En s’attirant les foudres d’une Constitution espagnole blindée contre l’autodétermination catalane, dans un affrontement où les dés étaient pipés — puisqu’un des deux camps « disait le droit », le faisait appliquer et avait derrière lui une communauté internationale soudée, qui ne veut rien entendre d’autre —, Carles Puigdemont a-t-il desservi sa cause ?
Voilà une des questions auxquelles les indépendantistes catalans, et leur président destitué par la main lourde de l’article 155 (qui permet la mise en tutelle de la Catalogne autonome), devront répondre au cours des prochaines semaines.
Ils sont allés au mur. Un mur pourtant très visible, très haut, jaune et rouge, en béton armé. Et ils pourraient, demain, le payer très cher.
La proclamation de la « République indépendante catalane », vendredi dans un Parlement régional déserté par 40 % de ses membres, qui boycottaient l’exercice, s’apparentait à un baroud d’honneur… probablement vain et même contre-productif.
Le camp indépendantiste — il est vrai fracturé en plusieurs tendances — n’a pas voulu (ou pu) considérer le référendum controversé du 1er octobre comme une victoire morale qui aurait permis, face à des vents contraires, de faire une pause et de « prendre date » pour l’avenir.
Une victoire manifestement insuffisante pour faire le « grand saut », mais avec une participation après tout honorable (43 %), si l’on considère le boycottage des adversaires et la répression violente des forces loyalistes espagnoles. « Victoire symbolique » sur laquelle le mouvement aurait néanmoins pu s’asseoir… dans une sorte de retraite stratégique visant le long terme.
C’est ce qu’aurait représenté le choix, sérieusement envisagé jusqu’à jeudi matin, puis rejeté in extremis par Carles Puigdemont, de déclencher lui-même, pour le 22 décembre, des élections autonomes anticipées.
Un pari jouable, d’autant qu’outre les 48 % de vote indépendantiste aux élections de 2015, il y avait eu 9 % aux alliés catalans du parti Podemos, la tendance de la mairesse de Barcelone, Ada Colau.
Non-indépendantistes mais partisans résolus du droit à l’autodétermination et à un référendum légal, ceux-là, vendredi dernier, ont voté contre la DUI (déclaration unilatérale)… mais sont restés au Parlament catalan pour déposer leurs bulletins.
Dans ces conditions, une réaffirmation de la force des nationalistes aurait été possible. Mais les plus radicaux (la CUP, Unité populaire d’extrême gauche, et plusieurs représentants de la Gauche républicaine ERC) ne voulaient rien savoir d’un tel « pas de côté » stratégique.
Au lieu de quoi, après le passage en force de la DUI et la réponse automatique de l’éléphant « 155 », Puigdemont et ses alliés ont perdu l’initiative.
« L’autre camp » — celui du nationalisme espagnol, exacerbé, enragé même par ce défi impudent — voudra maintenant pousser son avantage au maximum. Écrabouiller un adversaire, une « bête immonde » à laquelle on n’a jamais reconnu la moindre légitimité.
Selon l’impitoyable Vae victis (« Malheur aux vaincus ! »), on va tenter maintenant d’expédier le perdant aux poubelles de l’Histoire. Et se convaincre que cette « folie »(c’est ainsi qu’à Madrid on qualifie, de toutes parts, le mouvement indépendantiste catalan, qui pour eux relève de la psychiatrie) n’était qu’un mauvais rêve… dont il faut désormais effacer toutes les traces.
Le « retour de bâton » s’annonce terrible pour les Catalans… même si les stratèges de Madrid ont peut-être un peu appris de leurs erreurs passées de « gros éléphants ». Eux qui, depuis 2010, ont alimenté cette crise par leurs négligences, leurs provocations et leur ignorance.
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