Violences russes

Depuis l'élection de Poutine, il y a six ans, la Russie s'enfonce dans les violences quotidiennes contre les opposants

17. Actualité archives 2007


Il y a quelques jours, en Finlande, Vladimir Poutine avait la mine contrite des hypocrites devant ses homologues européens venus dîner avec lui. La journaliste Anna Politkovskaïa venait d'être assassinée et Poutine promettait qu'il y aurait une enquête vigoureuse sur ce méfait. Personne n'a cru un moment à la sincérité du président russe. Depuis son élection il y a six ans, la Russie s'enfonce dans les violences quotidiennes contre les opposants. Et le pouvoir n'y est pas étranger.
Le meurtre de la journaliste Anna Politkovskaïa a jeté une lumière crue sur la nature du pouvoir en Russie. Le président russe a mis 48 heures à réagir officiellement à cet assassinat et à le déplorer. Imagine-t-on le président américain attendant deux jours avant de dire quoi que ce soit après le meurtre d'un Bob Woodward, par exemple? Impensable. Pas en Russie. Reporters sans frontières vient de publier la liste des 21 journalistes assassinés en Russie depuis l'arrivée de Poutine au pouvoir et, ce, " dans un climat d'impunité quasi absolue ". Les enquêtes sur ces crimes piétinent toujours. Pendant ce temps, les médias courbent l'échine et marchent au doigt et à l'oeil du Kremlin. Les reportages dénonçant la corruption des élites, les massacres en Tchétchénie, la concentration des pouvoirs économiques et politiques aux mains de la présidence se font rares. Les coups pleuvent sur les rares voix encore assez courageuses pour s'élever. Ceux qui s'entêtent sont inscrits sur une liste d'ennemis de la Russie par un groupe d'extrême droite plutôt bien vu par les autorités, et même par une partie de la population.
Les journalistes ne sont pas les seuls à subir des violences. En septembre, le vice-gouverneur de la Banque centrale, qui menait une politique de fermeté contre le blanchiment d'argent, a été assassiné. D'autres industriels ont subi le même sort depuis cinq ans. Selon Marie Mendras, chercheuse au Centre d'études et de recherches internationales, en France, et une des grandes autorités sur la Russie avec sa compatriote Hélène Carrère d'Encausse, la société russe est brutalisée par un pouvoir déterminé à rabaisser les institutions et à régler les problèmes de manière expéditive. Cette situation " nous ramène au problème de la violence et de l'impunité: ceux qui tiennent le fusil, le pistolet ou la matraque savent qu'ils ne risquent rien ", dit-elle dans une entrevue au quotidien Le Monde.
Le rôle de la France
Le tableau n'est en effet pas très joli. La Cour européenne des droits humains, chargée de faire respecter la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales signée par les 46 membres du Conseil de l'Europe, a reçu en 2005 quelque 10 500 plaintes (sur 45 000) émanant de Russes. La majorité ne sera jamais entendue. Le Kremlin vient de resserrer les modalités d'installation d'ONG étrangères en Russie. Celles qui sont soupçonnées d'aider les forces démocratiques en Russie ou dans les États de l'ancienne Union soviétique (Ukraine, Géorgie) n'ont pas encore reçu l'autorisation de fonctionner même si, dans les faits, elles ont pignon sur rue. Les tracasseries administratives ralentissent leurs activités, et l'administration présidentielle a décidé de leur opposer des ONG bien russes. Plus de 1000 d'entre elles seront financées directement par le gouvernement afin de véhiculer les " valeurs russes ".
Sur la scène internationale, la Russie souffle le chaud et le froid. La Russie se présente comme un partenaire responsable. Elle ne jette pas d'huile sur le feu en Irak et participe au processus de paix au Liban et en Palestine. En même temps, elle est engagée dans une épreuve de force avec la Géorgie et la Moldavie dont elle convoite certains territoires. Elle signe de juteux contrats avec l'Iran, le Soudan et le Venezuela, trois pays dans la ligne de mire de Washington.
Le régime à poigne de Vladimir Poutine est bien conscient de cette situation et trouve peu de critiques dans nos États démocratiques. Aux États-Unis, l'administration Bush rappelle régulièrement Moscou à l'ordre, mais hésite à monter le ton tant la Russie est un partenaire incontournable dans la gestion des crises nucléaires iranienne et nord-coréenne. En Europe, les 25 sont incapables de constituer un front commun. La France s'y oppose. Le président Jacques Chirac a remis à Poutine la Grand-Croix de la Légion d'honneur et a rappelé qu'il n'était pas question de lier le problème des droits humains en Russie avec les relations économiques entre ce pays et l'Europe. " La stabilité de la sécurité de l'Europe dépend de ses bonnes relations avec la Russie, notamment dans le domaine énergétique ", a dit le président français après le dîner avec Poutine, en Finlande. Le président a sans doute raison d'être prudent. Après tout, il est plus facile de critiquer la Russie à partir de Washington que de Paris ou de Berlin. En même temps, l'Europe n'est pas sans moyens devant le géant russe. Premier marché mondial, l'Europe achète massivement le gaz russe. Or, Moscou a un besoin urgent d'euros et de dollars afin de réaliser les ambitions de Vladimir Poutine de restaurer la grandeur passée de la Russie.
La Russie ne sera jamais une démocratie au sens où nous l'entendons. Ce vaste pays, dont le caractère asiatique s'affirme après la perte de ses territoires européens et où le pouvoir doit gérer la vie en commun de 89 républiques et nations, aura toujours la tentation de l'autoritarisme. Ce n'est pas une raison pour s'aplatir devant lui. La France et les autres devraient le savoir.
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l'Université de Montréal.


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