Une femme et une juge d'exception

Commission Bastarache



Lorraine Laporte-Landry a été nommée juge à la Cour du Québec en 1995. Elle devait cette nomination à un curriculum vitæ impressionnant, à la pertinence de ses connaissances et de son expertise en matière d'administration judiciaire, et aux grandes qualités humaines qui font que celles et ceux qui l'ont connue l'ont aimée, appréciée et admirée.
Lorraine Laporte-Landry était également l'épouse Bernard Landry, alors ministre au sein du gouvernement Parizeau. Pendant les quelque 20 années où elle avait oeuvré comme avocate, comme chef d'équipe et comme gestionnaire au sein de l'administration publique québécoise, elle a dû composer avec cette difficulté d'être mariée à un homme politique en vue, alors qu'elle-même avait choisi une tout autre vie, celle d'une carrière au service de l'administration publique. C'est avec beaucoup de doigté, dicté par une conviction profonde qu'il fallait se tenir loin de la politique quand on avait choisi d'être au service de l'État comme fonctionnaire, qu'elle a su respecter son devoir de réserve et se tenir éloignée de la vie publique de son mari.
Bien qu'elle ait réussi des concours de promotion à l'intérieur de la fonction publique à l'abri de toute ingérence politique, et ce, que le gouvernement soit libéral ou péquiste, mal lui en pris quand elle a commencé à gravir des échelons supérieurs au palais de justice de Montréal. Le politique veillait au grain, et faisant fi de la compétence de Me Laporte-Landry, reconnue lors d'un concours apolitique, dénonçait publiquement son éventuelle accession à un poste de cadre supérieur... ce qui au bout du compte l'en a privée!
Compte tenu de son engagement éthique à servir les citoyens du Québec en toute neutralité politique, elle a refusé d'étaler cette injustice sur la place publique. Tout comme elle refusera plus tard, après avoir enfin pu accéder au poste de directrice du palais de justice de Montréal, toujours à la suite d'un concours tenu en bonne et due forme, de dénoncer le fait que le gouvernement libéral nouvellement élu l'avait «invitée» à quitter son poste pour la tabletter...
Oui, la carrière de Lorraine Laporte-Landry a été influencée par la vie politique de son mari, mais pas dans le sens où on semble maintenant le sous-entendre. Bien au contraire. Celles et ceux qui ont travaillé avec elle, comme collègue, comme subordonnée ou comme patronne, sont unanimes à reconnaître que n'eut été du handicap d'avoir un conjoint en politique, Me Laporte-Landry aurait pu connaître une fulgurante carrière au sein de l'administration publique, qu'elle serait certainement devenue sous-ministre à la Justice, où elle aurait pu apporter une contribution inestimable de compétence et d'humanité.
À l'époque de sa nomination comme juge, des voix se sont élevées pour dénoncer cette apparence de nomination politiquement téléguidée. Il a fallu une chronique de Lysiane Gagnon dans La Presse, à qui on ne saurait attribuer quelque accointance péquiste et encore moins indépendantiste, pour rétablir les faits et la pertinence de cette nomination: qui parmi les juges nommés à la Cour du Québec pouvait prétendre à autant d'expertise et de connaissances pertinentes et hautement qualifiées? Qui avait, en plus d'un diplôme en droit, un MBA décerné par HEC et un doctorat en administration judiciaire de l'Université de Washington? Qui d'autre avait une expérience de gestion d'un palais de justice, une connaissance aussi pointue des lois, et des communications quotidiennes avec les juges, les avocats et les justiciables? La réalité avait alors réussi à faire taire la rumeur.
Dans les années qui ont suivi, la juge Laporte-Landry a siégé et a rendu des décisions avec toute l'humilité qui la caractérisait. Elle a formé des juges au Québec, en Belgique, en République tchèque et en Slovaquie. Son décès prématuré aura privé sa famille, ses amis et la justice d'une femme d'une exceptionnelle valeur.
Qu'aujourd'hui on prétende se servir de la nomination méritée de la juge Lorraine Laporte-Landry pour laver les nominations de juges qui seront examinées dans le cadre d'une commission d'enquête, relève de la malhonnêteté intellectuelle et de tactiques malsaines qui donnent la nausée. Surtout au moment où Bernard Landry, le compagnon bien-aimé de Lorraine, pleure sa mère qu'il vient d'enterrer.
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Jean Lemieux - Ex-directeur régional des Services judiciaires de Montréal

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