Wall Street et la City en guerre contre l'euro

Crise de l'euro

Une guerre mondiale des monnaies se déroule sous nos yeux. La victime de la suprématie financière anglo-saxonne est l'euro. Les Etats-Unis ont torpillé le yen et le Japon à la fin des années 1980 et feraient bien la même chose avec l'euro et l'Europe. Il est temps de réagir.

Après le 11 septembre, la solidarité avec les Etats-Unis était de rigueur et nécessaire. Dix ans plus tard, les turbulences que nous font vivre aujourd’hui les marchés sont désormais de nature à ébranler fortement cette solidarité transatlantique.
Tout se passe en effet comme si, dans la formidable redistribution des cartes qui est en train de s’opérer, la lutte d’influence passait par les monnaies. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’actuelle bataille de l’euro.
Bien sur, les économistes diront: les marchés sont les marchés! Ils ont leur propre logique spéculative et implacable, reflet à la fois de réalités économiques et de recherches de gains à très court terme.
Il n’est donc pas question de nier les difficultés objectives: celles de la Grèce bien sûr, et celles, plus politiques, de l’Italie, qui font partie des soubresauts liés à l’agonie de l’ère berlusconienne.
Pas plus qu’il ne faut nier, ou sous-estimer, le rôle des lenteurs, des atermoiements des Européens eux-mêmes et l’évidente mauvaise volonté de la chancelière allemande. «Elle est en train de nous déglinguer l’Europe», disait récemment le vieux chancelier Helmut Kohl, qui fut pourtant le père en politique d’Angela Merkel.

Les vexations des agence de notations

Mais, si l’on regarde les choses depuis une autre planète, que voit-on? Un peu comme dans cette (excellente) série américaine, Band of brothers, au cours de laquelle un instructeur, le capitaine Sobel, martyrise ses soldats et multiplie les vexations en rajoutant les prétextes les plus divers: un jour un bouton de veste, l’autre une baïonnette, etc... Les trois principales agences de notations, toutes anglo-saxonnes ou sous forte influence anglo-saxonne, sont notre capitaine Sobel. De façon tout aussi caricaturale.
Ces mêmes agences n’ont guère été émues par la menace d’un défaut américain. Après le mauvais compromis concédé par Barack Obama, l'une d'entre elles a tout de même fini par abaisser la note américaine d'un cran. Mais dans l'ensemble, elles n’ont l’œil fixé que sur les membres les plus faibles de la zone euro.
A peine l’accord européen du 21 juillet venait-il d’être paraphé qu’elles se portaient sur le front italien. Et c’est depuis la City de Londres que l’on apprend que la Belgique sera bientôt sur la liste.
Nous voilà prévenus: les prochains mouvements de la Banque Centrale européenne, comme les futurs accords européens, seront inévitablement suivis par d’autres offensives. Les uns après les autres, les dominos doivent tomber jusqu’à l’extinction des feux. C’est bel et bien la mort de la zone euro qui est recherchée.
La stabilité de la zone euro
Or si l’on compare zone par zone, comme le fait Jean-Claude Trichet à chaque fois qu’il prend la parole, la zone euro devrait être un pôle de stabilité au regard de la situation de la zone dollar.
Car les fondamentaux de la zone euro sont bons: l’euro est une monnaie objectivement surévaluée; la zone euro, collectivement, est peu ou pas endettée; la croissance y est revenue, même si elle est encore trop faible, et sur dix ans les créations d’emplois y ont été plus nombreuses qu’aux Etats-Unis.
C’est là qu’il faut se souvenir de ce qu’était le rapport Etats-Unis/Japon, dollar/yen à l’époque de la présidence de George Bush père. Le yen pouvait apparaître comme la monnaie la plus solide, tandis que les géants japonais multipliaient les acquisitions aux Etats-Unis.
Ces derniers engagèrent une politique du dollar faible et une quasi guerre commerciale qui contribuèrent à affaiblir durablement l’économie japonaise et à faire disparaître le yen des écrans radar.
Une lecture politique nécessaire
De la même façon, ce qui est en jeu aujourd’hui dans le rapport Europe/Etats-Unis est le fait que l’euro constitue le tiers des réserves de change mondiales, et que l’Europe est potentiellement une super puissance économique face à laquelle les Etats-Unis ont engagé résolument une politique du dollar faible. Et si nous continuons de laisser faire, nous subirons le sort du Japon.
S’agit il d’une lecture trop politique? La réalité n’est certes pas univoque. Elle est plus que jamais complexe. Mais elle n’autorise pas que tout soit lu à travers les «bienfaits» de la «main invisible» des marchés, en l’espèce des traders.
La politique du dollar faible est une politique menée par les autorités monétaires américaines. Les agences de notation ont des actionnaires, lesquels ont des intérêts. Et elles fonctionnent un peu comme la presse anglo-saxonne.
Cette dernière est extraordinaire par sa qualité, mais n’est jamais trop éloignée des intérêts stratégiques des Etats-Unis, comme de la Grande-Bretagne. Historiquement, ces intérêts ont toujours été de promouvoir, en Europe, une très vaste zone de libre échange et certainement pas une union politique et monétaire intégrée.
Du côté de la Chine
Et si l’on veut une lecture politique, regardons ce qui se passe en Chine. Pékin a vivement critiqué le compromis concédé par Barack Obama en même temps que la Chine promeut sa propre agence de notations, Dagong, laquelle s’est empressée de dégrader la note des Etats-Unis.
Le président de cette agence, Guan Jianzhong, a justifié sa différence avec les agences de notations américaines parce que, a-t-il dit «celles-ci ont toujours deux poids, deux mesures». Quant au gouvernement chinois, il a fait valoir qu’il allait accélérer sa politique de diversification en matière de placements, ce qui signifie: davantage de placements en euro et surtout en yuan.
Nous en sommes bien là: c’est la place relative au 21ème siècle du dollar, de l’euro et du yuan qui se joue sous nos yeux. Notre problème est que les mécanismes politiques européens sont infiniment plus complexes et lents que ceux qui prévalent aux Etats-Unis, et évidemment en Chine.
Mais une chose est sûre: les choix que feront, dans les prochaines semaines, les dirigeants européens auront bel et bien une portée historique. Quant aux dirigeants américains et asiatiques, ils devraient aussi se souvenir du réflexe salvateur de 2008 qui leur avait fait prendre conscience un temps, de l'interdépendance planétaire, avant un retour dangereux depuis au chacun pour soi.
Jean-Marie Colombani


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