À ceux qui veulent se libérer de l’indépendance...ou pourquoi la vie provinciale est une vie diminuée

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« Quand on refuse de dire clairement que l’indépendance concerne la survie de la nation et les conditions élémentaires de son épanouissement, on en paie le prix aussi. »

Youri Chassin, le nouveau candidat vedette de la CAQ, a répété en entrevue il y a quelques jours ce que la plupart des observateurs remarquent depuis un temps: la prochaine élection sera la première depuis une cinquantaine d’années à ne pas porter sur la question nationale. C’est vrai à condition de faire une nuance: si la question du statut politique du Québec ou de l’indépendance ne sera assurément pas au cœur de la prochaine campagne, la question identitaire, qui en représente à bien des égards la mutation post-référendaire, sera assurément présente, peut-être même omniprésente, avec le Parti libéral qui fera campagne en tant que champion des minorités à protéger contre l’intolérance présumée de la majorité historique francophone – on ne sait toujours pas si la CAQ et le PQ assumeront leur positionnement sur la question identitaire ou s’ils fuiront leur ombre. Faut-il rappeler que la question identitaire, au Québec comme partout ailleurs en Occident, est aujourd’hui la question passionnelle par excellence, qui peut mobiliser l’opinion et dérégler les schèmes électoraux prévisibles.


Mais il est vrai que le combat souverainiste ne sera pas au cœur de la campagne. La démobilisation des souverainistes est complète et jamais l’indépendance n’a semblé aussi absente de notre horizon politique. Même la critique du régime canadien est absente, ce qui témoigne, convenons-en, d’une certaine faiblesse de la pensée politique souverainiste. Au mieux, les souverainistes pourront voter pour le Parti québécois pour qu’existe encore un parti souverainiste significatif après le 1er octobre – c’est-à-dire qu’ils voteront pour maintenir en vie un véhicule politique susceptible de reprendre la lutte nationale une fois la défaite encaissée. Il n’est pas certain qu’une telle perspective soit enthousiasmante. On ne saurait blâmer exagérément les leaders souverainistes pour une telle stratégie. La conjoncture historique, globalement, leur échappe, et ils luttent contre une tendance lourde qui pousse à la dislocation de la question nationale. Les leaders souverainistes ont cru sauver les meubles en évitant une stratégie maximaliste qui pourrait sembler relever de l’autisme politique.


Cela dit, on se questionnera sur l’enthousiasme des Youri Chassin et cie. qui présentent l’absence de la question nationale comme une chance pour le Québec. Sont-ils conscients que le fameux débat gauche-droite auquel ils espèrent enfin se vouer se tiendra dans les paramètres d’une existence politique nécessairement atrophiée, parce que provinciale et condamnée à occuper l’espace que le Canada lui laisse. On ne débat pas entre la gauche et la droite de la même manière dans une province ou un pays. La présente crise des réfugiés nous donne encore une fois un bon exemple de ce que peut vouloir dire ne pas être un pays: le gouvernement du Québec se lamente à Ottawa, mais n’a absolument aucune emprise sur ce dossier. Les Québécois protestent contre la situation sans trop savoir vers où diriger leurs protestations, comme si leur conscience politique était brouillée. Et de tels dossiers, pas toujours aussi médiatiquement vifs, sont nombreux.


La vie provinciale à laquelle veulent nous vouer les fatigués de la question nationale correspond moins à une démocratie ravigotée, parce qu’affranchie d’un vieux problème qu’elle ne parvenait pas à résoudre qu’à une démocratie mutilée, diminuée et desséchée. Ce qu’il y a de fascinant dans notre vie politique, c’est l’exceptionnelle capacité des Québécois à se faire croire que ne pas être indépendant n’a aucune conséquence et que le fait d’avoir échoué son indépendance n’a aucune conséquence non plus. Comment peut-on sérieusement dire: je suis indifférent au fait que mon peuple soit pleinement maître de son destin et gouverne pleinement ses affaires? Comment peut-on sérieusement croire qu’une nation subordonnée à un ordre politique fondé sur sa négation constitutionnelle peut vraiment se construire comme elle l’entend? Comme le répète souvent Robert Laplante, soit on se gouverne soi-même, soit on est gouverné par un autre.


À la rigueur, on peut comprendre les fédéralistes version Philippe Couillard d’adhérer au cadre provincial: au fond d’eux-mêmes, ils sont convaincus que notre destin se joue à l’échelle canadienne. Pour eux, c’est le Canada qui est un cadre civilisateur dont on ne saurait sortir sans s’avilir. Mais comment d’ex-souverainistes comme on en trouve tant à la CAQ peuvent-ils décréter que l’indépendance qu’ils souhaitaient encore hier ou avant-hier est désormais insignifiante, et qu’il suffit de ne plus en parler pour ne plus y penser? Comment peuvent-ils soutenir que le Québec peut désormais évoluer sans avoir le moindre pouvoir supplémentaire sans que cela ne limite au moins un peu notre capacité à bien gérer la province comme ils nous y invitent? Comment peuvent-ils dire, comme François Legault, qu’ils se sont réconciliés avec le Canada alors que le Canada n’a jamais manifesté le moindre désir de réconciliation véritable avec le peuple québécois? Faut-il simplement faire son deuil de l’indépendance et ne plus y penser? Mais dans ce cas, peut-être pourraient-ils nous dire au moins quelles sont les conséquences de cet abandon? Ils ne pourraient sérieusement les dire nulles.


Peut-être faut-il en blâmer les souverainistes qui ont trop longtemps dédramatisé leur option en présentant la réalisation de la souveraineté comme une promenade tranquille, exclusivement administrative et symbolique, ne changeant fondamentalement rien à la réalité du pays. Pour eux, la souveraineté avait des allures de récompense pour une société modèle, admirablement sociale-démocrate, féministe et écologiste. Quand on refuse de dire clairement que l’indépendance concerne la survie de la nation et les conditions élémentaires de son épanouissement, on en paie le prix aussi. Quand on abandonne la critique du régime, on dépolitise l’idée de pays pour en faire un simple horizon moral réconfortant. Une chose est certaine: si les Québécois, durablement, renoncent à la question nationale et la refoulent dans les marges de la vie politique, où elle n’intéressera que les indépendantistes militants les plus ardents, c’est qu’ils auront cessé, sans même s’en rendre compte, de se percevoir comme une nation. On peut concevoir qu’un peuple veuille refaire ses forces et rebrasser les cartes politiques pour envisager son avenir autrement. On ne peut concevoir sérieusement qu’il ne se pose même plus la question de son statut politique, comme s’il avait décrété cette question une fois pour toutes insignifiante, surtout s’il est dans la situation géopolitique du Québec en Amérique du Nord.


À moins que la décomposition politique et culturelle du peuple québécois soit telle qu’il lui est désormais indifférent de ne plus vivre comme une nation, mais comme une population dépolitisée et déculturée dans un pays avorté et demain normalisé dans le fédéralisme canadien. On ne saurait complètement exclure cette hypothèse.