Une nation «exceptionnelle et indispensable» : la politique américaine est fidèle à elle-même

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De très intéressants commentaires sur la souveraineté et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes

Aux Etats-Unis, la politique étrangère joue un rôle clé dans la politique intérieure du pays. La classe politique américaine évoque la politique étrangère plus souvent que dans tout autre pays. Hélas, depuis plus d’une génération – depuis la guerre du Vietnam au moins – un consensus règne sur les grandes lignes de la politique étrangère américaine autour de la conviction profonde que les Etats-Unis doivent affirmer et maintenir leur pré-eminence militaire, et leur hégémonie mondiale, à tout prix.

Cette position a été très clairement réaffirmée par la candidate démocrate, Hillary Clinton, dans un discours musclé prononcé le 1er septembre à Cincinnati. Evoquant sa carrière comme Secrétaire d’Etat et membre de la Commission des Forces Armées du Sénat, elle a dit ceci :

«S’il y a une conviction fondamentale qui m’a guidée et m’inspirée pendant chaque étape de ma carrière, c’est celle-ci. Les Etats Unis sont une nation exceptionnelle. Je crois que nous sommes toujours le dernier et le meilleur espoir de la terre dont parlait Lincoln. Nous sommes toujours la ville rayonnante en haut de la colline qu’évoquait Reagan. Nous sommes toujours le grand pays généreux et compatissant dont parlait Robert Kennedy».

Pour Hillary Clinton, comme pour tous les théoriciens néo-conservateurs, qui sont tout aussi puissants au sein du Parti démocrate que chez les Républicains, les Etats-Unis ne sont pas seulement exceptionnels : ils sont aussi indispensables. Indispensables parce que, sans la super-puissance américaine, le monde sombrerait dans le chaos. Hillary Clinton a clairement exprimé cette pensée dans ce même discours.

Quand les Etats-Unis ne dirigent pas, nous laissons un vide qui crée le chaos, ou alors d’autres pays et d’autres réseaux remplissent le vide. Par conséquent, aussi difficile que ce soit, aussi grand le défi, l’Amérique doit mener (le monde). La question est de savoir comment… Le leadership américain implique la solidarité avec nos alliés car notre réseaux d’alliances fait partie de ce qui nous rend exceptionnels.

Cette vision du monde relève d’une philosophie hobbésienne. Quoi que le grand philosophe politique anglais du dix-septième siècle n’a pas abordé les relations internationales, son nom est associé avec la doctrine de «la guerre de tous contre tous» au sein de la société primitive. Afin d’éviter cette anarchie, les citoyens de dotent d’un souverain qui est garant de l’ordre. C’est très exactement la pensée néo-conservatrice, et donc clintonienne, que d’affirmer que sans la puissance américaine, le système international sombrerait dans l’anarchie.

A l’opposé de cette vision il existe pourtant une autre philosophie: celle de l’ordre naturel. Selon cette vision, il existe un certain nombre de données qui sont inscrites dans la nature. La liberté des nations de se disposer d’elles-mêmes était, pour le grand théoricien du droit international Emmerich de Vattel (1714 – 1767) un élément fondamental de l’ordre international, tout aussi inviolable que la liberté individuelle:

C’est une conséquence manifeste de la Liberté et de l’indépendance des Nations, que toutes sont en droit de se gouverner comme elles le jugent à propos, et qu’aucune n’a le moindre droit de se mêler du Gouvernement d’une autre. De tous les Droits qui peuvent appartenir à une Nation, la Souveraineté est sans doute le plus précieux, et celui que les autres doivent respecter le plus scrupuleusement, si elles ne veulent pas lui faire injure (Emmerich de Vattel, Le droit des gens, Tome 1, Livre 2, paragraphe 54).

Pour ces théoriciens, c’est précisément la prétention de pouvoir s’ingérer dans les affaires intérieures d’autres Etats qui crée le chaos. Or, quand nous contemplons le bilan de la politique étrangère de Hillary Clinton, on ne peut que conclure que ces théoriciens avaient raison.

Hillary Clinton était étroitement associée à la décision prise par son mari Bill de bombarder la Yougoslavie en 1999, sous prétexte que cet Etat persécutait sa population albanaise au Kosovo. Certes, Hillary n’avait aucune fonction officielle à cette époque, sauf celle de Première dame, mais elle était une amie proche de Madeleine Albright, le Secrétaire d’Etat qui a fait de cette guerre la sienne. L’accusation de génocide perpétré contre les Albanais du Kosovo était une pure invention, tout comme celle des armes de destruction massive en Irak quatre ans plus tard: aucun détenu au Tribunal Pénal International à La Haye, instance pourtant très politisée, n’a jamais été accusé de génocide au Kosovo. De même, quand elle était au pouvoir comme Secrétaire d’Etat, Hillary Clinton a soutenu à fond le bombardement de la Libye de 2011, lui aussi justifié au nom d’attaques contre la population civile que le gouvernement libyen serait en train de perpétrer mais qui en réalité étaient une pure fiction.

Or, si nous regardons le bilan de ces deux interventions dites «humanitaires», quelles conclusions s’imposent ? Incontestablement, le Kosovo est aujourd’hui, et depuis des années, un Etat en faillite, tout comme la Libye. Hillary Clinton était très associée aussi à la guerre en Bosnie (1992 – 1995), jusqu’au point de mentir sur ses propres visites dans l’ancienne province yougoslave. La Bosnie – laboratoire de la nouvelle doctrine du droit d’ingérence en 1992 – est aujourd’hui un vivier d’islamisme, tout comme le Kosovo voisin.

L’ordre international que Hillary Clinton et ses amis néoconservateurs appellent de leurs voeux ne vient pas, contrairement à ce qu’ils croient, d’une hégémonie américaine, exercée à travers son système d’«alliances» (en réalité un système de dépendance de petits Etats, y compris européens, à l’égard de Washington). Il vient au contraire de ce qu’on appelait jadis le «concert des nations», c’est-à-dire d’une bonne entente entre les grands pays de la planète, une entente qui ne peut fonctionner que si elle est basée sur une certaine équivalence entre ses membres. La forme contemporaine du concert des nations, c’est le Conseil de sécurité des Nations Unies, où les cinq membres permanents ont des droits exorbitants qui sont censés garantir la paix du monde. Mais tous les dirigeants américains sans exception depuis plusieurs décennies, Barack Obama compris, refusent de reconnaître une quelconque équivalence entres les Etats Unis et les autres grandes puissances. Hillary Clinton dans son discours la refuse explicitement à l’égard de la Chine et de la Russie: elle s’en prend à Donald Trump pour l’avoir concédé à la Russie, et elle dit que la Chine ne pourra jamais prétendre à un réseau d’«alliances» aussi efficaces que celle des Américains.

Voilà la raison pour laquelle le président Poutine avait raison d’interpeller le président Obama sur cette question précise, à la veille de ce que devait être l’attaque contre la Syrie en 2013. Reprochant à son homologue américain de croire que son pays serait «exceptionnel», et que cet exceptionnalisme pourrait justifier de passer outre les Nations Unies, Poutine avait écrit dans le New York Times que l’équivalence, au moins morale, des nations souveraines était une réalité inscrite dans la nature des choses et dans l’ordre naturel:

«Il est extrêmement dangereux d’encourager les gens de se considérer comme exceptionnels, quelqu’en soit la motivation. Il y a des pays grands et petits, riches et pauvres; il y en a avec de longues traditions démocratiques et d’autres qui cherchent encore leur chemin vers la démocratie. Leurs politiques sont différentes aussi. Nous sommes tous différents, mais quand nous demandons la bénédiction du Seigneur, nous ne devons jamais oublier que Dieu nous a créés tous égaux».

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John Laughland

John Laughland a été administrateur du British Helsinki Human Rights Group, association étudiant la démocratie et le respect des Droits de l’homme dans les anciens pays communistes, et membre de Sanders Research Associates. Il est aujourd’hui directeur de recherches à l’Institut pour la Démocratie et la Coopération.





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