électoral puisque des électeurs fédéralistes n'auraient plus ce choix de contestation et se résigneraient à voter Libéral. Vous avez bien raison de mentionner qu'une élection primaire donnerait une certaines visibilité pour les partis (quoique limitée à mon avis) : aussi bien ne pas donner cette visibilité aux verts, qui ne sont certainement pas une référence en matière de positions indépendantistes. Je crois malgré tout que les primaires avantageront le PQ et ON plus que QS. ON pourrait ainsi conserver Nicolet-Yamaska (et donc "survivre", en quelque sorte) alors que le PQ devrait remporter plus de comtés. QS risque gros, surtout qu'il n'est pas certain que le PQ mettra de l'avant la réforme démocratique proposée par QS. Bref, comme dirait Legault, "On verra!"

  • Archives de Vigile Répondre

    23 juin 2012

    Gilles Duceppe? Il veut mais il veut pas. Il peut mais sans pouvoir. En tout cas pas si l'on parle d'indépendance. Ah ça non! Pas dans ma cour!
    Et voilà, c'est un écueil : l'Indépendance. Tous ces partis indépendantistes qui se regoupent dans la joie pour se libérer des libéraux. C'est tellement "estival et festif" comme pour nos manifestations, notre fête nationale commanditée par Labatt, Rio Tinto et encensée par la voix d'Isabelle Boulay. C'est surtout inoffensif comme nos manifestations, notre fête nationale mais pas Labatt, ni Rio Tinto, ni l'indifférence à la Mai-Boulay.
    On se regroupe mais pas pour parler d'indépendance. On le sait assez, on verra ça plus tard (dixit Legault, dixit PQ). Oui, plus tard quand les chaudrons seront retournés dans leur cuisine, quand on se sera débarassé de Charest puis du NPD, quand nos représentants orneront à l'extrème leurs discours de libelle politique.
    Comme si on n'avait pas asez de scandales pour vider le Parlement de la cochonnerie libérale. Personne a rien vu. Tout le monde a tout oublié. Les niouses sont pas en anglais. Les autresphones ont pas d'autre parti. Donc Charest est réélu.
    Combien ça prend de Québécois pour s'enlever une crotte de nez? Iiiiii, ça dépend si les anglais y veulent.
    Où est Bourgault? Et Falardeau, où est-il? Chartrand où es-tu? Où est l'alouette? Pauline, Gérald, pourquoi être partis si tôt?
    Trop petit pour un petit pain... et même pour le pain des autres. Sainte-Bénite

  • Archives de Vigile Répondre

    23 juin 2012

    La solution: Gilles Duceppe
    La meilleure carte que possède Charest le menteur en série dans son jeu, c'est Pauline Marois la gaffeuse en série.
    En conséquence, gouvernenemnt minoritaire assuré qui sera défait très rapidement et qui nous débarassera une fois pour toutes de ses deux squelettes pas très appétissant.

  • Archives de Vigile Répondre

    22 juin 2012

    S'il y a entente pour des primaires, elle se fera entre Québec Solidaire, Option Nationale et le Parti Vert. Le PQ est disqualifié par sa suffisance et sa rigidité. Il est vrai que dans ce processus, chaque parti participant perdra en financement de l'état, mais l'accroissement considérable du membership pour les partis sera très payant et couvrira presque les dépenses des primaires. Aussi, je ne suis pas d'accord avec votre affirmation que les primaires réduiront le % des suffrages exprimés des participants. Ce qu'un parti perdra dans un comté, il le gagnera dans un autre de sorte qu'au total, rien ne sera changé. La véritable question qu'il faut se poser, est relative à l'exposition médiatique qu'une primaire fournira à des partis marginaux et traditionnellement négligés dans un système uninominal à un tour. Combien cette publicité gratuite vaut en dollars pour ces partis ? Combien de suffrages supplémentaires rapportera-t-elle à ces partis ?
    Ceci étant dis, sous aucune conditions, un pacte électoral ne résoudra le problème de la division du vote souverainiste. Mais ce calcul est aussi vrai SANS un pacte. Quelques soient les résultats des prochaines élections, il faudra plutôt questionner le rôle pervers de la madame-en-question et la famille nationaliste devra sans doute se résoudre à laisser tomber ce parti moribond.