4 septembre: «La République n'a jamais cessé d'exister»!

La République a changé de visage. Tout ce qui garantissait le non retour à un pouvoir despotique s'effrite au fil des mois.

Idées — de la République


Par Denys Pouillard - On se rappelle cette réplique sèche d'août 1944 du général de Gaulle à Georges Bidault, au balcon de l'Hôtel de Ville de Paris. Une réplique sèche devenue un mot de l'Histoire, mais trop souvent oublié, presque remisé dans nos arrières boutiques des mémoires révolutionnaires chahutées par tant d'ambiguïtés, d'illusions et parfois d'utopies.
Assurément, le général remontait le temps mais fixait à jamais le curseur à ce dimanche 4 septembre 1870, jour tragique mais institutionnellement porteur d'espérance. Sur une défaite et un déshonneur, quelques heures avaient suffi pour faire basculer, dans des formes à peu près légales, la ruche de l'Empire et rendre aux abeilles leur liberté : déchéance d'abord du régime impérial, proclamation de la République ; il fallut, dans des termes plus souverains, répéter l'épreuve, quatre mois plus tard, avec une nouvelle assemblée régulièrement élue, mais siégeant à 500 km de la capitale et dans des conditions de pressions morale et militaire dictées par l'ennemi. Et durant cinq ans encore, l'incertitude demeura sur la forme définitive du gouvernement de la France.
Le 4 septembre, que choisissait-on ? Comme en 1792, comme en 1848, ce que Montesquieu appelait tout simplement « la souveraine puissance » (la démocratie), celle que le peuple délègue à des représentants pour mettre en oeuvre le « bien commun » (la République). En principe ce mode de gouvernement est durable, à condition de bien se mettre d'accord sur ce fameux « bien commun »...Lorsque le « bien commun » est mal défini, artificiel, partiellement objet d'un compromis, la république est en danger et celle du 4 septembre le fut bien des fois jusqu'au coup d'Etat fatal de juin 40, entraînant l'exécution testamentaire d'un certain 10 juillet ; parenthèse sinistre qui ne peut être passée par pertes et profits, même si le mot historique du général de Gaulle voulait rassurer les plus hésitants.
Les « accessoires » de la République
Le « bien commun » représente une constellation d'accessoires qu'une seule devise ne suffit pas à synthétiser. L'exemple du 4 septembre 1870 demeure significatif lorsque le gouvernement provisoire dit de défense nationale, pour être au complet, et au nom de la gouvernance « plurielle », appelle ce général Trochu qui accepte la proposition à deux conditions : être le chef de ce gouvernement et qu'on lui garantisse que ce pouvoir exécutif soutienne « Dieu, la famille et la propriété » ! Et tous les « républicains » de l'Hôtel de Ville acquiescèrent ! Ajoutons l'autre ambiguïté née des évènements, celle des républicains, défenseurs du pays en arme, en septembre, qui avaient refusé les crédits de guerre, en juillet et, pacifistes, voulaient en savoir plus sur l'imbroglio de la dépêche d'Ems... Mais la République du 4 septembre devenait celle de la Résistance à l'ennemi, raison supplémentaire de dire à la Libération de Paris, soixante quatorze ans plus tard qu'elle n'avait « jamais cessé d'exister ».
Les « accessoires » ont tout autant été flous à la naissance de la IV ème République et deux référendums pour édifier la Constitution n'ont pas davantage amélioré l'exercice du pouvoir...jusqu'à sa chute fatale en mai 1958. La République gagnait un « plus » par rapport à 1870 ou 1875 : le périmètre des Droits de l'Homme
La République du général de Gaulle a rapidement été modifiée sur l'essentiel (l'élection du président au suffrage universel direct), au point de livrer la gouvernance de l'Etat à une nouvelle épreuve : la manière dont le chef de l'exécutif compte mener le « bien commun ». En 2010... nous y voilà !
Le « bien commun » ?
La République s'est adaptée au pouvoir d'un seul que les lois tempéraient néanmoins. Le Parlement malmené mais debout évitait que la République devienne une monarchie et cinq présidents ont su conserver à la France les principes fondamentaux du « bien commun » c'est-à-dire la volonté générale, le rôle de la puissance publique, la responsabilité du citoyen dans la collectivité.
Enfin tous les attributs d'une nation moderne qui place la vérité au même rang que la liberté, la laïcité au même rang que l'égalité, la solidarité au même rang que la fraternité. En même temps l'adaptation de la nation aux exigences de la mondialisation, de la diffusion des connaissances, de l'efficacité dans les décisions, conduisaient la République à réduire sa conception stricte de l'idée de nation, à sacrifier le jacobinisme sur l'autel de la décentralisation, à ouvrir le temple des interdits et des tabous. Personne ne contestait cette évolution : la République respirait... même si elle transpirait au prix cher de l'abandon de certaines valeurs. Au moins la République, en l'état, préservait de guerres de religions ou de guerres civiles.
La République a changé de visage. Tout ce qui garantissait le non retour à un pouvoir despotique s'effrite au fil des mois. Montesquieu définissait le despotisme comme le gouvernement « où un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et par ses caprices ». Ajoutons le recul, au profit de la culture du résultat et du chiffre, de tout ce qui peut s'assimiler aux humanités et l'on oublie déjà le despotisme même « éclairé ».
Certes les Lois commandent encore le Droit...mais le détricotage permanent des fondements du « bien commun » - en ébranlant les Droits de l'Homme, en versant la valeur travail dans la fosse commune du minimum vital, en sanctuarisant la protection inconditionnelle et démesurée de la richesse, en accumulant les fautes de goût par l'institutionnalisation du mensonge d'Etat ou de la vulgarisation du discours, en divisant la nation en deux camps - nous conduit à une rupture citoyenne.
Nous ne sommes plus en République car le conflit d'intérêt est plus coté que l'intérêt général, que le pouvoir de l'argent roi a supplanté le jardin des connaissances et du savoir. Et il est encore plus grave de dire que le seul danger vient seulement de l'extrême droite ; il vient de tous ceux qui lui sont associés et qui trépignent de joie populaire lorsque le verbe les « entraîne par sa volonté et par ses caprices ». Méfions nous de ce que l'on nomme la droite républicaine. Aurions-nous oublié, si vite, que le mot « Résistance » symbole de la République, n'est pas à la portée de tout le monde et qu'il nécessite du courage et de l'abnégation... le contraire de la soumission et du regard béat ?
Lorsque la République s'administre par injonctions, dénonciations gratuites, discours jaillis d'un seul Palais, c'est le retour aux régimes des Tuileries et de Saint-Cloud. Ce discours là, personne ne l'avait intégré au programme de la campagne présidentielle de 2007...
Denys Pouillard

Directeur de l'Observatoire de la vie politique et parlementaire : site [www.vlvp.fr->www.vlvp.fr]


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