Vingt et un sages pour une mondialisation moins sauvage

Un rapport d'experts remet en cause le fameux et très libéral «Consensus de Washington»

Forum public sur les perspectives économiques et financières du Québec


Alain Faujas - La publication du rapport de la commission Croissance et développement, jeudi dernier, sonne la fin du tout-libéralisme en vogue depuis la fin du XXe siècle en matière de politiques de développement économique. Elle annonce un nouveau consensus pour une mondialisation moins sauvage.
Cette commission ne peut être suspectée d'altermondialisme: présidée par le Prix Nobel américain Michael Spence, un libéral orthodoxe, elle compte vingt et une sommités, dont un autre Prix Nobel américain, Robert Solow, d'anciens chefs d'État ou premiers ministres, des ministres des Finances, des représentants de l'ONU et de la Commission européenne, des gouverneurs de banques centrales, ainsi que le patron de la première banque privée du monde, Citigroup.
Créée en avril 2006 et épaulée par la Banque mondiale, la commission s'est penchée sur un phénomène qui ne s'était jamais produit avant le milieu du XXe siècle: depuis 1950, treize pays ont connu un fort taux de croissance de 7 % par an, pendant au moins 25 ans d'affilée. Il s'agit du Botswana, du Brésil, de la Chine, de Hongkong, de l'Indonésie, du Japon, de la Corée du Sud, de la Malaisie, de Malte, d'Oman, de Singapour, de Taïwan et de la Thaïlande. La commission Croissance et développement a étudié les recettes qui ont permis ces étonnantes success stories où voisinent la petite île de Malte et le géant chinois, un temple du libre-échange comme Singapour et une économie très dirigée, telle la Malaisie.
Ils en tirent des conclusions qui vont à l'encontre du «Consensus de Washington», cette théorie adoptée par les institutions internationales et élaborée par l'économiste John Williamson à la fin des années 1980, et qui prônait la réduction des déficits, des impôts et des dépenses publiques, l'accélération des privatisations et des déréglementations.
Un État fort
Le rapport de la Commission est sans ambiguïté. «La principale de nos conclusions est que la croissance indispensable pour faire reculer la pauvreté et assurer un développement durable réclame un État fort», commente Kemal Dervis, administrateur du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et ancien ministre des Finances de Turquie.
Le rapport ne conteste pas la nécessité de la mondialisation et de l'ouverture économique et commerciale, seules capables de créer des richesses à long terme. Ni le repli sur le marché national, ni le protectionnisme ne sont efficaces à long terme. Mais «les orthodoxies ont leurs limites», prévient le rapport, qui ajoute: «S'il existait une seule doctrine de la croissance valable, nous l'aurions découverte.»
Il estime que «plus l'économie croît, plus une administration publique active et pragmatique a un rôle crucial à jouer». Ce qui signifie «une planification à long terme», des fonctionnaires mieux payés pour obtenir «une administration compétente, crédible et motivée», des investissements publics dans les infrastructures, l'éducation et la santé, car «loin d'évincer l'investissement privé, ces dépenses l'attirent».
Le Consensus de Washington ignorait les conséquences sociales des politiques qu'il préconisait. À rebours, la commission Croissance et développement investit ce domaine, car elle est convaincue que l'insécurité économique fragilise le soutien des populations aux réformes nécessaires à la réussite de la mondialisation. Elle demande donc que les destructions d'emplois ne soient pas empêchées, mais qu'elles soient accompagnées par des programmes sociaux aidant les personnes à s'adapter à la nouvelle donne.
Dans le même esprit, elle conseille aux gouvernements de contenir les écarts de revenus que la croissance provoque toujours dans un premier temps et qui pourraient déclencher des troubles.
Loin des certitudes des néoconservateurs américains, qui refusent de dissocier développement et démocratie à l'occidentale, la commission se soucie peu du régime politique qui gère la croissance. Que le pouvoir appartienne à un parti unique, à plusieurs partis ou à des technocrates, l'important est que le cap de la croissance soit maintenu, selon la méthode de l'ancien secrétaire du Parti communiste chinois, Deng Xiaoping, qui conseillait de «traverser la rivière en tâtant les pierres».
Cet appel à une sorte de principe de précaution économique tranche avec la suffisance qui conduisait les équipes de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) à imposer brutalement aux pays en développement l'orthodoxie budgétaire, fiscale et monétaire imaginée à Washington.
Enfin, l'environnement n'était pas au menu des travaux de la commission. Le réchauffement climatique s'est progressivement imposé, au point que Michael Spence appelle désormais les pays industrialisés à «stopper leurs subventions à l'énergie et aux biocarburants».
Le rapport invite les pays en développement à se soucier de leurs émissions de gaz à effet de serre et de la pollution de leurs eaux, sans attendre d'être plus riches, faute de quoi cette insouciance leur «coûtera extrêmement cher».


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