Une réforme néfaste du système de la santé

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Le désastre Barette : un système de santé centralisé et ingérable

Toutes les réformes en santé apportent leurs lots de contraintes. On se souviendra de la création de la Régie de l’assurance maladie du Québec (Claude Castonguay, libéral) et du virage ambulatoire (Jean Rochon, péquiste). Ces deux anciens ministres ont jadis mené des réformes qui s’imposaient en créant parfois des antagonismes qui ont eu tendance à se dissiper par la suite. Ils oeuvraient dans des contextes sociaux et budgétaires difficiles, et on peut admettre qu’ils ont fait face à des défis de taille. Leurs approches étaient cependant cohérentes, et ils étaient intellectuellement engagés à moderniser un système en constante évolution. […]



Un des effets directs de la réforme en cours sur l’avenir de notre système de santé est de le rendre ingérable, en centralisant et en politisant à outrance le processus décisionnel. Les ministres passent, mais les professionnels de la santé restent… Les conséquences néfastes de la réforme pourraient donc se faire sentir pendant longtemps, indépendamment des individus qui seront les futurs architectes du système. Finalement, ce sont les patients qui pourraient en payer le prix.



L’abolition récente du commissaire à la santé nous prive d’une ressource importante pouvant mesurer objectivement les résultats d’une réforme. Si la réforme est si optimale, pourquoi avoir peur de la faire évaluer par un organisme indépendant et impartial ? On voit par les temps qui courent des dépêches presque quotidiennes portant sur les conséquences de la réforme, ce qui constitue un symptôme assez clair des problèmes qu’elle pose. Comment s’y retrouver entre mythes et réalités ?



De nombreux mythes à défaire



Mythe no 1 : Si la réforme ne fonctionne pas, c’est à cause des professionnels de la santé qui y mettent des bâtons dans les roues. En réalité, ces professionnels sont eux-mêmes des artisans du changement, car ils s’adaptent constamment aux avancées technologiques qu’imposent les percées scientifiques. Il faut soutenir les changements qu’ils portent avec un mode de gestion souple et décentralisé.



Mythe no 2 : Les gestionnaires intermédiaires du réseau sont inutiles. En réalité, le réseau a besoin de gestionnaires à plusieurs niveaux, car ils peuvent défendre les priorités des vrais artisans du changement que sont les professionnels de la santé. Ce sont souvent des infirmières et infirmiers ou des médecins qui ont grimpé les échelons en acquérant des charges administratives de plus en plus complexes. Elles et ils montent les dossiers que le ministère exige afin de pouvoir financer ses programmes. Pas de dossiers signifie pas de financement…



Mythe no 3 : Les conseils d’administration des hôpitaux sont des boîtes fermées qui ne rendent de comptes à personne. En réalité, ils fixent les priorités des programmes à soutenir en respectant des objectifs budgétaires très contraignants. Plus près des professionnels, ils peuvent ainsi remédier aux crises de gestion interne ainsi que les prévenir dans l’intérêt des patients.



Mythe no 4 : Si on règle l’engorgement des urgences, on réglera tous les problèmes du système de santé. En réalité, l’engorgement chronique des urgences est un symptôme, et pas une cause du dysfonctionnement du système. Le séjour d’une personne à l’urgence résulte souvent de sa mauvaise orientation pendant qu’elle jouit encore d’une certaine autonomie. Souvent, l’accès plus facile à un travailleur social permettrait une meilleure orientation et l’évitement d’un séjour à l’urgence.



Mythe no 5 : Les jeunes médecins ne veulent pas travailler autant que les plus vieux. En réalité, les jeunes médecins (que je contribue à former quotidiennement) sont tous travaillants et consciencieux. Ils désirent pratiquer pour le reste de leur carrière en sol québécois, s’ils peuvent obtenir des postes… qui sont devenus une denrée rare !



Arrivée des femmes



Mythe no 6 : L’arrivée des femmes en médecine a bouleversé la pratique médicale. En réalité, les femmes ont toujours été majoritaires au sein des professionnels de la santé (excluant le corps médical) et elles ont profondément influencé la culture qui y prévaut. Leur présence en grand nombre en médecine, bien que plus récente, demande tout simplement que le mode d’organisation du travail s’adapte, comme cela est le cas dans bien d’autres domaines.



Mythe no 7 : C’est la façon de rémunérer les médecins qui réglera tous les problèmes d’accès. En réalité, les médecins ont le devoir d’évaluer les patients selon les exigences déontologiques. Ils doivent adapter leur pratique au contexte, consacrant plus de temps à certains patients, et moins à d’autres. Le fait de pénaliser les médecins pour leurs listes d’attente, par exemple, introduit un biais dans la prise en charge des patients qui pourrait favoriser le volume aux dépens de la qualité. Ce sont les données scientifiques qui doivent guider l’accès, et pas la rémunération.



Mythe no 8 : Les médecins peuvent régler tous les problèmes du système de santé à eux seuls. En réalité, les médecins travaillent de plus en plus au sein d’équipes multidisciplinaires sans lesquelles les soins donnés aux patients ne seraient tout simplement pas optimaux. Les conditions de travail de chacune des parties de l’équipe sont donc fondamentales à la réussite du groupe, et ce, dans l’intérêt du patient.



Mythe no 9 : Les choses ne cessent de s’améliorer sur le terrain. En réalité, les acteurs font face sur le terrain à un manque chronique de ressources, et ça peut prendre des années à répondre à leurs demandes de base. Par exemple, on a promis récemment de fournir des infirmières praticiennes qui n’arriveront que dans cinq ans, peut-être, mais qui ont été demandées il y a une dizaine d’années. On constate généralement sur le terrain une dégradation des conditions de travail : problèmes de recrutement, personnel à bout de souffle, etc.



Mythe no 10 : Pour régler les problèmes rapidement et efficacement, il suffit de brasser la cage et d’être décisif. En réalité, les acteurs du réseau doivent être décisifs chaque jour, mais doivent aussi opter souvent pour la souplesse afin de garder un bon climat de travail… Ils attendent de leurs collègues tout autant que des décideurs du recul, de la sagesse, de l’humilité, de l’humanisme et une vision à long terme.


> Lire la conclusion sur Le Devoir.



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