De temps en temps, on entend certains médecins lancer un signal d’alarme : nous aurions, comme société, un rapport malsain au Ritalin.
On le prescrirait trop rapidement aux enfants. La semaine dernière, une cinquantaine de médecins s’inquiétaient ainsi dans les pages du Journal de Montréal du fait que les jeunes Québécois en consomment trois fois plus que les jeunes Canadiens.
Ritalin
Spontanément, ce n’est pas une différence dont on se réjouira.
La première question qui nous vient à l’esprit est simple : est-ce que notre seuil de tolérance à la vitalité de l’enfance est rendu si bas ? Est-ce que nous n’assimilons pas le caractère joyeusement explosif des gamins à l’hyperactivité ? Les parents, dès qu’ils sentent qu’ils perdent le contrôle, ont-ils le réflexe de demander qu’on médicamente leur enfant ?
On aurait beau adhérer sans nuances aux vertus de la médecine moderne, manifestement, quelque chose cloche.
Il ne s’agit pas de blâmer les uns ou les autres, mais de comprendre ce qui se passe en réfléchissant au portrait d’ensemble.
Nos sociétés misent de plus en plus sur ce que j’appellerai la régulation pharmaceutique des émotions. Par exemple, il y a une culture des antidépresseurs qui s’est installée non seulement au Québec, mais dans l’ensemble des sociétés occidentales. C’est que les Occidentaux sont de plus en plus fragiles psychologiquement.
Voyons pourquoi.
Le travail est de plus en plus instable et cette précarité n’a rien pour rassurer le commun des mortels. La famille est aussi soumise au règne de l’instabilité et éclate de plus en plus facilement. À n’importe quel moment de l’existence, un homme ou une femme peuvent avoir à se relancer sur le marché amoureux pour ne pas être condamnés à une solitude aussi angoissante que terrifiante.
Les conditions matérielles de l’existence sont dingues. Combien d’heures passons-nous dans nos voitures, pour le boulot ou pour les mille déplacements qui meublent le quotidien ? Nous sommes aussi victimes d’une sollicitation publicitaire permanente qui excite artificiellement nos désirs et nous pousse vers une névrose consommatrice. Le reste du temps, nous nous laissons hypnotiser par nos écrans.
Ajoutons au portrait l’effondrement des repères collectifs. En d’autres temps, que je ne regrette pas, la religion pouvait servir de refuge consolateur. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. De même, le patriotisme a perdu en valeur et on se sent moins fier de son pays qu’on a honte de son histoire.
Antidépresseurs
Je ne veux pas noircir artificiellement le portrait, mais il faut bien en convenir : la situation n’est pas joyeuse. Dès lors, est-ce que le recours aux pilules n’est pas une solution de facilité ? Comme civilisation, on se tourne de plus en plus vers elles en se disant qu’à défaut de réparer ce qui ne va pas dans la structure sociale, on pourra au moins atténuer chimiquement nos angoisses et le sentiment du malheur qui nous frappe.
Qu’on me comprenne bien : je ne stigmatise personne, ici. Je confesse une inquiétude.
Il n’est pas certain qu’à terme, cette existence médicamentée ne soit pas l’autre nom d’une détresse collective.